L’auteur de cet extrait du Manuel du vélocipède, le Grand Jacques, s’appelle en réalité Richard Lesclide et c’est un personnage étonnant ! Né à Bordeaux en 1825 et mort à Paris en 1892, il fut à la fois journaliste, écrivain et le dernier secrétaire de  Victor Hugo dans les dix dernières années de la vie du génie de la littérature française.

Il fut aussi l’un des premiers et des plus ardents défenseurs de la nouveauté que représentait en son temps le vélocipède. À la fin du Second Empire, le vélocipède bénéficie d’une innovation technique décisive, avec l’invention des pédales situées dans un premier temps sur l’axe de la roue avant. En 1868 et 1869, le vélocipède devient même un loisir à la mode dans la haute société, portée par la passion vélocipédique du prince impérial Louis-Napoléon.

L’extrait ci-dessous témoigne de cet engouement. Il s’agit de l’introduction du Manuel du vélocipède publié en avril 1869 à Paris. L’auteur se fait ici l’ardent propagandiste à la fois de son ouvrage et de l’usage du vélocipède.

Mais au delà de cet exercice d’auto-promotion, Richard Lesclide a quelques  intuitions que l’avenir a confirmées et c’est ce qui fait  l’intérêt de son texte :

  • L’idée que le vélocipède est un  progrès majeur du transport, au  siècle du chemin de fer.
  • L’association étroite de la bicyclette à  la liberté acquise  par son utilisateur.
  • « L’influence que ce nouveau véhicule doit exercer sur l’avenir ».

Reconnaissons que ce n’était pas mal vu…

 


 MANUEL DU VÉLOCIPÈDE

 

Le Vélocipède est un des signes du temps.

Après le coche, la diligence; — après la diligence, le chemin de fer; — après le chemin de fer, le Vélocipède…
Qu’on ne se trompe pas à ce dernier terme de progression : la marche du progrès est continue.
Le chemin de fer va plus vite, sans doute; mais c’est la vitesse mécanique, brutale, inintelligente…

Le Vélocipède est la vitesse individuelle émanant de l’homme même, la rapidité raisonnée se ployant aux caprices de la volonté ; — la vitesse personnelle remplaçant la vitesse collective, l’affirmation de la puissance des nerfs substituée à celle de la vapeur…

Le style, c’est l’homme, —disait un grand naturaliste. Quels rapprochements plus intimes ne peut-on pas établir entre le Vélocipède et celui qui le dirige !

De même que la Malibran faisait passer son âme dans sa voix, l’homme fait passer ses jarrets dans les roues qui l’entraînent.

Aussi, la vogue du Vélocipède n’est-elle plus une affaire de mode et de sport, — c’est une fièvre.
Ce cheval de bois et d’acier comble un vide dans l’existence moderne; il ne répond pas seulement à des besoins, mais à des aspirations.

L’Almanach des Vélocipèdes pour 1869, tiré à des milliers d’exemplaires, s’est épuisé en quelques jours. On nous en demandait une nouvelle édition. Il nous a paru préférable de rassembler dans un volume, plus complet et plus pratique, tout ce qui pouvait intéresser les Vélocipédistes.

Nous n’avons pas pour cela renoncé à la fantaisie ; quelques-uns des articles les mieux réussis de notre Almanach ont été conservés.

 – Utile dulci, dit le poète. 11 ne suffit pas d’instruire les gens, il faut encore les amuser.

Voilà pourquoi, à côté d’articles sérieux, nous avons donné place à des nouvelles humoristiques, illustrées par le crayon d’un habile dessinateur.

Ce petit livre ne sera pas seulement un bijou typographique, mais le manuel raisonné du Vélocipède, le guide le plus sûr et le plus précis qui puisse être offert aux adeptes de la nouvelle locomotion.

Nos leçons résument en quelques pages la science et les conseils des plus habiles professeurs.
Les questions qui se rattachent au Vélocipède y sont traitées explicitement, au point de vue théorique et pratique.

Le Vélocipède, selon nous, n’est pas un caprice. S’il a pris place d’emblée dans la vie moderne, s’il excite à l’heure qu’il est une sorte d’engouement, cela ne saurait faire tort à son caractère d’utilité. Ce qui le prouve, c’est qu’à mesure qu’il se répand dans le monde élégant, le gouvernement et les grandes administrations l’emploient à des services spéciaux.

Il est certain que le Vélocipède restera. Nous étudierons peut-être un jour l’influence que ce nouveau véhicule doit exercer sur l’avenir, et nos neveux s’écrieront peut-être, en parodiant le mot de Buffon : LE VÉLOCIPÈDE EST LA PLUS NOBLE CONQUÊTE DE L’HOMME !

Le Grand Jacques, Manuel du vélocipède, Paris, librairie du Petit journal,1869, 111 p, extraits du chapitre 1.

Le prince impérial Louis-Napoléon en vélocipède dans le jardin des Tuileries en 1869