Les protestants qui furent condamnés aux galères, désirant resserrer leurs liens, s’entr’aider et s’encourager mutuellement afin de supporter leurs terribles épreuves, constituèrent dès le mois de février 1699 une « Société des confesseurs » dont voici les règlements :
Le Dieu tout-puissant que nous adorons et que nous servons dans nos liens est si plein de tendresse et de bonté, qu’il ne se laisse jamais sans témoignage en bienfaisant à ses enfants. S’il les frappe d’une main, il les soutient en même temps de l’autre, de peur qu’ils ne succombent sous le poids de leurs afflictions. Il multiplie toujours les consolations qu’il leur donne à proportion des maux auxquels il trouve à propos de les exposer, et lors même qu’il est le plus en colère, il se souvient pourtant d’avoir compassion.
C’est ce que nous avons éprouvé en une infinité de manières, durant le cours de notre triste esclavage; mais c’est ce que nous avons éprouvé d’une façon particulière, à l’égard de nos nécessités corporelles et extérieures; car quelque indignes que nous soyons des bontés de ce divin Créateur et quelques efforts qu’ayant fait nos ennemis pour nous priver de tout secours, la bonne et sage Providence a pourtant toujours eu le soin de pourvoir à nos besoins. Elle a inspiré une ardente charité envers nous à nos chers frères libres, et elle a suscité, d’autre côté, au milieu de nous, de bons fidèles qui ont eu la charité de s’employer pour le bien et pour le soulagement de notre société enchaînée.
Dès le commencement de notre captivité, les illustres martyrs de glorieuse mémoire, MM. Kervenod de l’Aubonnière et de la Cantinière-Barraud, conjointement avec l’illustre M. Pierre Butaud de Lençonniére, nous ont procuré divers secours qui nous ont été d’un grand usage pour l’adoucissement de nos peines. Le zèle de M. Kervenod s’est même quelquefois étendu jusques à nous faire part de ses biens propres. C’est le juste témoignage que nous devons rendre à sa piété.
Ces fidèles ne pensèrent pas pour lors à établir des règlements entre eux, soit parce que le nombre des confesseurs étant encore fort petit, il n’étoit pas difficile de faire les choses avec exactitude; soit parce que n’ayant pas pu lier beaucoup de commerces, les subventions qu’ils recevoient n’étoient pas bien grandes, et qu’ils pouvoient les distribuer de la main à la main. Mais enfin le nombre de nos enchaînés s’étant extrêmement multiplié, les libéralités de nos frères libres étant devenues plus fréquentes et plus nombreuses; et après le décès de MM. Kervenod et de Barraud, les glorieux martyrs d’heureuse mémoire, M. Pierre Mauru, l’illustre M. Elie Néau, qui a été depuis peu délivré de ses liens, et les sieurs Pierre, David et Jean Serres, s’étant joints ensemble à l’illustre M. Pierre Butaud de Lençonnière pour travailler avec lui de concert aux affaires de notre Eglise souffrante, ils trouvèrent à propos d’établir entre eux de certaines règles pour servir de direction à leurs actions et à leur conduite, et de fondement à la juste confiance qu’ils vouloient avoir les uns dans les autres.
C’est par le moyen de ces règles qu’ils se sont longtemps gouvernés sagement, avec droiture, dans les devoirs de leur employ. Nous devons aussi rendre de bon témoignage à ces bons fidèles, que pendant que Dieu a trouvé à propos de les conserver au milieu de nous, ils ont rendu de très grands et de très considérables services à notre Société captive, et nous devons avouer, avec louange et avec reconnaissance, que nous avons de très grandes et de très fortes obligations à leur vigilence et à leur zèle, soit à l’égard des soulagements corporels qu’ils nous ont procurés et dispensés, soit par rapport à la charité qu’ils ont eue de redresser et de censurer ceux de nos frères qui tomboient dans quelque faute et qui s’équartoient de la pureté et de la sainteté de l’Evangile de Jésus-Christ, notre adorable Sauveur et Maître.
Mais enfin, le violent orage qui a soufflé ces dernières années avec tant de fureur sur notre pauvre nacelle flottante, ayant poussé et porté de ces pauvres et chers athlètes dans des tristes cachots, et les mémoires ou comptes de leurs distributions qu’ils devoient envoyer à nos bienfaiteurs ayant eu le malheur d’être surpris et de tomber entre les mains de nos persécuteurs, l’ordre qu’ils avoient établi et qu’ils observoient a demeuré interrompu jusqu’à présent, d’autant plus que Dieu ayant retiré presque dans ce même temps M. Pierre Mauru dans son paradis, pour couronner sa fidélité et ses combats, les sieurs Pierre et Jean Serres sont restés seuls de ces 6 alloués.
Ces deux derniers amis, que nous possédons encore, ont eut la charité de nous continuer leurs soins, autant que leur a été possible, du milieu des horreurs de la tempête, et il est vrai que le sieur Pierre Serres, qui avoit le soin des subventions et distributions, a tâché de suppléer au défaut de précaution qu’on avait accoutumé de prendre en faisant signer les comptes avant que de les envoyer aux auteurs des bénéficences, par MM. Valette et Dubuy, son cadet et quelquefois par M. Elie Maurin, qui même a eu la bonté de lui aider à distribuer les sommes, lorsqu’ils l’ont pu, et en leur communiquant d’autre part les lettres d’avis qu’il recevoit, de sorte qu’il y a lieu de croire que cette conduite a été suffisante pour témoigner de la vérité et de la fidélité, avec laquelle il a dispensé les libéralités qui lui ont été confiées, par ceux qui ont la charité de recréer nos entrailles asséchées.
