Créés en 1896 par le baron Pierre de Coubertin (1863-1937), les Jeux Olympiques modernes, dans l’esprit de son concepteur, visaient à  « l’exaltation solennelle et périodique de l’athlétisme mâle avec l’internationalisme pour base ». De fait, il n’y eut aucune femme  admise à concourir lors des premiers jeux organisés à Athènes en  1896.

Cependant, l’article publié dans la Revue olympique de juillet 1912, au moment des Jeux Olympiques de Stockholm, témoigne que la question de la participation des femmes aux J.O est posée aux membres du C.I.O depuis plusieurs années, puisque des femmes ont été admises à concourir dès 1900 à Paris : 22 femmes dans les épreuves de golf et de tennis ;  48 à Stockholm en 1912.

Interpellé, le C.I.O rappelle ici que cette question en juillet 1912 n’est pas réglée et que la décision relève exclusivement de l’autorité du Comité Olympique, composé uniquement de messieurs fort  distingués mais qui ne brillent pas particulièrement par leur progressisme…

Pierre de Coubertin se déclare sans ambiguïté contre l’ouverture des Jeux aux femmes. Avec notre regard de 2021, le vocabulaire et les arguments employés peuvent paraître choquants ou bien faire sourire. Pourtant, Pierre de Coubertin n’est sans doute  pas plus misogyne qu’un autre et ne fait probablement qu’exprimer une vision sexiste et inégalitaire de la société partagée par une majorité des hommes de son temps.

Cependant, le  fait que la question de la participation des femmes aux Jeux Olympiques soit objet de débats au sein des instances du C.I.O témoigne aussi de la lente et progressive conquête de l’égalité entreprise par les femmes et du rôle joué par le sport dans leur libération physique et sociale de la tutelle des hommes.


Les femmes aux Jeux olympiques

« La question de l’admission des femmes aux Jeux olympiques n’est pas réglée. Elle ne saurait l’être dans le sens négatif par le motif que l’Antiquité l’avait ainsi résolue ; elle ne l’est pas davantage dans le sens affirmatif du fait que des concurrentes féminines ont été acceptées pour la natation et le tennis en 1908 et 1912. L’autre jour un engagement est venu signé d’une néo-amazone qui prétendait concourir pour le Pentathlon moderne et le Comité suédois laissé libre de se prononcer, en l’absence d’une législation fixe, a refusé cet engagement. On le voit donc, la discussion demeure ouverte. Il est mieux qu’une décision trop prompte ne soit pas intervenue et que l’affaire ait traîné. Elle se solutionnera tout naturellement lors de ce Congrès de Paris qui donnera aux Olympiades leur physionomie définitive. Dans quel sens ? Nous n’avons pas la qualité pour le prévoir mais nous ne craignons pas, quant à nous, de prendre parti du côté négatif. Nous estimons que les Jeux olympiques doivent être réservés aux hommes. Et d’abord, en application du proverbe fameux illustré par Musset : il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. Peut-on consentir aux femmes l’accès de toutes les épreuves olympiques ? Non ?… alors pourquoi leur en permettre quelques-unes et leur interdire les autres ? Et surtout sur quoi se baser pour établir la frontière entre épreuves permises et épreuves défendues ? Il n’y a pas que des joueuses de tennis et des nageuses. Il y a aussi des escrimeuses, il y a des cavalières et, en Amérique, il y a eu des rameuses. Demain, il y aura peut-être des coureuses ou même des footballeuses ? De tels sports pratiqués par des femmes constitueraient-ils donc un spectacle recommandable devant les foules qu’assemble une Olympiade ?

Nous ne pensons pas qu’on puisse le prétendre. Mais il y a un autre motif d’ordre pratique celui-là. Organiserait-on des épreuves séparées pour les femmes ou bien accepterait-on les engagements pêle-mêle sans distinction de sexe, qu’il s’agisse d’un concours individuel ou d’un concours par équipes ? Ce dernier procédé serait logique puisque le dogme de l’égalité des sexes tend à se répandre. Seulement il suppose des clubs mixtes. Il n’en existe guère à l’heure actuelle, en dehors du tennis et de la natation. Or, même avec des clubs mixtes, quatre-vingt-quinze fois sur cent, les éliminatoires favoriseront des hommes. Les Jeux olympiques, ne l’oublions pas, ne sont pas des parades d’exercices physiques mais visent l’élévation ou du moins le maintien des records. « Citius, altius, fortius. » « Plus vite, plus haut, plus fort », c’est la devise du Comité international et la raison d’être de tout l’olympisme. Quelles que soient les ambitions athlétiques féminines, elles ne peuvent se hausser à la prétention de l’emporter sur les hommes en course à pied, en escrime, en équitation… Faire intervenir ici le principe de l’égalité théorique des sexes, ce serait donc se livrer à une manifestation platonique dépourvue de sens et de portée.

Reste l’autre combinaison consistant à doubler les concours d’hommes d’un concours de femmes dans les sports déclarés ouverts à celles-ci. Une petite Olympiade femelle à côté de la grande Olympiade mâle. Où serait l’intérêt ? Les organisateurs déjà surchargés, les délais déjà trop courts, les difficultés de logements et de classement déjà formidables, les frais déjà excessifs, il faudrait doubler tout cela ! Qui voudrait s’en charger ? Impratique, inintéressante, inesthétique, et nous ne craignons pas d’ajouter : incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-Olympiade féminine. Ce n’est pas là notre conception des Jeux olympiques dans lesquels nous estimons qu’on a cherché et qu’on doit continuer de chercher la réalisation de la formule que voici : l’exaltation solennelle et périodique de l’athlétisme mâle avec l’internationalisme pour base, la loyauté pour moyen, l’art pour cadre et l’applaudissement féminin pour récompense. Cette formule combinée de l’idéal antique et des traditions de la chevalerie est la seule saine et la seule satisfaisante. Elle s’imposera d’elle-même à l’opinion. »

Pierre de Coubertin,  la Revue olympique N° 79, juillet 1912, p. 109-111.