Louis Aragon (1897-1982) fut un immense poète français. Il fut aussi, à partir de 1927, membre du Parti communiste français, comme de nombreux intellectuels et artistes. Mais alors que beaucoup finirent par quitter le P.C.F dans les décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, Aragon lui resta fidèle jusqu’à sa mort. Conjointement à sa brillante carrière d’écrivain, Aragon poursuivit au service de la presse du Parti une longue carrière de journaliste et dirigea de 1953 à 1972 le mensuel Les Lettres françaises.

Le poème ci-dessous a été publié en Une du journal L’Humanité dans son édition du  8 avril 1953. Staline est mort un mois plus tôt et la guerre de Corée, conflit typique de guerre froide, n’est pas encore terminée. Le PCF se définit alors comme un parti stalinien et revendique fièrement cette filiation avec le « grand frère » soviétique.

Le poème d’Aragon, « Il revient », célèbre le retour prochain de Maurice Thorez dans sa patrie. Celui qui est secrétaire général du PCF depuis 1930, M. Thorez, est en convalescence en URSS depuis près de trois ans, à la suite d’une attaque d’hémiplégie en octobre 1950. Après une si longue absence, on conçoit que le retour de « Maurice » parmi les siens soit un événement pour les communistes français.

Le poème d’Aragon témoigne surtout de l’importance du culte de la personnalité entourant le secrétaire général du PCF, à l’image du culte de Staline dans le monde communiste. Thorez, dont le nom n’est jamais prononcé, « Maurice » suffit, est présenté par le poète, qui n’est décidément pas avare de louanges, comme une sorte de messie infaillible revenant parmi les siens.

Dans son numéro du 9 avril 1953, le quotidien Le Monde  consacra un petit article au poème d’Aragon qui se terminait par : « Malgré tout, on préfère les Yeux d’Elsa… » . Nous aussi …


Il revient


Du printemps qui viendra tout l’hiver l’homme doute
La nuit a peine à croire aux blancheurs du matin
Et le pilote absent les passagers font route
Entre des récifs noirs et des phares éteints
Nous avions dans le cœur comme une défaillance
Le grand malheur d’un jour d’octobre qui frappa
L’homme que nous suivions mais avec lui la France
Où voici de nouveau que l’étranger campa


Ce fut lui le premier à dire de Strasbourg
Mein Kampf le plan gammé des aigles sur Paris
Rouvrir les poings fermés pour un geste d’amour
Unir hier et demain dans la même patrie
Et réconciliant les deux chansons françaises
Faire ensemble monter du peuple de Valmy
L’Internationale avec la Marseillaise
Et se tendre la main les frères ennemis


Lui de qui la leçon féconde et nécessaire
Guida Sémard Péri Politzer et Fabien
Lui qui fut le dernier soleil à qui pensèrent
Ceux de Châteaubriant et du Mont Valérien
Lui sans qui de retour pour dire à l’aventure
Tu n’es pas le chemin du peuple triomphant
L’espoir impatient dans les choses futures
Dans le père et la mère aurait tué l’enfant


On avait beau se dire II reviendra c’est sûr
Et ce sera Maurice avec nous comme avant
Le mensonge ennemi ravivait la blessure
Que nous portions au cœur depuis plus de deux ans
On avait beau se dire Au pays de Staline
Le miracle n’est plus un miracle aujourd’hui
Deux ans l’attendre avec ce que l’on imagine
Et les propos des gens deux ans c’est long sans lui


Mais voici qu’on apprend que dans le Kremlin rose
Aux assises d’un peuple il est venu debout
Dire au milieu de ce bilan d’apothéose
Comme au Vel’d’Hiv’ alors qu’il était parmi nous
Ce qu’il disait naguère et nous disons encore
Jamais non jamais le peuple de France Non
Jamais nous ne ferons la guerre à cette aurore
Nous saurons museler l’atome et le canon


Il revient Les vélos sur le chemin des villes
Se parlent rapprochant leur nickel ébloui
Tu l’entends batelier Il revient Quoi Comment II
Revient Je te le dis docker II revient oui
Il revient Le wattman arrête la motrice
Camarade tu dis qu’il revient tu dis bien
Et l’employé du gaz interroge Maurice
Reviendrait Mais comprends on te dit qu’il revient


Maurice Je comprends Ce n’est donc pas un rêve
Les vestiaires sont pleins de rumeurs Vous disiez
Il revient Ces mots-là sont la lampe que lèvent
Les mineurs aujourd’hui comme aux jours de Waziers

Il revient Ces mots-là sont la chanson qu’emporte
Le journalier La chanson du soldat du marin
C’est l’espoir de la paix et c’est la France forte
Libre et heureuse Paysan lance le grain


O femmes souriez et mêlez à vos tresses
Ces deux mots-là comme des fleurs jamais fanées
Il rerient Je redis ees deux mots-là sans cesse
Tout se colore d’eux après ces deux années
Il rerient il revient il vient il va venir
En avant Le bonheur de tous est dans nos mains

Il semble qu’à le dire on ouvre l’avenir
Et l’on entend déjà chanter les lendemains

ARAGON.

Publié en Une de L’Humanité du 8 avril 1953