Mais puisqu’enfin la bonne et sage Providence nous a donné un assez grand calme, et que par un effet de son infinie miséricorde, elle nous fait jouir présentement d’une assez grande liberté dans notre esclavage; puisque d’ailleurs l’illustre M. Calandrin, professeur en théologie, a pris la peine d’écrire pour exhorter quelques-uns d’entre nous pour se joindre aux sieurs Pierre et Jean Serres et à quelques autres bons fidèles, afin de leur aider et de les soulager dans les soins des affaires de notre communauté opprimée, nous avons jugé très nécessaire et très convenable, avant que d’entrer dans cette nouvelle Société, de rétablir de nouveaux ordres semblables ou équivalents à ceux qui ont été perdus, afin de pouvoir agir de concert et avec prudence, et de pouvoir, par notre exactitude et la fidélité de notre administration, rendre notre conduite approuvée et devant Dieu et devant les hommes.
Et parce que le nombre des confesseurs est présentement fort grand, et qu’il n’est presque pas possible que parmi cette multitude, il n’y ait quelque déréglé, nous avons trouvé à propos d’adjoindre à ces règlements qui concernent précisément les distributions, quelques autres articles de discipline qui puissent servir de frein pour faire réprimer les désordres et les égarements des libertins qui se pourroient trouver parmi nous.
Outre que cet ordre que nous observons servira à nous mettre à couvert des calomnies et des médisances des faux frères et des esprits malins et envieux, il contribuera d’autre part à l’avancement de la gloire de Dieu, à l’édification de toute l’Eglise, et à attirer les bénédictions du ciel sur nous et sur toute l’oeuvre de nos mains. Il pourra même servir à convaincre les ennemis de la vérité, parmi lesquels nous vivons, de l’injustice qu’ils nous font en nous haïssant et en nous persécutant sans cause, de sorte qu’en faisant luire notre lumière devant eux, nous pourrons les porter à glorifier Dieu, notre Père, qui est dans les cieux.
Enfin, nous devons espérer que tout cela contribuera beaucoup à répandre la bonne odeur de nos chaînes et de nos souffrances dans toutes les Eglises du Seigneur, à nous acquérir de plus en plus l’affection et la bienveillance de tous nos bienfaiteurs, et à les engager à nous continuer jusques à la fin leurs charitables soins et les précieux effets de leurs libéralités et de leur bénéficence. C’est donc sur ce fondement que nous venons de poser, que nous dresserons les articles suivants, lesquels nous promettons, en la présence de Dieu, d’observer religieusement, exactement et dans toute la droiture de notre coeur, du moins pendant que la tranquillité dont nous jouissons présentement nous le pourra permettre.
Avant que de proposer nos règles, nous devons remarquer ici, que le sieur Jean Serres étant maintenant assez occupé par des affaires particulières qui regardent l’utilité et la consolation de deux de nos illustres reclus, il nous a instamment priés de le dispenser et de le décharger du soin des affaires générales de notre communauté, de sorte que quelque instance que nous lui ayons fait pour l’engager à continuer dans ses premiers emplois, nous n’avons pas pu l’obliger à y consentir, c’est pourquoi nous avons été dans l’obligation de substituer à sa place M. Abel d’Amoin qui est un très bon et très pieux confesseur.
Après cette petite remarque, nous fairons suivre nos règlements.
I. Premièrement, nous, Abel d’Amouin, André Valette, Elie Maurin, Jean-Baptiste Bancilhon, Jean Musseton, Pierre Carrière et Pierre Serres, ayant un désir sincère de glorifier le saint nom de Dieu, d’édifier l’Eglise de Jesus-Christ, et de contribuer au bien de nos chers frères enchaînés, promettons de faire chacun de son côté tout ce qu’il sera en notre pouvoir pour la consolation, pour l’instruction, pour l’affermissement et pour le soulagement de notre communauté affligée. Et parce que, dans le triste état où nous sommes réduits par un juste jugement de Dieu, qui a trouvé à propos de nous mettre dans le creuset de l’affliction pour nous purifier de nos souillures, nous devons nous servir mutuellement de pasteurs l’un à l’autre, suivant l’exhortation que saint Paul nous fait de veiller les uns sur les autres, pour nous inciter à la charité et aux bonnes oeuvres, nous nous engageons, dans un esprit de charité, à veiller soigneusement sur la conduite de tout notre corps souffrant, pour reprendre et corriger les vicieux, pour encourager et fortifier les foibles et les chancelans, pour consoler les malades et ceux qui seront extraordinairement persécutés, et pour retrancher les lâches et les scandaleux, afin que Dieu qui nous a donné gratuitement, non seulement de croire en Christ, mais aussi de souffrir pour lui, soit autant glorifié par la pureté de nos moeurs et par notre constance que par notre souffrance et nos liens.
