Né le 1er janvier 1863, à Paris, Charles Pierre Fredy de Coubertin montra très tôt un penchant pour les études de lettres, d’histoire et les problèmes de pédagogie et de sociologie. Après avoir obtenu son bac en 1880, il renonce à Saint-Cyr et donc à une carrière militaire à laquelle il semblait voué par tradition familiale. Coubertin s’inscrit finalement en 1882 à l’École libre des sciences politiques, où il obtient le titre de bachelier en droit en 1885.

À cette époque, ses séjours en Grande Bretagne le marquent profondément. Ayant observé la place importante prise par le sport dans le système scolaire britannique, il se passionne pour la question et pratique lui-même plusieurs sports : le tir, la boxe, l’équitation…, tandis que les travaux du britannique Thomas Arnold retiennent son attention. Ce dernier, membre du clergé, est alors le directeur du Collège de Rugby et dont l’action avait permis d’inscrire le sport au cœur du système éducatif anglais.

De retour en France, à partir de 1887,  Coubertin décide de se consacrer à l’amélioration du système éducatif français en s’inspirant des exemples britannique et américain. Pédagogie et sport deviennent ses préoccupations majeures mais Coubertin ne parvient pas encore à convaincre le corps enseignant. Il crée notamment le Comité pour la propagande des exercices physiques dans l’éducation en 1888, comité présidé par Jules Simon. Il intègre également, dès sa création en novembre 1887, la direction de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques. Afin de promouvoir ses convictions, Coubertin sollicite toutes les bonnes volontés et crée, en 1890, deux revues : la Revue athlétique puis Les sports athlétiques, avant de fusionner les deux titres. 

Mais rapidement, Coubertin se rend compte de l’impasse et en conclut que pour promouvoir efficacement le sport, il faut l’internationaliser. C’est cet aspect qu’il aborde en 1909 dans un ouvrage intitulé Les Batailles de l’éducation physique où Coubertin revient également sur le fameux Congrès de la Sorbonne de novembre 1892 au cours duquel il appela à restaurer, comme d’autres avant lui, les Jeux olympiques , dans un idéal romantique éloigné de la réalité de ces derniers.


Extrait n° 1 : Olympie, un idéal romantique pour Coubertin

[…] Du reste, avant de « populariser » il fallait «internationaliser ». J’en avais depuis longtemps le sentiment et j’étais résolu à tenter l’aventure. Quand et comment cette nécessité s’associa-t-elle dans mon esprit avec l’idée du rétablissement des Jeux Olympiques, je ne saurais le dire. Il fallait internationaliser parce qu’en France l’émulation venue du dehors est la seule qui agisse de façon efficace et durable. Qu’on y regarde de près, les ressorts français sont presque toujours au nombre de trois : le besoin, la mode, la concurrence étrangère. Le besoin, il sera long à créer en matière de sport ; il faudra une lente accoutumance à travers plusieurs générations. La mode a chez nous des royautés aussi despotiques qu’éphémères; certes son concours avait été précieux au début; mais la chose avait fait long feu ; plus d’espoir de ce côté. Restait la concurrence étrangère. Là était l’avenir. Il fallait organiser les contacts entre notre jeune athlétisme français et les nations qui nous avaient précédés dans la voie de la culture musculaire. Il fallait assurer à ces contacts une périodicité et un prestige indiscutables. Les instituer dans ces conditions ne revenait-il pas à restaurer l’olympisme ?

Ce terme m’était familier. Rien dans l’histoire ancienne ne m’avait rendu plus songeur qu’Olympie. Cette cité de rêve consacrée à une besogne strictement humaine et matérielle dans sa forme, mais épurée et grandie par la notion de la patrie qui possédait là, en quelque sorte, une usine de forces vitales — dressait sans cesse devant ma pensée d’adolescent ses colonnades et ses portiques. Bien avant de songer à extraire de ses ruines un principe rénovateur, je m’étais employé en esprit à la rebâtir, à faire revivre sa silhouette linéaire. L’Allemagne avait exhumé ce qui restait d’Olympie ; pourquoi la France, ne réussirait-elle pas à en reconstituer les splendeurs ? Delà au projet moins brillant mais plus pratique et plus fécond de rétablir des Jeux, il n’y avait pas loin, dès lors surtout que l’heure avait sonné où l’internationalisme sportif paraissait appelé à jouer de nouveau son rôle dans le monde.

