Renaissance : les arts, peinture, sculpture, architecture

La recherche des techniques de l’Antiquité

« Il remarqua le mode de construction des anciens et sa symétrie. Ce type de construction le frappa comme très différent de celui qu’on employait alors. Il s’appliqua, tandis qu’il regardait les sculptures antiques, à ne pas être moins attentif à ce mode et à cet ordre – tant la structure et la statique de l’édifice, les parties, les conformités et les solutions répondant à leur destination, que la décoration. En y voyant tant de merveilles et de beautés (…), il se mit en tête de retrouver la manière antique de construire dans son excellence, son ingéniosité, ses proportions musicales, là où il était possible de le faire correctement, aisément et économiquement. (…) Pendant ce séjour à Rome, il eut presque continuellement avec lui le sculpteur Donatello, ils faisaient ensemble des relevés approximatifs de presque tous les édifices de Rome et de beaucoup de lieux des environs, avec les mesures de la largeur et de la hauteur autant qu’ils pouvaient s’en assurer. En maints endroits, ils faisaient creuser pour voir l’articulation des parties d’un édifice et leurs caractères… et aussi, là où ils pouvaient la conjecturer, la hauteur, en calculant d’une base à l’autre, ou bien, pour les toits, d’après la hauteur des fondations et des socles.

Ainsi ils faisaient creuser pour découvrir l’articulation des parties et pour retrouver des oeuvres d’art ou des édifices là où apparaissaient quelques vestiges, y employant des portefaix ou autre main-d’oeuvre, au prix de dépenses considérables, personne ne comprenait pourquoi ils le faisaient (…). Ils étaient communément nommés : « ceux du trésor », car on croyait qu’ils cherchaient et faisaient des frais dans ce but. »

Vie de Brunelleschi attribuée à A. Manetti, trad. CI. Lauriol, in Filippo Brunelleschi, la naissance de l’architecture moderne, Paris, 1976.

Palladio élève de l’Antiquité

« C’est par le traité des Quatre livres d’architecture, qui reprend les écrits de Vitruve et des architectes de la Renaissance ainsi que des projets de Palladio lui-même, que l’influence de l’architecture de la Renaissance s’est répandue dans l’Europe du Nord, et en particulier dans l’Angleterre du XVIe siècle.

Dès mon jeune âge, une inclination naturelle me porta à l’étude de l’architecture, et parce qu’à mon jugement les anciens Romains excellèrent en beaucoup de choses j’estimai qu’en l’art de bâtir également ils avaient dépassé tous ceux qui les ont suivis. C’est pourquoi je pris Vitruve pour maître et pour guide, le seul des Anciens dont les écrits nous soient demeurés sur cette matière, et me mis à rechercher et à observer avec curiosité les reliques de tous ces vieux édifices, qui, malgré le temps et la brutalité des Barbares, nous restent encore. Et d’autant qu’ils me paraissaient de jour en jour plus considérables, je commençai de faire une étude très exacte sur chacune de leurs parties, dont je me rendis enfin si soigneux observateur (n’y remarquant rien qui ne fût fait avec très grande raison et très bonne grâce) que souvent je me transportai exprès en divers endroits, tant de l’Italie que d’ailleurs, afin de concevoir par ce qui en reste ce qu’avait été le tout ensemble, et le transposer en dessin. »

Extrait de Palladio, Quatre livres d’architecture, avant-propos.