II. Tous ceux qui ne font pas profession ouverte de notre sainte religion, mais qui détiennent lâchement la vérité en injustice, sous prétexte d’avoir leur liberté en temporisant ou par quelqu’autre motif qui se puisse, seront absolument retranchés de notre Société et regardés comme des lâches qui ont honte de Jesus-Christ dans son abaissement et sur sa croix, quelque bien qu’ils nous puissent faire d’ailleurs et quelque belle parole qu’ils nous puissent donner. Cependant on attendra leur retour pour l’embrasser avec zèle (sic), lorsqu’il sera sincère et suivi des preuves chrétiennes de leur foi et de leur repentance.
III. S’il y en a quelques-uns qui, par infirmité ou par la crainte des tourmens, ne fassent pas entièrement leurs devoirs, comme, par exemple, de découvrir la tête pendant qu’on fait le service divin (la messe), sans pourtant fléchir le genoux, pourvu que d’ailleurs ils n’ayent pas renoncé notre sainte religion et qu’ils ne soient pas engagés dans d’autres foiblesses incompatibles avec les devoirs d’un bon confesseur et d’un bon chrétien, ils seront supportés avec charité et regardés comme frères, en attendant l’oeuvre parfaite du Seigneur; et cependant nous fairons ce qui dépendra de nous pour les porter, par nos exhortations, à tendre vers la perfection chrétienne et préférer la crainte de Dieu qui peut tuer le corps et l’âme, à la crainte des hommes, qui ne peuvent nous arracher un cheveu de la tête sans sa permission.
IV. S’il y en a parmi nous qui se disent de nos frères et qui ne gardent point les préceptes que Jesus-Christ nous fait dans son saint Evangile, mais qu’ils soient adonnés à la profanation et au mépris ouvert des commandements de Dieu, comme de n’observer point le jour du repos, ou qui soient ivrognes d’habitude, contentieux, gardant haine pour leurs frères, vivant dans le vice et sans dévotion, et qui causent du scandale au corps de Christ, ceux d’entre nous qui en serons les premiers avertis prendront le soin de les reprendre et de les censurer en particulier, pour tâcher de les ramener à la pratique de leur devoir. Mais si, après diverses exhortations, ils continuent de mépriser les avis de ceux qui les reprendront fraternellement, et qu’ils s’obstinent à persévérez dans leurs désordres et dans leur mauvaise conduite, on leur déclare qu’ils seront dénoncés à toute notre société, qu’ils seront retranchés et séparés de notre corps, privés de tous les secours qu’ils pourront attendre de notre part, jusqu’à ce qu’ils donnent des témoignages assurés de leur repentance et de leur amendement, et qu’enfin ils seront considérés comme des profanes qui, reniant par leurs oeuvres le Dieu qu’ils font profession de connoître, sont par conséquent indignes de porter le glorieux nom de confesseur, et cela principalement afin que nos adversaires ne prennent pas occasion d’insulter à notre sainte religion en lui imputant les crimes des particuliers.
V. Lorsque nous saurons que sur une galère il y a quelqu’un de nos frères ignorant et mal instruit, nous chargerons celuy de la galère qui sera le plus éclairé de parler en particulier à cet ignorant, le plus souvent qu’il lui sera possible, pour l’instruire des principaux points de la doctrine céleste que nous proffessons, afin d’ôter d’un côté à nos ennemis le prétexte de nous reprocher, comme ils font quelquefois, que nous ne souffrons pour notre religion que par entêtement ou sans connoissance de cause, et de mettre d’autre part les ignorans en état de pouvoir travailler plus efficacement à leur propre salut. Si l’on peut même faire enseigner à lire ceux qui ne savent pas, lors qu’ils séjourneront dans le Port, en donnant quelque chose à celui qui voudra se charger de les apprendre, en l’absence de nos exacteurs, on prendra, sur les deniers du commun, ce qui sera nécessaire pour cet effet. Et si, du reste, ceux qui sont ainsi plongés dans l’ignorance vouloient refuser opiniâtrement de s’instruire, soit par fénéantise, soit pour s’attacher à des occupations frivoles et de peu de conséquence, on les privera d’une partie ou même de tout le soulagement qu’on avoit accoutumé de leur donner, jusques à ce qu’ils se soumettent à leur devoir.
VI. Quand quelqu’un de nos frères sera tombé malade sur une galère, celui d’entre nous qui en aura le plus de commodité et de liberté tâchera de l’aller visiter avant qu’on le mène à l’hôpital, tant pour le consoler du mieux qu’il se pourra par rapport à son état, que pour l’encourager et le munir un peu fortement contre les attaques, suggestions pernicieuses des esprits séducteurs et des prêtres qui se tiennent ordinairement dans cette maison. Au surplus, nous aurons un soin très particulier de soulager ceux qui seront ainsi affligés de maladie.
