Dès les premiers pas de la négociation, des déclarations de principes, faites par le gouvernement français, portèrent le gouvernement de S. M. à croire que les deux gouvernements ne pourraient qu’accéder au moyen de mettre à exécution leurs principes communs.
Si les intentions et les opinions du gouvernement français sur les moyens d’exécution différaient, même dès le commencement des négociations, de celles du gouvernement britannique, la France n’a certainement pas le droit de qualifier de dissidence (schisme) inattendue, entre la France et l’Angleterre, celle que le gouvernement français reconnaît avoir existé depuis longtemps.
Si les intentions et les opinions du gouvernement français, relativement aux moyens d’exécution, ont subi un changement depuis l’ouverture des négociations, la France n’a certainement pas le droit d’imputer à la Grande-Bretagne une divergence de politique, qui provient d’un changement de la part de la France et nullement de l’Angleterre.
Mais de toute manière, quand, de cinq puissances, quatre d’entre elles se sont trouvées d’accord sur une ligne de conduite, et que la cinquième a résolu de poursuivre une conduite entièrement différente, il ne serait pas raisonnable d’exiger que les quatre abandonnassent, par déférence pour la cinquième, les opinions dans lesquelles elles se confirment de jour en jour davantage, et qui ont trait à une question d’une importance vitale pour les intérêts majeurs et futurs de l’Europe.
Mais comme la France continue à s’en tenir aux principes généraux dont elle a fait déclaration au commencement, et qu’elle continue à soutenir qu’elle considère le maintien de l’intégrité et de l’indépendance de l’empire turc sous sa dynastie actuelle comme nécessaire pour la conservation de l’équilibre dès puissances et pour assurer la paix ; comme la France n’a jamais méconnu que l’arrangement que les quatre puissances ont l’intention d’amener entre le sultan et le pacha fût, s’il pouvait être exécuté, LE MEILLEUR ET LE PLUS COMPLET; et comme les objections de la France s’appliquent, non sur la fm qu’on se propose, mais sur les moyens par lesquels on doit arriver à cette fin, son opinion étant que cette fm est bonne, mais que les moyens sont insuffisants et dangereux, le gouvernement de S. M. a la confiance que l’isolement de la France des autres quatre puissances, isolement que le gouvernement de S.M. regrette on ne peut plus vivement, ne peut pas être de longue durée.
Car lorsque les quatre puissances réunies au sultan seront parvenues à amener un pareil arrangement entre la Porte et ses sujets, arrangement compatible avec l’intégrité de l’empire ottoman et avec la paix future de l’Europe, il ne restera plus aucun point de dissidence entre la France et ses alliés; et il ne peut rien y avoir qui puisse empêcher la France de concourir avec les quatre puissances à tels autres engagements pour l’avenir, qui puissent paraître nécessaires pour donner une stabilité convenable aux bons effets de l’intervention des quatre puissances en faveur du sultan et pour préserver l’empire ottoman de tout retour de danger.
Le gouvernement de S.M. attend avec impatience le moment où la France sera en position de reprendre sa place dans l’union des puissances, et espère que ce moment sera hâté par l’entier développement de l’influence morale de la France. Quoique le gouvernement français ait, pour des raisons qui lui sont propres, refusé de prendre part aux mesures de coercition contre Méhémet-Ali, certainement ce gouvernement ne peut rien objecter à l’emploi de ces moyens de coercition pour porter le pacha à se soumettre aux arrangements qui doivent lui être proposés ; et il est évident qu’il y a plus d’un argument qui peut être mis en avant, et plus d’une considération de prudence qui peut être appuyée auprès du pacha avec plus d’efficacité par la France, comme puissance neutre, ne prenant aucune part à ces affaires, que par les quatre puissances qui sont activement engagées à l’exécution des mesures de contrainte.
Quoi qu’il en soit, le gouvernement de S. M. a la confiance que l’Europe reconnaîtra la moralité du projet qui a été mis en avant par les quatre puissances, car leur but est désintéressé et juste; elles ne cherchent pas à recueillir quelques avantages particuliers des engagements qu’elles ont contractés; elles ne cherchent à établir aucune influence exclusive, ni à, faire aucune acquisition de territoire; et le but auquel elles tendent doit être aussi profitable à la France qu’à elles-mêmes, parce que la France, ainsi qu’elles-mêmes, est intéressée au maintien de l’équilibre des puissances et à la conservation de la paix générale.
Palmerston à Guizot, Mémorandum d’août 1840, Recueil de pièces officielles sur les affaires d’Orient, Paris, Treuse, 1840, p. 43-45.