Un grand mécène

« Laurent de Médicis songea ensuite à rendre sa cité plus grande et plus belle. Comme elle renfermait beaucoup d’espaces dépourvus d’habitations, il fit tracer sur ces terrains de nouvelles rues pour y construire des bâtiments, ce qui la rendit plus belle et plus grande. Grâce à lui, la ville, chaque fois qu’elle n’était pas en guerre, était perpétuellement en fête, assistant à des tournois, à des cortèges où l’on représentait les événements et les hauts faits de l’Antiquité. Son but était de maintenir l’abondance dans la patrie, l’union parmi le peuple et de voir la noblesse honorée. Il chérissait et s’attachait tous ceux qui excellaient dans les arts ; il protégeait les gens de lettres ; rien ne le prouve davantage que sa conduite envers Agnolo de Montepulciano, Cristoforo Landino et messire Demetrios. Le comte Giovanni della Mirandola * homme presque divin, attiré par la munificence de Laurent de Médicis, préféra le séjour de Florence, où il se fixa, à toutes les autres parties de l’Europe qu’il avait parcourues. Laurent faisait surtout ses délices de la musique, de l’architecture, de la poésie. Il existe de lui, dans ce dernier genre, plusieurs morceaux qu’il a non seulement composés, mais encore enrichis de commentaires. Afin que la jeunesse de Florence pût se livrer à l’étude des belles-lettres, il fonda l’université de Pise où il appela les hommes les plus instruits qui fussent alors en Italie. »

*Pic de la Mirandole

in Nicolas Machiavel, Histoires florentines, Livre VIII, vers 1520.

 

Le sculpteur Benvenuto Cellini et son mécène, François 1er (1543)

« Je travaillais avec ardeur, et mes ouvrages [pour le château de Fontainebleau] étaient fort avancés. À ce moment, le roi vint à Paris Mes ouvrages lui donnèrent autant de satisfaction que je pouvais le désirer (…). Revenu au Louvre, après son dîner, il enjoignit (…) de me remettre au plus tôt sept mille écus d’or, en trois ou quatre versements, selon les disponibilités, pourvu qu’il n’y manquât point. »

in Vie de Benvenuto Cellini écrite par lui-même, trad. Maurice de Beaufremont, Juillard, 1965.

 

Commande d’un retable pour l’hôpital des Innocents, 1485

« Francesco, prieur de l’hôpital, s’en remet à Domenico Ghirlandaio * et le charge de peindre un panneau que ledit Francesco a fait fabriquer et a fourni ; Domenico doit peindre ledit tableau entièrement de sa propre main, selon le modèle dessiné sur le papier, avec les personnages et de la manière qui sont indiqués, dans tous les détails selon ce que moi, Fra Bernardo [le frère de l’Hôpital chargé de suivre l’exécution] juge le mieux ; et sans s’écarter de la manière de la composition dudit dessin ; et il doit peindre le tableau tout entier à ses propres frais avec des couleurs de bonne qualité et de la poudre d’or sur les ornements comme il se doit (…); et le bleu doit être d’outremer, de la valeur de quatre florins l’once et il doit avoir achevé et livré ledit tableau d’ici trente mois il recevra pour prix de ce tableau tel qu’il est dit 115 gros florins s’il me semble à moi, Fra Bernardo, qu’il les vaut. »

* : Le 1er maître de Michel Ange


LETTRE ENVOYEE PAR LEONARD DE VINCI AU DUC SFORZA DIT LUDOVIC LE MORE ET SEIGNEUR DE MILAN. Tous les talents de Léonard, dont celui d’ingénieur militaire…

“Ayant très illustre Seigneur, vu et étudié les expériences de tous ceux qui se prétendent maîtres en l’art d’inventer des machines de guerre et ayant constaté que leurs machines ne diffèrent en rien de celles communément en usage, je m’appliquerai, sans vouloir faire injure à aucun, à révéler à Votre Excellence certains secrets qui me sont personnels, brièvement énumérés ici.

1° – J’ai un moyen de construire des ponts très légers et faciles à transporter, pour la poursuite de l’ennemi en fuite ; d’autres plus solides qui résistent au feu et à l’assaut, et aussi aisés à poser et à enlever. Je connais aussi des moyens de brûler et de détruire les ponts de l’ennemi.

2° – Dans le cas d’investissement d’une place, je sais comment chasser l’eau des fossés et faire des échelles d’escalade et autres instruments d’assaut.

3°- Item. Si par sa hauteur et sa force, la place ne peut être bombardée, j’ai un moyen de miner toute forteresse dont les fondations ne sont pas en pierre

4°- Je puis faire un canon facile à transporter qui lance des matières inflammables, causant un grand dommage et aussi grande terreur par la fumée.

5° – Item. Au moyen de passages souterrains étroits et tortueux, creusés sans bruit, je peux faire passer une route sous des fossés et sous un fleuve.