VII. Il est surtout juste de remédier très particulièrement au soin de ceux qui persévèrent à glorifier Dieu par leur fermeté, par leur zèle, par leurs bonnes oeuvres, comme étant ceux qu’on doit considérer et estimer le plus et pour lesquels on doit avoir plus d’égard. Et comme les exemples de leur foi, de leur patience, de leur piété, de leur courage et de leur constance peuvent être d’une très grande édification pour l’Eglise d’àprésent et pour celle des siècles àvenir, on dressera par écrit des Mémoires de leur vie, principalement de leurs actions remarquables et édifiantes, selon l’ordre que l’illustre et charitable M. Calandrin nous en a donné. Pour cet effet, MM. Elie Maurin et Baptiste Bancillon seront chargés de ce soin, comme étant les deux plus propres pour travailler exactement à cet ouvrage. Cependant, ils n’envoyeront pas les dits Mémoires avant que de les avoir communiqués à ceux qui s’employent avec eux à l’oeuvre du Seigneur, afin de prévenir les fautes qui s’y pourroient glisser.
VIII. Au reste, afin que tous nos frères sans exception puissent être soulagés avec exactitude, nous croyons qu’il est très nécessaire qu’il y en ait deux d’entre nous qui se chargent du soin de faire les distributions, en s’assignant chacun la moitié des galères pour dispenser à nos chers compagnons d’affliction ce dont ils auront besoin, par rapport aux occurences des tems et aux moyens qu’il aura plu à Dieu de nous mettre en main et conformément aux intentions de nos bienfaiteurs. Ces deux personnes seront MM. Valette et Carrière, lesquels, recevant les subventions, les distribueront exactement et fidèlement à ceux à qui elles sont destinées par ceux qui les envoyent, et ils en dresseront des comptes exacts qui seront examinés par MM. Baptiste Bancillon, Jean Musseton et Pierre Serres et signés par les mêmes examinateurs pour plus ample assurance de ceux à qui ils seront envoyés. Et afin qu’il ne naisse aucune difficulté dans l’esprit de personne, nous déclarons que tous les comptes qui ne seront pas attestés par les seings de ces Messieurs seront tenus pour nuls et sans valeur.
IX. Et pour agir avec ordre dans l’administration des bénéficences, pour nous assurer qu’elles sont dispensées avec fidélité et exactitude à un chacun, et pour aller au-devant des abus qui s’y pourroient glisser, MM. Jean-Baptiste Bancillon, Jean Musseton et Pierre Serres seront chargés de prendre une exacte connoissance de l’emploi qu’il s’en fera, soit pour s’informer si les subventions sont fidèlement dispensées par les chefs de chaque galère à leurs frères, soit aussi pour prendre garde que les dites subventions ne soient point employées, sous quelque prétexte que ce soit, à des choses inutiles, mais que ceux qui embrassent l’intérêt du public et qui sont obligés de faire des frais ne le fassent que dans des choses nécessaires et utiles à la communauté. Pour cet effet, lorsque quelqu’un d’entre nous aura besoin de quelque peu d’argent, soit pour remédier à ses nécessités particulières, soit pour fournir aux frais des affaires communes dont il sera chargé, il ne pourra prendre ce qui lui sera nécessaire qu’après en avoir demandé la permission et en avoir obtenu le consentement de ses associés, à moins que ce ne fût dans une occasion extrêmement pressante et qui ne permît pas d’observer ces formalités; et, même en ce cas, il sera obligé de le déclarer dans la suite, le plus tôt qu’il se pourra.
X. Et comme notre communauté est considérablement augmentée par les nouveaux venus d’Orange, qu’il s’agit de leur procurer des soulagemens de même qu’aux autres, pour adoucir leurs peines, et que, pour cet effet, on est d’obligation d’écrire en divers endroits, comme en Angleterre, Hollande, Allemagne, Suisse et France, où Dieu, par son infinie bonté, nous fait trouver des personnes pleines de piété et de charité, qui veuillent bien nous rompre leur pain et qui s’intéressent beaucoup, tant pour nous procurer les secours dont nous avons si grand besoin, que pour procurer l’affranchissement de nos liens, Nous, susnommés Abel d’Amoin, André Valette, Baptiste Bancillon, Jean Musseton, Pierre Carrière et Pierre Serres, sommes convenus et demeurés d’accord de nous charger du soin d’écrire pour l’intérêt du commun des confesseurs, de représenter leur état, d’exhorter en leur faveur les personnes charitables pour les porter à leur faire du bien, et d’indiquer des voyes assurées par lesquelles on nous puisse faire tenir les sommes que leur charité trouvera à propos de nous destiner, en quoi nous suivrons les avis que nous a donnés l’illustre M. Elie Néau, qui nous a marqué le désir qu’ont diverses Eglises qu’il a visitées de notre part, tant pour avoir des assurances que les sommes qu’elles nous envoyent nous sont bien parvenues, que pour leur indiquer des voyes par lesquelles on nous puisse faire tenir lesdites sommes en droiture.
XI. Mais d’autant qu’il est nécessaire d’observer un ordre dans cette affaire afin que chacun y puisse coopérer exactement et avec promptitude, soit pour répondre ponctuellement et dans le besoin à ceux qui nous écriront, soit pour écrire à ceux à qui on le trouvera à propos de le faire, et que d’ailleurs il est très juste que chacun porte une partie du fardeau, afin que les uns ne soient pas plus fatigués que les autres, si faire se peut, et que chacun ait le tems de vaquer à l’importante affaire de son salut, Nous sommes convenus de prendre chacun un quartier des lieux susnommés, pour y entretenir les correspondances que nous pourrons y avoir et pour vaquer aux affaires qui nous y surviendront. Ainsi, M. Abel d’Amoin, conjointement avec M. André Valette, s’occuperont aux affaires que nous pourrons avoir en France; MM. Jean Musseton et Pierre Carrière auront le soin de celles que nous aurons en Suisse et en Allemagne et MM. Baptiste Bancillon et Pierre Serres seront chargés de celles d’Angleterre et de la Hollande. Cependant nous ne prétendons pas dire par là que ceux qui seront chargés d’écrire dans l’un de ces quartiers ne puissent écrire dans les autres, lorsque leurs affaires particulières ou d’autres raisons les y obligeront, car notre dessein n’est pas d’imposer un joug à personne, mais uniquement de nous soulager les uns les autres.
