« Nos maisons n’étaient que des cabanes en rondins (les toits en partie ouvert et le sol en terre battue), la pluie tombait à l’intérieur. Ma tante était presque une vieille femme et avait été malade plusieurs années ; je l’ai vue sous l’eau transporter d’un bout à l’autre de la maison ses couvertures roulées pour essayer de les garder sèches ; tout était sale et boueux. Je vivais dans la maison avec ma tante. Mon lit consistait en une planche assez large pour dormir dessus, un bout sur un tabouret, l’autre placé près du feu. Ma veste me servait d’oreiller et n’importe quels vêtements me servaient de couverture. C’est ainsi qu’un célibataire dormait, nous avions le confort que donne l’habitude. Je me souviens seulement d’avoir eu une couverture à l’âge de dix-neuf ans, quand je me suis enfuit. Notre allocation hebdomadaire était composée d’un picotin de maïs tamisé, d’une douzaine et demie de harengs, deux livres et demie de porc. Quelques garçons mangeaient cela en trois jours, puis ils devaient voler sinon ils ne pouvaient pas accomplir leurs tâches. Ils visitaient l’enclos à cochons, l’enclos à moutons et les greniers. Je ne me rappelle pas qu’un esclave n’ait pas volé quelque chose ; ils y étaient poussés par la nécessité ; j’ai fait cela aussi. Combien de fois ai-je, avec les autres couru le long des piquets à la poursuite d’un mouton pour avoir quelque chose à manger…
En ce qui concerne la cuisine, la plupart du temps plusieurs d’entre eux, devaient cuisiner avec un seul feu et avant que tout le monde puisse faire cuire les gâteaux, la corne du contremaître sonnait: alors, ils devaient courir immédiatement sur les lieux. Plusieurs fois, j’allai mangeant un bout de pain avec de la viande ou du hareng grillé sur le charbon. Je ne me suis jamais assis à une table pour manger sauf à la saison des récoltes, j’étais un esclave tout le temps. A l’époque des récoltes, la cuisine est faite dans la grande maison puisque tout le monde est réquisitionné dans les champs. Ceci nous convenait mieux, nous nous asseyions alors pour prendre nos repas. En été, nous avions une paire de pantalons en lin qu’on nous donnait; rien d’autre. Chaque automne, une paire de pantalons en laine, une veste en laine et deux chemises en coton.
Mon maître avait quatre fils dans sa famille. Ils sont tous partis sauf un, qui resta pour être surveillant. Il venait souvent au champ et accusait les esclaves d’avoir pris telle ou telle chose. Si nous niions, il fouettait les adultes pour les soumettre. Souvent, alors que nous ne le voyions pas, il se cachait dans les bois pour nous épier. Tout ce que nous savions, c’est qu’il était assis sur la clôture nous regardant et si certains étaient oisifs, le jeune maître allait lui donner des coups. J’ai su qu’il avait donné un coup de pied à ma tante, une vieille femme qui avait été sa nounou et je l’ai vu punir mes soeurs sévèrement avec des triques en noyer.
Les esclaves étaient surveillés par des patrouilleurs à cheval qui essayaient de les attraper quand ils étaient en dehors du village nègre, particulièrement à la maison d’un homme de couleur affranchi. J’ai appris que des esclaves avaient tendu des fils à sécher le linge en travers de la rue, assez haut pour laisser un cheval passer, mais pas son cavalier ; ensuite, les garçons ont couru pour échapper aux patrouilleurs qui, les poursuivant, furent désarçonnés en s’empêtrant dans les fils. Les patrouilleurs sont des petits Blancs pauvres qui vivent de pillage, de vol, de chasse à l’esclave évadé pour toucher une prime et qui tiennent un petit commerce sur la route publique. Ils prendront ce que les esclaves volent, payant en argent, en whisky ou ce que les esclaves veulent. Ils prennent des cochons, des moutons, de la farine, du maïs ; en prenant ces choses, ils encouragent les esclaves à voler; ils revendent les marchandises au marché le lendemain. Ce n’est que de la spéculation, tout est une question d’intérêt personnel et quand les esclaves s’évadent, ces mêmes commerçants les attrapent quand ils peuvent, pour toucher la récompense. Si un esclave les menace de révéler leur trafic, ils n’y prennent pas garde ; la parole d’un esclave ne vaut rien, ils ne seraient pas pris. »
Témoignage d’un esclave – vers 1840
Francis Henderson avait dix-neuf ans quand il réussit à s’échapper d’une plantation dans les environs de Washington, D.C., en 1841.
Il décrit dans son « journal » les conditions de vie déplorables et cruelles des esclaves dans les plantations du sud des Etats-Unis.