6° – Item. Je puis construire des voitures couvertes et indestructibles portant de l’artillerie et, qui ouvrant les rangs de l’ennemi, briseraient les troupes les plus solides. L’infanterie les suivrait sans difficulté.

7° – Je puis construire des canons, des mortiers, des engins à feu de forme pratique et différents de ceux en usage.

8° – Là où on ne peut se servir de canon, je puis le remplacer par des catapultes et des engins pour lancer des traits d’une efficacité étonnante et jusqu’ici inconnus. Enfin, quel que soit le cas, je puis trouver des moyens infinis pour l’attaque.

9° – S’il s’agit d’un combat naval, j’ai de nombreuses machines de la plus grande puissance pour l’attaque comme pour la défense : vaisseaux qui résistent au feu le plus vif, poudres et vapeurs.

10° – En temps de paix, je puis égaler, je crois, n’importe qui dans l’architecture, construire des monuments privés et publics, et conduire l’eau d’un endroit à l’autre. Je puis exécuter de la sculpture en marbre, bronze, terre cuite. En peinture, je puis faire ce que ferait un autre, quel qu’il puisse être. Et en outre, je m’engagerais à exécuter le cheval de bronze à la mémoire éternelle de votre père et de la Très Illustre Maison de Sforza.

Et si quelqu’une des choses ci-dessus énumérées vous semblait impossible ou impraticable, je vous offre d’en faire l’essai dans votre parc ou en toute autre place qu’il plaira à Votre Excellence, à laquelle je me recommande en toute humilité.”

(Cod. Atl., fol. 391 recto-a, Biblioteca Ambrosiana à Milan, 403 feuillets)

 

La peinture est chose mentale

« Nous autres peintres, nous voulons par les mouvements du corps, montrer les mouvements de l’âme. (…) Il convient donc que les peintres aient une connaissance parfaite des mouvements du corps et les apprennent de la nature pour imiter, si difficile que ce soit, les multiples mouvements de l’âme. Qui, sans l’avoir essayé, pourrait croire combien il est difficile de représenter un visage qui rit sans le faire triste plutôt que joyeux ?

Aussi faut-il l’apprendre de la nature en recherchant les aspects les plus fugitifs des choses, et ceux qui font imaginer au spectateur plus qu’il ne voit. »

Extrait de Leon Battista Alberti, Traité de la peinture, 1435.

 

Le peintre discute et rivalise avec la nature

« Si le peintre veut voir des beautés capables de lui inspirer l’amour, il a la faculté de les créer, et s’il veut voir des choses monstrueuses qui font peur, ou bouffonnes pour faire rire ou encore propres à inspirer la pitié, il est leur maître et dieu ; et s’il veut créer des paysages, des déserts, des lieux d’ombre et de frais pendant les chaleurs, il les représente – et de même des lieux chauds par mauvais temps. S’il veut des vallées, s’il veut des hautes cimes de montagnes découvrir de grandes étendues, et s’il veut ensuite voir l’horizon de la mer, il en a la puissance. Et si du fond des vallées il veut apercevoir de hautes montagnes, ou des hautes montagnes les vallées basses ou les côtes, ce qu’il y a dans l’univers (…), il l’a, dans l’esprit d’abord, puis dans les mains. (…) Ne vois-tu pas combien sont divers les animaux et aussi les arbres, herbes, fleurs, et la variété des sites de montagne et de plaine, sources, fleuves, villes, édifices publics et privés, machines à l’usage de l’homme, et différents vêtements, ornements et arts ? Un homme peut être bien proportionné, ou gros et court, ou long et mince, ou moyen ; et qui ne tient pas compte de cette variété fait toujours ses personnages selon le même patron, de sorte qu’ils paraissent frères, ce qui est fort blâmable. Et ne fais pas comme certains qui donnent à toutes les espèces d’arbres, fussent-elles à une distance égale du peintre, la même nuance de vert -, lorsqu’il s’agit des prés ou des plantes et d’autres sortes de terrain et des rocs et des troncs de ces arbres, il faut toujours varier, car la nature varie à l’infini et non seulement dans les espèces – on trouve différentes couleurs dans les mêmes arbres, étant donné que sur certains rameaux les feuilles sont plus belles et plus grandes que sur d’autres. La nature est si plaisante et si riche dans ses variations que, parmi les arbres de la même espèce, on n’en découvrirait pas un qui ressemblât de près à un autre; et pas seulement parmi les plantes entières, mais parmi les branches et les feuilles et leurs fruits, aucun ne sera trouvé exactement semblable à un autre. il faut bien t’en rendre compte et varier tant que tu peux. »