XII. Pour une plus grande preuve et assurance de la sincérité et de la droiture de nos intentions, et pour témoigner clairement que nous avons un véritable dessein de nous acquitter avec fidélité de nos emplois, nous nous engageons à nous communiquer tous mutuellement les lettres d’avis et d’échange que nous recevrons de nos bienfaiteurs, et même toutes les autres qui regardent directement ou indirectement le public: en quoy nous exceptons celles qui pourroient être particulières à celui qui les recevra, et qui ne regarderont expressément et précisément que lui-même et ses propres affaires, auquel cas il ne sera pas obligé de les montrer, s’il ne veut; et d’ailleurs, les lettres qui s’écriront par l’un des associés de chaque quartier seront signées par l’autre, afin que le tout soit fait d’un commun consentement, pour plus grande édification de nos bienfaiteurs. Du reste, il sera permis à chacun de communiquer les lettres qu’il recevra de son quartier à ceux de ses autres amis qu’il trouvera bon, et selon que sa prudence le jugera à propos pour leur consolation: car, comme nous ne prétendons pas forcer personne à montrer les siennes à d’autres qu’à ceux de notre société, s’il ne veut, nous ne prétendons pas non plus empêcher personne de montrer les siennes à qui il lui plaira. Par ceux de notre société, nous entendons en cet endroit ceux qui sont chargés du soin des affaires, et non tout le corps des confesseurs en général, car il y auroit trop de dangers à communiquer cette sorte de lettres à tous les confesseurs, à cause des imprudens, qu’il peut y avoir parmi nous, et des surprises qui pourroient arriver.
XIII. Outre cela, MM. d’Amoin, Musseton, Bancillon et Serres, s’engagent et s’obligent très expressément et formellement à consigner exactement et fidèlement toutes les sommes qu’ils recevront entre les mains de MM. Valette et Carrière, pour en faire les pieux et justes usages pour lesquels elles sont destinées par ceux qui en sont les auteurs; et MM. Valette et Carrière s’engagent ainsi très expressément de leur part, comme il a été déjà dit ci-dessus, de dresser des comptes exacts de l’emploi qu’ils feront des dites sommes qui leur seront consignées et qu’ils recevront eux-mêmes, lesquels comptes étant vérifiés et signés par les quatre Messieurs premiers nommés dans cet article, seront envoyés à nos généreux bienfaiteurs, pour leur prouver le bon usage qui aura été fait de leurs bénéficences.
XIV. Que si quelqu’un de ceux qui sont chargés d’écrire ou de distribuer venoit à défaillir, soit par mort ou par emprisonnement, l’un de ceux de ses associés qui resteront prendra sa place, pour suppléer à son deffaut, ou bien, si on le trouve à propos, on choisira parmi nos autres frères celui qu’on reconnoîtra être le plus capable de remplir cet emploi. Cependant, lors qu’il s’agira de choisir un successeur, on ne pourra nommer personne expressément et déterminément qu’après qu’on aura recueilli les voix et les avis de tout le restant des associés, afin que celui qui sera élu, l’étant du consentement de tous, personne n’y puisse trouver à redire ni à opposer.
XV. Quant au reste, si l’on rencontroit quelqu’un d’entre nous qui vint dans la suite à n’agir pas conformément à ce à quoi nous nous engageons de parole, et par ces règles que nous ratifierons par nos seings, et qu’il vint à violer sciemment et de propos délibéré la promesse expresse que nous faisons devant Dieu d’exécuter tous ces articles dans leur teneur, on le priera bien humblement de se démettre de sa fonction plutôt que de contrevenir à la promesse et à l’ordre qui aura été établi, et plutôt que de causer du trouble à la Société. Mais si, nonobstant la prière qu’on lui fera, il s’opiniâtroit à vouloir exercer son emploi, en n’observant pas les règles que nous venons de poser, on le dénoncera aux bienfaiteurs, en les avertissant de tout ce qui se passe, afin qu’ils prennent leurs mesures là-dessus, et que s’ils le trouvent à propos, ils cessent d’adresser leurs bénéficences à ceux qu’on leur dénonce, du moins après qu’ils auront écrit ici pour s’informer de la vérité des plaintes qu’on fera contre l’accusé. Cependant ce dernier article XVe a besoin d’être modifié et demande une exception: c’est qu’au cas qu’il survint une violente persécution, telle que la dernière que nous avons soufferte, et que nous fussions trop resserrés et trop observés pour pouvoir observer exactement toutes les formalités ci-dessus marquées, on ne sera plus assujetti à ces loix et à la promesse que nous faisons; mais chacun tâchera de travailler de son côté pour le bien de la communauté, selon que sa prudence et les moyens et les occasions que Dieu lui en donnera le lui pourront permettre, en attendant qu’il se puisse communiquer à tous pour agir selon les règles.
