Jusqu’en 1570, le Klausenmärik (marché de la Saint Nicolas) s’organise autour de la cathédrale, à partir du 6 décembre. Cette tradition (déjà !) commerciale bien établie est alors remise en question par un prédicateur luthérien Johann Flinner, puis remplacée par le Christkindlemärik ( = marché de l’enfant Jésus), décalé dans le calendrier et situé 3 jours avant Noël.
Dans la première moitié du XIXème siècle, le Courrier du Bas Rhin se fait l’écho de ce changement dans son numéro du 25 décembre 1842.
Noël est arrivé, Noël, la fête de l’enfant Jésus, la fête des enfants ; Noël, le jour des étrennes, des cadeaux, de l’allégresse des surprises ; Noël, avec ses rêves de bonheur, ses merveilles et ses enchantements. Ces anges doraient ses rameaux de sapins étincelants de lumière. L’enfant Jésus, le Christkindle, va reparaître sous la forme d’une vierge blanche pure, chaste et candide, pour récompenser les enfants dociles et obéissants. Écoutez donc! Le voici déjà qui agite sa sonnette! Déjà les lourds sabots de son compagnon redoutable retentissent sur l’escalier ; déjà le Handstrapp, la verge dans la main, le sac sur le dos, et dans le corridor ; entendez-vous? Le voici qui frappe à la porte et va entrer pour emporter dans son sac sans fond les garçons et les petites filles méchants et mal élevés.
Selon l’antique usage, la foire de Noël, la foire de l’enfant Jésus, le Christkindelsmek est rouvert depuis huit jours. Des rangées de tentes, de boutiques, de magasins, de Stoend, pour me servir du mot consacré, couvrent toute la longueur de l’ancienne place d’Armes. […]
Aussi il est bien bon ce Christkindle : il donne sans distinction de rang, de naissance de personnes, à tous ceux qui méritent sa faveur. […] les adultes eux-mêmes, hommes et femmes, se confondent avec les enfants dans un même culte voué à ce Christkindle tant loué, tant vanté, et dont le retour et chaque fois le signal de l’allégresse et du bonheur. […]
Voulez-vous que je vous compte l’origine de la fête de Noël des enfants et du Christkindle des commerces ? – Eh bien ! Écoutez-moi ! Vous pourrez ensuite traduire en langage enfantin le récit que je vais vous faire afin de le rendre compréhensible à vos jeunes amis et de le mettre à la portée de leur imagination.
C’était donc en 1570, vers Noël, ainsi tout juste 272 ans à l’heure qu’il est. Depuis près d’un demi-siècle, le magistrat de Strasbourg, uni aux docteurs et aux ministres de la nouvelle église, s’était efforcé de tout son pouvoir de faire disparaître dans notre cité jusqu’au moindre trace de ce que l’on appelait alors, dans le jargon de ce siècle d’effervescence et de haine religieuse, l’idolâtrie romaine. Tout ce qui rappelait, ne fusse que de loin, l’ancien culte ou la suprématie du pape ; tout ce qui avait le moindre rapport avec Rome et le catholicisme fut mis au ban, aboli, supprimé, détruit, interdit. [… ]
Depuis les temps les plus reculés, on célébrait à Strasbourg, comme dans tous les pays de l’Église d’Occident, le jour de Saint-Nicolas. Saint-Nicolas était le patron des bons enfants ; c’était lui qui rémunérait les bons, qui punissaient les méchants ; sa fête était celle des enfants, le jour des étrennes et des présents. Ce jour-là il y avait à Strasbourg une foire assez renommée et assez fréquentée par les marchands forains, surtout par ce délit dur. […]
Un dimanche matin la voie sonore du pasteur Jenn Flinner, plus forte encore que d’ordinaire, fit résonner les voûtes gothiques de la cathédrale […] le ministre protestant […] s’élevait avec force contre la fête de Saint-Nicolas en adressant une admonition sévère à ses auditeurs, les conjurant dans l’intérêt de la félicité éternelle d’abolir enfin cet usage odieux et damnable, inspiré par Satan lui-même, et qui, disait-il, sentait le papisme et l’idolâtrie romaine, et faisait partie intégrante du levain des Phariséens ! […] Donc le 4 décembre 1570, le conseil des 21 se réunit, et entre autres objets portés à l’ordre du jour de la séance figurait, article 4, la proposition de supprimer la foire de Saint-Nicolas conformément aux sermons de M. Flinner
Journal Le courrier du Bas-Rhin, n°308, 25 décembre 1842, extraits.
Commentaires :
– L’article insiste sur la dimension égalitaire de la fête : peu importe l’âge, le sexe, les origines et le rang : tout le monde est à égalité devant l’arrivée du Christkindle. Cet aspect qui n’a pas disparu contribue à faire de la fête de Noël une fête aux caractères universel et universaliste.
– Le XXème siècle est souvent chargé, à tort, d’avoir fait des fêtes de fin d’année un moment commercial, mais en réalité dès le XVIème siècle, la forte activité commerciale accompagnant cette partie de l’année est soulignée par les observateurs.
-Cette anecdote régionale illustre la manière dont la religion s’introduit à l’époque dans le politique, via les fêtes de fin d’année, un Pasteur protestant ayant la capacité d’imposer un changement (relatif au final) sur le calendrier commercial et festif de la collectivité.
-Source de controverses en Alsace au XVIème siècle, la fête de Saint Nicolas fait l’objet d’une forte polémique mais pour un résultat qui laisse sceptique, le moment commercial étant finalement juste décalé dans le temps et son nom changé afin de ne pas célébrer un Saint. Pour autant, sur le temps long, ce fut un échec pour les Protestants, Saint Nicolas n’ayant pas été oublié en Alsace : Hans Trapp, personnage très présent dans les traditions germaniques, est plus connu en France sous le nom générique du Père Fouettard, compagnon de Saint Nicolas.
-Nous voyons dans cet extrait quelques aspects liés à la fête des enfants et une allusion au Père Fouettard, censé venir punir les enfants s’étant mal comportés durant l’année, l’occasion de revenir sur un titre pop incontournable daté de 1967 …
Supplément pop pour Noël : Jacques Dutronc La fille du père Noël
( paroles : Jacques Lanzmann / musique : Jacques Dutronc)