in Léonard DE VINCI, Traité de la peinture.

 

Qu’admirons-nous dans l’oeuvre d’art ?

Lettre de Manuel Chrysoloras, professeur de grec à Florence

« Bien qu’il n’y ait pas, je suppose, plus de minutie dans les images que dans les êtres, on loue plus ou moins celles-là selon que leur apparence a plus ou moins de ressemblance avec ceux-ci. Et pourtant, quand ils sont présents, nous n’arrêtons pas notre attention sur les êtres et sur leurs beautés, alors que nous sommes frappés d’admiration devant leurs images. Nous ne nous attardons pas à chercher si le bec d’un oiseau vivant ou le sabot d’un cheval vivant a une courbure heureuse, alors que la crinière d’un lion de bronze, si elle se déploie avec beauté, ou les feuilles d’un arbre de pierre, si elles reproduisent les fibres, ou la jambe d’une statue, si elle fait entrevoir sur la pierre les tendons et les veines – cela fait plaisir aux hommes, et nombre d’entre eux auraient donné avec joie de nombreux chevaux vivants et sans défauts afin d’avoir un seul cheval de Phidias ou de Praxitèle, même s’il se trouvait être brisé et mutilé. Il n’est pas honteux de regarder les beautés des statues et des tableaux, cela révèle même une certaine noblesse de l’intellect qui les admire ; ce qui est honteux et licencieux, c’est de regarder les beautés des femmes. À quoi cela tient-il ? À ce que nous admirons dans ces oeuvres, non pas les beautés des corps, mais la beauté de l’esprit de celui qui les a faites; à ce que ce dernier, telle une cire modelée avec beauté, produit, dans la pierre, le bois, le bronze ou les couleurs, une empreinte qu’il transmet par les yeux à l’imagination de l’âme. Et de même qu’en chacun l’âme dispose le corps (…) au point qu’on voit en lui les dispositions qu’elle a (chagrin, joie ou colère), de même, grâce à la ressemblance et à sa dextérité, l’artiste dispose la nature de la pierre, pourtant si rigide et résistante à l’empreinte, ou celle du bronze ou des couleurs (…) au point qu’on voit en eux les émotions de l’âme. Lui qui n’est personnellement pas plus disposé à rire, encore moins peut-être à se réjouir ou à s’irriter, à pleurer, qu’il n’est disposé aux émotions opposées à celles-là, il les empreint dans la matière, Voilà donc ce que nous admirons dans les oeuvres ».

Cité par M. Baxandall, Les Humanistes à la découverte de la composition en peinture, 1340-1450, Éd. du Seuil, 1989, p. 107-108.

 

Des trois sortes de perspectives

« – La perspective emploie pour les distances deux pyramides opposées, dont l’une a son sommet dans l’oeil et sa base à l’horizon et l’autre a sa base du côté de l’oeil et son sommet à l’horizon. La première se rapporte à l’univers et embrasse la masse des objets qui passent devant l’oeil, comme un il vaste paysage vu par une étroite ouverture. Les objets aperçus par ce trou sembleront d’autant plus nombreux qu’ils sont plus éloignés de l’oeil.

La seconde pyramide se rapporte à une particularité du paysage, qui paraît d’autant moindre qu’elle s’éloigne davantage de l’oeil. Ce second exemple de perspective dérive du premier.

Pour toute figure placée à une 1 grande distance, tu commences par perdre d’abord la notion de ses parties les plus petites, et conserves jusqu’à la fin celle des plus grandes, en cessant toutefois de distinguer leurs extrémités; elle deviennent elliptiques ou sphériques et leurs limites, confuses.