Au reste, nous supplions très humblement tous ceux de nos frères captifs et compagnons de nos chaînes qui liront et qui verront ceci, de nous faire la justice de croire que nous ne proposons pas ces règlemens dans le dessein de nous acquérir quelqu’espèce d’empire et de domination sur eux, comme si nous prétendions être plus excellens qu’eux et nous les assujettir en quelque chose, mais que nous n’agissons en tout cela que par un pur esprit de charité et dans les vues de contribuer, autant qu’il nous sera possible, au bien de leur corps et à celui de leur âme.
Et comme, de notre côté, nous nous engageons de veiller sur leur conduite pour les censurer et les reprendre, lors que nous connoîtrons qu’ils s’écarteront de leur devoir, ils peuvent et même ils doivent aussi de leur part veiller soigneusement sur nos actions et sur nos démarches, pour nous avertir charitablement des deffauts qu’ils remarqueront en nous, leur promettant de profiter de leurs censures, lors qu’elles seront justes et raisonnables.
Le principal est de vivre tous de telle manière que nous ne donnions aucun scandale à personne, et que personne ne soit obligé de nous censurer et de nous reprendre. Nous sommes obligés, en tous tems et en toutes sortes d’états, de glorifier Dieu en nos corps et en nos esprits, lesquels lui appartiennent, car c’est le sacrifice qu’il demande de ses enfans; mais il n’y a point de tems ni d’états où nous soyons plus fortement obligés à le glorifier que dans celui où nous nous trouvons.
Ce grand Dieu nous a fait la grâce de nous appeler à souffrir pour son saint Nom, et à soutenir les intérêts de sa vérité céleste contre les efforts et les violences de ceux qui tâchent de la détruire: par leurs cruelles et injustes persécutions: nous devons donc faire tous nos efforts pour répondre dignement à ces grands devoirs auxquels il nous a appelés, et pour ne pas nous rendre entièrement indignes du glorieux titre de confesseurs de son saint Nom dont il nous a honorés.
Souvenons-nous pour cet effet, qu’à celui a qui aura été le plus donné il sera le plus redemandé, et ne doutons pas que si au lieu de profiter des grandes grâces que Dieu nous faict, nous les changeons malicieusement en dissolution, en les foulant misérablement aux pieds, par un mépris outrageant; ne doutons pas, dis-je, qu’il ne nous punisse très sévèrement et à proportion de l’abus que nous aurons fait de son support, de sa patience et de ses bénédictions; et ne nous imaginons pas, je vous prie, que sous prétexte que nous avons l’honneur de souffrir pour son nom et pour sa vérité, il nous soit permis de vivre de la manière que nous voudrons, sans avoir rien à craindre de la part de sa justice.
Ce seroit nous tromper et nous séduire nous-mêmes grossièrement que d’avoir une telle pensée; car, que nous serviroit-il de souffrir pour le nom de Jesus-Christ, si au lieu de souffrir comme chrétiens, nous souffrons comme des malfaiteurs ? Que nous serviroit-il de confesser ce divin Sauveur de bouche, si à même tems nous le renions par nos actions et par une vie profane ? Que nous serviroit-il d’être environnés d’une grande et pesante chaîne, pour l’espérance d’Israël, si, d’un autre côté, par notre libertinage, nos dissolutions, nos querelles et notre indévotion, nous attirions l’opprobre des nations sur l’Israël de Dieu et sur la sainte religion que nous professons, et si nous donnions sujet à nos adversaires de blasphémer son saint Nom, qui est invoqué sur nous.
Ne nous y trompons pas; tout cela ne serviroit qu’à aggraver notre jugement, qu’à rendre notre condamnation plus juste et plus inexcusable devant le tribunal sacré de notre souverain et redoutable Juge. Ha ! mes très chers et honorés frères, ouvrons donc enfin les yeux, et revenons de tous nos funestes et tristes égaremens. Relevons nos mains, qui sont lâches, et raffermissons nos genoux, qui sont déjoints; faisons des sentiers droits à nos pieds, afin que ce qui cloche ne se dévoye pas, mais que plutôt il soit remis en son entier. Profitons de la sainte et salutaire exhortation que le prophète Jérémie nous fait dans ses Lamentations; recherchons nos voyes et les sondons, et retournons jusques à l’Eternel. Levons nos coeurs avec les mains au Dieu fort qui est aux cieux, disant: « Nous avons parfait, nous avons été rebelles, et c’est pourquoi tu n’as point pardonné ! ».
En effet, mes très chers frères, il n’y a que nos rebellions, nos ingratitudes et nos injustices qui soient la véritable cause des terribles afflictions que nous éprouvons depuis si longtems. Il n’y a que nos impiétés et nos transgressions qui ayent attiré et qui attirent encore sur nos têtes criminelles ces épouvantables fléaux de la colère de Dieu qui nous accablent et sous le poids desquels nous gémissons si amèrement: il n’y a que nos désordres et nos dérèglemens qui soient la juste cause du retardement de cette délivrance après laquelle nous soupirons si ardemment; car, du reste, la main de Dieu n’est point raccourcie qu’elle ne puisse délivrer, et son oreille n’est point devenue pesante qu’elle ne puisse ouïr: mais ce sont nos iniquités qui ont fait séparation entre nous et notre souverain Seigneur, et nos péchés qui ont fait qu’il a caché sa face arrière de nous, afin qu’il ne nous écoute pas, selon que le prophète Esaïe nous le déclare dans ses Révélations.
