Trotsky, / Agence Meurisse

La clé de la situation internationale est en Allemagne (novembre 1931)

« L’objet des présentes lignes est d’indiquer même à grands traits, la tournure que prend actuellement la situation politique mondiale du fait des contradictions fondamentales du capitalisme décadent, contradictions compliquées et aggravées par une grave crise commerciale, industrielle et financière. (…)

1. La révolution espagnole a créé les prémisses politiques générales à la lutte directe du prolétariat pour le pouvoir (…). Cet exemple montre que le fascisme n’est nullement le seul moyen dont dispose la bourgeoisie pour lutter contre les masses révolutionnaires. Le régime qui existe aujourd’hui en Espagne correspond essentiellement à la notion de kerenskysme, c’est-à-dire au dernier (ou l’avant-dernier) gouvernement de « gauche » que la bourgeoisie puisse mettre en avant dans sa lutte contre la révolution. Un gouvernement de ce type ne signifie pas nécessairement faiblesse et prostration. En l’absence d’un puissant parti révolutionnaire du prolétariat, la combinaison de pseudo-réformes, de phrases de gauche, de gestes encore plus de gauche et de mesures de répression peut rendre à la bourgeoisie plus de services réels que le fascisme.

Inutile de dire que la révolution espagnole n’est pas terminée. Elle ne s’est pas acquittée de ses tâches les plus élémentaires (question agraire, nationale, religieuse) et elle est loin d’avoir épuisé les ressources révolutionnaires des masses populaires. La révolution bourgeoise ne pourra rien donner de plus que ce qu’elle a donné jusqu’à présent. Du point de vue de la révolution prolétarienne, la situation actuelle de l’Espagne peut tout au plus être qualifiée de pré-révolutionnaire. Il est fort probable que le développement prochain de la révolution espagnole traînera plus ou moins en longueur. Par là, le cours de l’histoire ouvre un nouveau crédit au communisme espagnol. (…)

4. Aux Etats-Unis qui sont le pays capitaliste le plus puissant, la crise actuelle a mis à nu avec une violence stupéfiante des contradictions sociales effrayantes. Les Etats-Unis sont passés sans transition d’une période de prospérité inouïe qui stupéfia le monde entier par un feu d’artifice de millions et de milliards de dollars, au chômage de millions de personnes, à une période de misère biologique épouvantable pour les travailleurs. Une secousse sociale aussi importante ne peut pas ne pas marquer l’évolution politique du pays. (…) On peut supposer que les masses elles-mêmes ont été à ce point surprises par la crise de conjoncture catastrophique, à ce point écrasées et abasourdies par le chômage ou la peur du chômage, qu’elles n’ont pas encore réussi à tirer les conclusions politiques les plus élémentaires du malheur qui s’est abattu sur elles. (…) Mais les conclusions seront tirées. La crise économique gigantesque qui a pris l’aspect d’une crise sociale, se transformera inévitablement en une crise de la conscience politique de la classe ouvrière américaine. (…) D’une manière ou d’une autre, la crise actuelle ouvrira une ère nouvelle dans la vie du prolétariat et du peuple américain dans son ensemble. (…) Le capitalisme américain entrera dans une phase d’impérialisme monstrueux, de course aux armements, d’immixtion dans les affaires du monde entier, de secousses militaires et de conflits.

(…)

9. La situation en Allemagne se détache nettement sur le fond politique mondial qui, pourtant, est loin d’être pacifique. Les contradictions économiques et politiques y ont atteint une acuité inouïe. Le dénouement est tout proche. L’heure a sonné où la situation de pré-révolutionnaire doit devenir révolutionnaire ou contre-révolutionnaire. Le tour que prendra le dénouement de la crise allemande réglera pour de très nombreuses années non seulement le destin de l’Allemagne (ce qui en soi est déjà beaucoup), mais aussi le destin de l’Europe et du monde entier.

