Théorie militaire et réalité des années 30 est le deuxième extrait permettant de se rendre compte des lectures d’Isserson mais aussi de sa volonté farouche de secouer l’enseignement et l’étude de la guerre dans le contexte géopolitique agité des années 30.

La dimension socialiste et révolutionnaire est à mettre en perspective, avec cette idée que l’URSS, non seulement crée une nouvelle société, mais aussi que le processus totalitaire du projet communiste va changer jusqu’aux fondements même de la guerre et de l’art de mener des batailles. Théorie militaire et réalité des années 30 sont à un tournant.


Ce n’est que récemment, lorsque l’ascension du fascisme allemand au pouvoir a créé une menace de guerre d’une ampleur sans précédent, qu’ont paru un certain nombre de nouveaux travaux sur la nature des conflits armés contemporains. On écrit beaucoup sur la guerre future. Des écrivains militaires comme Ludendorff, [J. F. C.] Fuller, [Friedrich] Immanuel, [Horst von] Metzsch, [Edouard] Requin, Rocco Morretta, [Ettore] Bastico et d’autres tentent de prédire la nature de la guerre future, chacun ayant son propre point de vue. Parmi les nouvelles œuvres, il y a de nombreuses idées intéressantes, mais néanmoins, elles restent pour la plupart des spéculations. Le sujet principal est : à quoi ressemblera la guerre future?  C’est encore moins les divers auteurs qui analysent et justifient les formes concrètes d’opérations dans la guerre contemporaine. Une exception notable est le général français Loizeau, qui, dans ses « Deux Manœuvres », tente de régler en pratique un certain nombre de questions sur les opérations contemporaines. Néanmoins, dans l’ensemble, les prévisions sur la guerre future dans la littérature étrangère n’avancent pas d’idées principalement nouvelles. Sur la base de la plus grande construction révolutionnaire, notre pensée militaro-scientifique s’est développée selon ses propres lignes. Dans une analyse des formes de la lutte armée contemporaine, il fallait oser soulever et régler un certain nombre de questions nouvelles. À cet égard, notre littérature présente des avantages évidents. [V. K.] La nature des opérations des armées modernes de Triandafillov est un ouvrage notable parmi d’autres consacrés à l’opération contemporaine. L’étendue et la nature des questions traitées se résument à l’élaboration d’un système opérationnel complet, qui résout un certain nombre de problèmes dans un contexte pratique. Mais il faut garder à l’esprit le fait qu’avant sa mort tragique, Triandafillov avait radicalement changé d’avis sur un certain nombre de questions essentielles. Sur la base de nos réalisations, son esprit curieux cherchait des perspectives nouvelles et plus vastes. Un accident tragique ne lui a pas permis d’élaborer un nouveau système de vues opérationnelles. Entre-temps, la vie a beaucoup avancé. En conclusion, l’enseignement des opérations contemporaines est insuffisamment élaboré et reste l’aspect le moins élaboré de l’art militaire. Le fait que cette situation se soit déjà produite dans l’histoire ne peut guère être une consolation.

Dans les conditions capitalistes, la théorie militaire a toujours pris du retard sur la pratique et, en premier lieu, ce fait s’est reflété dans les questions opérationnelles. Dans une large mesure, les tactiques consistent en une pratique qui peut être testée dans des manœuvres et des exercices. En temps de paix, la conduite des opérations relève essentiellement de la théorie qui ne peut être testée. Il est beaucoup plus facile d’appliquer de nouveaux moyens à une échelle limitée que d’organiser leur application massive.

 

Traduction issue de la version anglaise : Brigade Commander Georgii Isserson The evolution of operational art, CreateSpace Independent Publishing Platform, 2013, 136 pages, extraits page 10.

Proposition, présentation et traduction : Ludovic Chevassus

Mise en page et relecture  : Cécile Dunouhaud