Entrons donc dans nos propres coeurs, pour en retrancher l’interdit qui y est malheureusement caché, et soyons persuadés que si nous renonçons sincèrement à nos péchés, Dieu renoncera aussi à sa colère, et mettra bas les verges dont il nous frappe avec tant de sévérité. Si nous nous convertissons de tout notre coeur à lui, ce bon Dieu se retournera enfin vers nous, et, se laissant toucher et fléchir par les larmes de notre repentance et par les soupirs de nos âmes affligées, il nous accordera sa grâce, sa bénédiction, sa protection paternelle, et cette liberté de nos corps que nous lui demandons avec tant d’instance et que nous recherchons avec tant d’empressement.
Mais quand même, par des raisons de son infinie sagesse il ne trouveroit pas à propos de nous délivrer et de nous décharger de ces chaînes matérielles que nous portons, et qu’il voudroit permettre que nous finissions nos jours en souffrant pour sa gloire, nous ne devons pas laisser de faire toujours notre devoir, et de nous appliquer avec ardeur et avec zèle à la piété à la vertu et à toutes sortes de bonnes oeuvres, et de rechercher la sanctification sans laquelle nul ne verra le Seigneur. Souvenons-nous que le tems n’est rien, et que l’éternité est notre tout, et que nous devons principalement aspirer à l’éternelle et glorieuse liberté des enfans de Dieu. Nous serons toujours assez libres au milieu de notre esclavage, lors que nous serons dégagés des liens du péché qui nous enveloppe si aisément, et que nous saurons régner sur nous-mêmes et nos propres passions.
C’est donc à cela, mes très chers frères et très intimes amis, que nous devons travailler de toutes nos forces et avec toute l’ardeur possible. Renouvelons donc à ce grand Dieu le voeu de notre fidélité et de notre obéissance, en lui promettant de lui être fidèles jusques à la mort. Promettons-lui aussi de le servir en nouveauté de coeur et de vie, en vivant le reste de nos jours avec piété, avec justice et avec tempérance. Veuille lui-même accomplir cette sainte et juste résolution, et produire en nous avec efficace le vouloir et le parfaire selon son bon plaisir, afin qu’après que nous l’aurons glorifié sur la terre, malgré le monde et l’enfer, nous puissions être glorifiés avec lui dans le ciel, pendant toute l’éternité, et être rassasiés de sa glorieuse et divine ressemblance, et de ces joyes ineffables qui sont à sa dextre pour jamais !
Pour la conclusion de ces petits règlemens, nous nous adressons à vous, nos très chers, très généreux et très charitables bienfaiteurs, à vous qui nous avez déjà fait tant de bien, et à qui nous avons déjà de si grandes et de si sensibles obligations. Si vous ignorez encore le bon ordre qui s’observe parmi nous, depuis plusieurs années, pour dispenser vos bénéficences avec exactitude et avec équité, ce petit écrit vous en instruira suffisamment.
Nous avons sujet d’espérer que cette connaissance que nous vous donnons aujourd’hui de notre candeur sera un puissant motif pour enflammer de plus en plus votre zèle et votre charité envers nous. Les biens que vous nous avez déjà faits sont très grands, très considérables et très précieux; mais nous osons aussi vous assurer que notre reconnoissance est très grande et très profonde, et que nous la portons aussi loin que des âmes qui ne sont pas tout à fait ingrates sont capables de la porter. Nous osons vous assurer que les voeux ardens que nous présentons à Dieu pour vous tous, se redoublent et se multiplient à proportion que vous multipliez vos bienfaits sur nous.
Le sentiment de vos gratuités est déjà gravé dans nos coeurs en caractères inéfaçables, de sorte que nous n’oublierons jamais les précieux et tendres témoignages d’affection et de bonté que nous recevons journellement de votre part. Au reste, très chers et bien-aymés du Seigneur, nous osons vous supplier de ne pas interrompre le cours de vos douces libéralités. Ouvrez-en plutôt tout à fait la source pour les faire couler plus largement sur nos profondes misères et sur nos grandes nécessités. Le besoin que nous en avons est plus grand que jamais; car, outre que notre nombre est considérablement augmenté par les nouveaux venus qui ont été condamnés pour avoir voulu aller entendre la Parole de Dieu à Orange, et par ceux qui viennent souvent des autres endroits du royaume, c’est que nos parens qui sont restés en France n’ont guère plus le moyen de verser du baume sur nos playes, à cause des impôts et des subsides dont on les accable. Nous osons espérer que vous suppléerez charitablement à leur défaut et à leur impuissance, et que, comme nos maux se multiplient de jour en jour, vous multiplierez aussi les remèdes extérieurs qui nous sont nécessaires, pour les adoucir plus abondamment.