La construction du socialisme en URSS, le cours de la révolution espagnole, l’évolution d’une situation prérévolutionnaire en Angleterre, l’avenir de l’impérialisme français, le sort du mouvement révolutionnaire en Inde et en Chine, tout cela se ramène directement à la question : qui, du communisme ou du fascisme, sera vainqueur en Allemagne au cours des prochains mois ? (…)

10. (…) Le fascisme est le produit de deux facteurs : une crise sociale aiguë, d’une part, la faiblesse révolutionnaire du prolétariat allemand d’autre part. (…)

Le fascisme volerait effectivement en éclats, si le Parti communiste était capable d’unir la classe ouvrière, la transformant ainsi en puissant aimant révolutionnaire pour l’ensemble des masses opprimées du peuple. (…) »

L. Trostky, « La clé de la situation internationale est en Allemagne », novembre 1931, in http://marxists.anu.edu.au/archive/noneng/francais/trotsky/index.htm

L’opinion de Trotsky sur le 6 février 1934 en France

« Le peuple français a longtemps pensé qu’il n’était pas concerné par le fascisme. Ils avaient une république dans laquelle tous les problèmes étaient traités par le peuple souverain, par l’exercice du suffrage universel. Mais le 6 février 1934, plusieurs milliers de fascistes et de royalistes, armés de revolvers, de matraques et de rasoirs, ont imposé au pays le gouvernement réactionnaire de Doumergue, sous la protection duquel les groupes fascistes continuent de croître et de s’armer. Que le future nous réserve-t-il?

Bien sur, en France, comme dans certaines autres pays européens (l’Angleterre, la Belgique, la Hollande, la Suisse, les pays Scandinaves) il existe encore des parlements, des élections, des libertés démocratiques, ou ce qu’il en reste.

Mais dans tous ces pays, les mêmes lois historiques opèrent, les lois du déclin capitaliste. Si les moyens de production restent dans les mains d’un petit nombre de capitalistes, il n’y a pas de solution pour la société. Elle est condamnée à aller de crise en crise (…). Dans les divers pays, la décrépitude et la désintégration du capitalisme est exprimé de divers manières et à des rythmes inégaux. Mais les caractéristiques de base du processus sont les mêmes partout. La bourgeoisie amène sa société à une banqueroute totale. Elle n’est capable d’assurer ni le pain ni la paix au peuple. C’est précisément pourquoi elle ne peut plus tolérer l’ordre démocratique. Elle est forcée d’écraser les travailleurs et les paysans par l’usage de la violence physique Le mécontentement des travailleurs et des paysans, cependant, ne peut pas être écrasé par la police seule. De plus, il est souvent impossible de faire marcher l’armée contre le peuple. Cela finit toujours par le passage d’une grande partie des soldats aux côtés du peuple. C’est pourquoi le capital financier est obligé de créer des bandes armées spéciales, entraînées à combattre les travailleurs comme certaines races de chiens sont entraînées à la chasse. La fonction historique du fascisme est d’écraser la classe ouvrière, de détruire ses organisations, et de réprimer les libertés politiques quand les capitalistes sont incapables de gouverner avec l’aide de la machine démocratique.

Les fascistes trouvent leur matériel humain principalement dans la petite bourgeoisie. Cette dernière a été entièrement ruinée par le grand capital. Il n’y a pas de solution pour elle dans l’ordre social actuel, mais elle n’en connaît pas d’autre. Son manque de satisfaction, son indignation, son désespoir sont détournés par les fascistes, du grand capital sur les travailleurs. On peut dire que le fascisme place la petite bourgeoise entre les mains de son plus âpre ennemi. De cette manière, le grand capital ruine les classes moyennes et ensuite, avec l’aide de démagogues fascistes à sa solde, excite contre le travailleur cette petite bourgeoisie désespérée. Le régime bourgeois ne peut être conservé que par des moyens aussi meurtriers. Pour combien de temps? Jusqu’à son renversement par la révolution prolétarienne.  »

TROTSKY, Léon, « Qu’est-ce que le fascisme, et comment le combattre », 1934. (« FASCISM — What It Is and How To Fight It », traduction de Laurence Hauck, enseignante au Collège Rousseau à Genève. )