En peinture, la perspective se divise en trois parties principales: la première traite de la diminution que subit la dimension des corps à diverses distances, à mesure qu’ils s’éloignent de l’oeil; la seconde concerne l’atténuation de leurs couleurs en s’éloignant de l’oeil; la troisième l’atténuation des formes et contours à diverses distances.

Et leurs noms sont: perspective linéaire, perspective de la couleur, perspective de la diminution. »

in Carnets de Léonard de Vinci.

 

Les Florentins éminents

Vasari, peintre florentin, familier de Laurent le Magnifique, est le premier historien de l’art. Dans ses vies des peintres illustres, il tente de définir le style de chaque artiste et de dégager les caractéristiques de chaque époque.

« Quand la nature crée un homme très éminent dans un domaine, d’ordinaire elle ne le crée pas seul (…). La preuve en est l’apparition à Florence, dans une même génération, de Filippo [Brunelleschi], Donatello, Lorenzo [Ghiberti], Paolo Uccello et Masaccio, chacun si excellent dans son domaine qu’il n’a pas seulement mis fin aux procédés grossiers et maladroits en usage jusqu’alors, mais qu’il a agi par ses beaux ouvrages sur les âmes de ses successeurs, élevant la production artistique au degré de grandeur et de perfection que nous lui voyons aujourd’hui. Nous avons donc, en vérité, une immense obligation envers ces initiateurs qui nous ont montré par leur labeur la vraie voie à suivre pour marcher vers la perfection. »

in Giorgio Vasari, Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes, 1542-1550.

Un coup de foudre

« Cette peinture [la Cène] est d’une telle noblesse par sa composition comme par l’incomparable soin de son exécution, qu’elle inspira au roi de France le désir de l’emporter dans son royaume. Il rechercha par tous les moyens des architectes capables de l’armer de traverses de bois et de fer pour permettre un transport sans danger. Il n’aurait pas regardé à la dépense, tant il la désirait. Mais elle avait été réalisée sur un mur ; sa Majesté en fut pour son désir, et l’oeuvre resta aux Milanais. »

in G. Vasari, Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes, 1542-1550.

 

Michel Ange artiste parfait

« Dans son infinie bonté, le maître du Ciel tourna ses regards cléments sur la terre et (…) il se résolut à envoyer sur terre un esprit également apte à tous les arts et à toutes les disciplines, démontrant à lui seul où est la perfection de l’art du dessin pour les lignes, les contours, les ombres et les lumières, l’effet du relief en peinture, les opérations judicieuses en sculpture et la production en architecture de demeures commodes et solides, hygiéniques, plaisantes, de belles proportions, et enrichies de toutes sortes d’ornements (…). Il tint à lui donner pour patrie Florence, comme la plus digne des cités (…). Dans sa passion pour les travaux de l’art, Michel-Ange triomphait quelles que soient les difficultés, la nature ayant doté son génie d’une aptitude pratique aux plus hautes ressources du dessin. Pour arriver à la perfection absolue, il pratiqua abondamment les dissections anatomiques pour repérer les attaches, les ligaments des os, des muscles, des nerfs (…). Son génie fut reconnu dès son vivant (…). Cela n’arrive qu’aux hommes d’un mérite grandiose comme le sien, où la conjugaison des trois arts * créait l’état de perfection, que Dieu n’a accordé, durant les siècles de l’Antiquité comme dans les modernes, à nul autre que lui.

in Vasari, Vies des plus grands peintres, sculpteurs et architectes italiens, 1550.

* La peinture, la sculpture et l’architecture.