Le 25 novembre 1892, à l’occasion du « jubilé » de l’Union des Sports athlétiques dont j’ai parlé plus haut, une conférence en trois parties avait eu lieu à la Sorbonne ; « les exercices physiques dans l’antiquité, au moyen-âge et dans le monde moderne » en formaient le sujet. Je terminai mon tiers de conférence (MM. Georges Bourdon et Jusserand s’étaient chargés des deux autres) par les paroles suivantes : « Exportons des rameurs, des coureurs, des escrimeurs : voilà le libre-échange de l’avenir et, le jour où il sera introduit dans les mœurs de la vieille Europe, la cause de la paix aura reçu un nouvel et puissant appui. Cela suffit pour encourager votre serviteur à songer maintenant à la seconde partie de son programme ; il espère que vous l’y aiderez comme vous l’avez aidé jusqu’ici et qu’avec vous il pourra poursuivre et réaliser, sur une base conforme aux conditions de la vie moderne, cette œuvre grandiose et bienfaisante : le rétablissement des Jeux Olympiques ». Je m’étais attendu à des critiques, à de l’hostilité mais le projet ne fut pas même relevé ; « qu’avez vous donc voulu dire en parlant de rétablir les Jeux Olympiques ? me demandèrent à la sortie quelques personnes… On ne comprenait pas le sens d’un pareil anachronisme ; on pensait que j’avais employé une locution symbolique.

Je dus me rendre compte que, faute de s’être longtemps promenés comme moi en esprit autour de l’exèdre d’Hérode Atticus et du tombeau de Pelops, mes auditeurs plaçaient les Jeux Olympiques dans leur musée mental au même niveau que les mystères d’Eleusis ou l’oracle de Delphes; choses mortes qui ne peuvent revivre qu’à l’Opéra.

Cette découverte me rendit prudent. Impossible de présenter le plan à l’opinion tout de go car, au lieu de se regimber, elle se contenterait d’en sourire. […]

Extrait pages 89-90

Extrait n° 2 : finalement, Athènes, 1896

[…] Toutes les séances eurent lieu à la Sorbonne et furent suivies avec une grande assiduité. M. Gréard y parut fréquemment. Les délibérations furent approfondies et calmes. L’unanimité se rencontra pour décider du rétablissement des Jeux Olympiques et de la constitution du Comité International. Ainsi qu’il appert d’un article que j’avais publié dans la Revue de Paris à la veille de l’ouverture du Congrès, c’était pour 1900 qu’avec le vingtième siècle était prévue l’ouverture des modernes olympiades. Ces six années avaient paru nécessaires à la préparation d’une si grande entreprise. Au cours du Congrès l’impression se modifia : six ans, c’était bien long. Pourquoi pas — puisque Paris s’imposait en 1900 — pourquoi pas une autre ville en 1896 ? Mais alors il fallait Athènes. Après m’être enquis auprès de M. Bikelas des ressources que présentait la capitale grecque, nous résolûmes, lui et moi, de la proposer comme site initial. Je retrouve ce petit billet du délégué Hellène, daté du 19 juin : « Je ne vous ai pas vu après notre séance pour vous dire combien j’ai été touché de votre proposition de commencer par Athènes. Je regrette de ne pas avoir pu au moment l’appuyer d’une manière plus chaleureuse ». Ainsi le sort en était jeté. Nous avions deux ans devant nous pour remuer l’Hellade et lui faire accepter et réaliser un projet auquel elle ne se trouvait préparée ni en action — ni même en pensée. […]

Extrait page 98

Pierre de Coubertin  Les Batailles de l’éducation physique. Une campagne de vingt-et-un ans (1887-1908), Paris, 1909, Librairie de l' »Education physique », extraits du chapitre X Le congrès de la Sorbonne.