Vous avez présentement la plus belle occasion que vous ayez jamais eue et que vous puissiez jamais avoir de faire du bien, et de montrer votre foi par vos bonnes oeuvres. Pratiquez donc soigneusement le saint et salutaire conseil que le prophète Daniel donnoit autrefois au roi de Babylone, dans le chapitre IVe de ses Révélations: « Rachetez vos péchés par vos aumônes, et vos iniquités en faisant miséricorde aux pauvres », et ce sera un alongement à votre prospérité. Puisque vous ne pouvez pas faire monter votre bien jusques à l’Eternel, faites-le au moins descendre sur ses saints, et de cette manière vous fairez quelque chose pour ce grand Sauveur de nos âmes, qui, ayant promis de ne laisser pas sans récompense un verre d’eau froide que l’on aura donné à l’un de ses disciples en son nom, récompensera à beaucoup plus forte raison, et beaucoup plus amplement, ce que l’on aura fait pour la consolation et pour le soulagement de ses chers disciples qui souffrent pour justice et pour la deffense de la vérité céleste.
Vous n’ignorez pas d’ailleurs, chers et généreux fidèles, ce que nous enseigne le sage Salomon dans la divine morale des Proverbes, que celui qui a pitié du pauvre prête à l’Eternel, qui lui rendra son bienfait. Et quel bonheur, quel grand bonheur, ne sera-ce pas pour vous, chers fidèles, d’avoir prêté vos biens au souverain monarque de tout l’univers, à celui qui est la source et l’auteur de tous les biens, car de lui et par lui sont toutes choses, et qui sans doute vous le rendra avec beaucoup d’usure !
Quel bonheur ne sera-ce pas pour vous de vous être acquis, par le moyen de ces richesses iniques et périssables, un trésor dans le ciel qui ne se rouillera jamais et qu’aucun larron ne pourra vous ravir ! Ah ! ne négligez point, nous vous en conjurons, un si grand et si considérable profit. Ouvrez-nous vos coeurs et vos mains, et Dieu vous ouvrira les entrailles de sa miséricorde pour vous en faire goûter toutes les douceurs et toutes les tendresses; il vous rendra, dès cette vie, dans votre sein une grande mesure de ses bénédictions pressées et entassées, et qu’il répandra par-dessus, et il vous couronnera un jour dans son ciel de toute la gloire de son immortalité bienheureuse.
Faites au reste, s’il vous plaît, quelques réflexions sur l’excès et sur la longueur de nos souffrances et de nos misères, et il ne sera pas possible que ce triste objet n’excite fortement toutes vos compassions envers nous. Il n’est pas nécessaire que je vous en fasse ici une description, vous ne les ignorez pas, car le seul mot de galère comprend tout ce qu’il y a de plus pénible et d’accablant, à quoi l’on joint, pour surcroît, l’inhumanité et l’injustice à cause de la profession de la vérité. Nous dirons seulement que c’est ici la quatorzième année de l’esclavage de plusieurs d’entre nous, et que du reste nos peines et nos douleurs surpassent, sans peut-être exagérer, toutes les expressions.
Nous vous prions encore de vous souvenir de ce que dit le grand Apôtre des Gentils, que celui qui sème chichement recueillera chichement, au lieu que celui qui sème libéralement recueillera libéralement, les cent pour un ne sont rien en comparaison de l’abondante moisson qui vous en reviendra. Mais nous vous prions surtout de vous souvenir de nos tentations et de nos rudes épreuves, et de demander ardemment à Dieu toute la grâce et toute la force dont nous avons besoin pour persévérer constamment jusques à la fin, et pour demeurer plus que victorieux en toutes choses par celui qui nous a aimés.
De notre part, nous ne cesserons de supplier le miséricordieux Auteur de tout don parfait qu’il vous tienne un compte exact de toutes les faveurs que vous nous faites, et qu’il vous rende abondamment selon la gratuité dont vous usez envers nous. Nous le prions en particulier qu’il vous fasse ressentir de nouveaux effets de sa bonté et de sa protection paternelle; qu’il vous accorde une nouvelle abondance de ses bénédictions spirituelles et temporelles, et surtout qu’il répande dans vos coeurs pieux et tendres une nouvelle effusion des dons et des grâces de son Saint-Esprit, afin qu’après que vous l’aurez servi le reste de vos jours en nouveauté de coeur et de vie, vous puissiez boire un jour avec lui dans son royaume céleste le vin nouveau et délicieux de l’éternelle et souveraine félicité. Prions-le tous ensemble qu’il nous fasse la grâce de voir en ce nouvel an la paix de sa pauvre Jérusalem et le rétablissement de ses sanctuaires désolés, et qu’enfin, il nous reçoive tous dans les tabernacles éternels, afin que nous l’y puissions glorifier avec les anges et les bienheureux dans tous les siècles des siècles. Amen.
Fait à Marseille, sur les galères de France, le vingt-cinq février mille et six cens quatre-vingt-dix-neuf, et le quatorzième de nos souffrance.
Signé : Serres, Damouyn, Carrière, Pelecuer, Valette, P. Allix, Bancillon, P. Peraud, Musseton, E. Maurin, D. Gouin, Jean Lardant, Serres le jeune.
Source : « Les galères de France et les galériens protestants des XVIIe et XVIIIe siècles », de Gaston TOURNIER, Les Presses du Languedoc, réédition de 1984, Appendice n° 7, pages 261 à 276.