 

Michel-Ange et la chapelle Sixtine vers 1508

«Tandis que le pape s’en était retourné à Rome, et que Michel-Ange terminait sa statue à Bologne, étant donc absent de Rome, Bramante [architecte italien], ami et parent de Raphaël d’Urbino [peintre italien], et par conséquent peu ami de Michel-Ange, voyant que le pape se plaisait à augmenter l’importance des travaux de sculpture, médita de lui en faire passer le goût, de manière qu’au retour de Michel-Ange, Sa Sainteté ne fît plus travailler à terminer son tombeau. Bramante lui disait qu’il avait l’air de se dépêcher de mourir, et que cela, portait malheur de préparer pendant sa vie sa propre sépulture. Bramante et Raphaël persuadèrent si bien le pape qu’au retour de Michel-Ange, Sa Sainteté, en mémoire du pape Sixte, son oncle, lui fit peindre la voûte de la chapelle que ce dernier avait fait élever dans le palais.

Bramante et les autres rivaux de Michel-Ange espéraient ainsi l’arracher à la sculpture, dans laquelle ils reconnaissaient sa grande perfection, et ils pensaient le mettre au désespoir, en le faisant peindre, car il n’avait pas l’expérience de la fresque, travail moins honorable, dans lequel ils pensaient le voir en arrière de Raphaël. Dans le cas, au contraire, où il réussirait, ils espéraient amener entre le pape et lui quelque contestation par suite de laquelle, d’une manière ou de l’autre, il en résulterait son expulsion.

Michel-Ange étant donc de retour à Rome, et le pape étant décidé à ne pas faire terminer pour le moment son tombeau, Sa Sainteté l’entreprit pour qu’il peignît la voûte de la chapelle Sixtine. Michel-Ange, qui désirait terminer le tombeau, et à qui le travail de la voûte paraissait grand et difficile, étant donné le peu de pratique qu’il avait des couleurs, chercha par tous les moyens à se décharger de ce fardeau, en mettant en avant le nom de Raphaël. Mais, plus il s’excusait, plus le désir du pape devenait impérieux, impétueux comme il l’était dans toutes ses entreprises. Et poussé par les rivaux de Michel-Ange, particulièrement par Bramante, le pape, qui était vif, faillit se fâcher avec Michel-Ange. Celui-ci, voyant que le pape persistait dans son intention, se résignât. »

Extrait de « Vie des peintres » de Giorgio Vasari, publié en 1558. (Passage consacré à la vie de Michel-Ange)
Giorgio Vasari, « Vie des peintres », Lonrai (FR), Les Belles Lettres, 2002

 

Michel-Ange est déjà un sculpteur reconnu. Peu de temps avant de faire connaissance avec Jules II, il sculpte le «David », l’une des plus belle sculpture de tout les temps pour la ville de Florence. Le pape est très admiratif du travail de l’artiste et lui a déjà demandé de concevoir son futur tombeau. Juste avant son retour à Rome, Michel-Ange a sculpté à Bologne une statue en bronze pour ce même Jules II. Michel-Ange n’avait plus rien peint depuis qu’il a quitté les cours de peinture du maître Ghirlandajo, à l’âge de 14 ans. C’est pourquoi, il craint de ne pas être à la hauteur pour la création de la fresque. Michel-Ange passera quatre ans à peindre sur un échafaudage la chapelle Sixtine (1508-1512).

L’architecture gothique jugée par Vasari (1568)

« Il y a un autre style appelé gothique, dont les éléments décoratifs et les proportions sont très différents des antiques et des modernes. Les bons architectes d’aujourd’hui ne J’emploient pas, ils le fuient comme monstrueux et barbare. Chacun de ses éléments étant dépourvu de toute règle, on peut parler de confusion et de désordre ; ces constructions sont si nombreuses qu’elles ont infecté le monde. Les portes sont ornées de colonnes fines et torses comme des ceps de vigne, incapables de soutenir un poids si léger soit-il (…)

Ce style fut créé par les Goths. Après avoir ravagé les constructions antiques et tué les architectes dans les guerres, ils élevèrent avec les survivants des édifices de ce style : ils lancèrent des voûtes sur des arcs en ogive et couvrirent de ces maudites constructions toute l’Italie, qui, lasse d’en voir, a fini par se débarrasser complètement de ce style. Que Dieu préserve tout le pays de cette conception et cette manière de bâtir ! Leur difformité en regard de la beauté de nos monuments fait que ces ouvrages ne méritent pas qu’on en parle plus longtemps. »

Traduction sous la dir. de A. Chastel.