Clément VI, l’auteur de la bulle pontificale « Quamvis perfidiam » dont nous présentons ici la traduction française, est l’un des papes français d’Avignon. Après une brillante carrière ecclésiastique dans le royaume de France, Pierre Roger est élu pape sous le nom de Clément VI en mai 1342 et le reste jusqu’à sa mort le 6 décembre 1352.

Installé à Avignon, son pontificat est marqué par le faste et la magnificence mais aussi par la Peste noire qui  décime l’Europe à partir de 1348. La bulle de Clément VI « Quamvis perfidiam » , donnée le 26 septembre 1348, a pour objet d’offrir une protection aux juifs accusés d’empoisonner les puits et qui subissent depuis plusieurs mois ce que l’on n’appelait pas encore des pogroms.

Comme le texte l’indique, le pape répond d’une part à un appel à l’aide des juifs qui « demandent l’aide de notre protection et la clémence de la piété chrétienne »  et, d’autre part, il se place dans la lignée de certains de ses  prédécesseurs, protecteurs traditionnels des juifs, du fait que « notre Sauveur a jugé digne de choisir la lignée juive dans laquelle, pour le salut de la race humaine, il a pris une chair mortelle ».

Au delà de la  charité chrétienne, Clément VI refuse la persécution des juifs pour des motifs qu’on pourrait qualifier de rationnels. Il considère sans fondement la rumeur de l’empoisonnement des puits par les Juifs, puisque ceux-ci  aussi en  boivent  l’eau, remarque que la peste tue sans distinction les  juifs comme les chrétiens et, qu’enfin, l’épidémie s’est répandue dans des villages et des contrées où il n’y avait pas de communauté juive.

L’appel à la raison et la menace de l’excommunication contenus dans la bulle pontificale eurent malheureusement   une portée très relative sur le cours des choses et furent loin de mettre fin aux massacres et persécutions des minorités juives partout en Europe en cette fin de Moyen Âge


Bulle pontificale « Quamvis perfidiam » 

Pour tous nos frères, les archevêques et évêques et nos fils choisis bien-aimés, les abbés, prieurs, les diacres, les supérieurs, archidiacres, vicaires, clergé séculier, les fonctionnaires, recteurs et autres prélats des églises et des monastères et leurs adjoints, et les personnes ecclésiastiques, séculières et régulières, et même aux chapitres et couvents des églises et des monastères précités, tous exemptés et non exemptés, les ordres cisterciens, clunisiens et prémontrés, et tous les autres ordres de saint Benoît et saint Augustin, salutations, etc .

Bien que nous puissions, à juste titre, détester la perfidie des juifs (qui, persévérant dans leur entêtement, ne se soucient pas de comprendre les paroles des prophètes et les secrets de leurs écrits et de rejoindre la nouvelle foi chrétienne et le Salut) mais – étant conscient que notre Sauveur a jugé digne de choisir la lignée juive dans laquelle, pour le salut de la race humaine, il a pris une chair mortelle – pour cette raison, il est normal que nous chérissons ces mêmes juifs pour cause de l’humanité. Comme ils demandent l’aide de notre protection et la clémence de la piété chrétienne, nous, en suivant les traces de Calixte, Eugène, Alexandre, Clément, Célestin, Innocent, Grégoire, Nicolas, Honorius et Nicolas IIII, Pontifes des Romains et nos prédécesseurs d’heureuse mémoire, nous leur accordons le bouclier de notre protection, ordonnant, entre autre, qu’aucun chrétien ne puisse en aucune façon blesser ou tuer quelqu’un de ces mêmes juifs sans recevoir le jugement du seigneur ou d’un fonctionnaire de la terre ou de la région dans laquelle ils vivent, ils ne devaient pas prendre leur argent ou exiger d’eux le service obligatoire, sauf pour les choses qui, dans les temps anciens, ils étaient habitués à faire ; et que, si quelqu’un, bien que connaissant la teneur d’un tel décret, tente d’agir contre lui, il met en danger son titre et son office, ou bien il doit être frappé par une condamnation définitive d’excommunication, à moins qu’il prenne soin de corriger sa présomption par une digne satisfaction, comme cela est contenu dans ces mêmes lettres. Toutefois récemment, une clameur publique (ou plus exactement, une vilaine rumeur) est venue à notre attention, selon laquelle certains chrétiens blâment à tort que la peste (avec laquelle Dieu afflige le peuple chrétien, provoquée par les péchés du peuple) provient des poisons des juifs trompés par le diable – qui dans leur propre témérité impie a tué certains de ces juifs, sans distinction d’âge ou de sexe, et que, bien que ces mêmes juifs étaient prêts à se soumettre au jugement d’un juge compétent à propos de la fausseté d’un tel crime, même si l’attaque de ces chrétiens n’a pas été calmée par cela : mais à cause de cela, leur colère s’emplit encore plus, puisque leur erreur a semblé être approuvée, tant qu’il n’y a pas eu d’opposition. Et bien que nous pourrions le souhaiter que ces mêmes juifs se soient rendus coupables en participant à une si grande indignation (pour lesquels une peine suffisante, digne et sévère, pouvait à peine être pensée) et qu’ils devaient être foudroyés par une peine ; malgré tout, car dans de nombreuses et diverses régions du monde qui ne connaissent pas la cohabitation avec ces mêmes juifs, cette peste a partout affligé et afflige la communauté en raison du jugement secret de Dieu, donc la preuve que les juifs susmentionnés sont responsables ne tient pas comme explication ou cause d’une telle grande indignation. Nous vous ordonnons par conséquent par tous ces écrits apostoliques que chacun de vous qui a été interrogé sur cela devait – dans vos églises pendant les solennités de la messe, tandis que les gens y sont réunis pour les services divins – avertir ceux qui sont soumis à vous, clercs et laïcs, sur la peine d’excommunication (que vous recevrez à partir de là, si vous faites autrement) et vous devez plus expressément leur enjoindre de ne pas présumer de leur propre autorité (ou plus exactement, leur propre témérité) de saisir, frapper, blesser ou tuer ces mêmes juifs, ou de les contraindre au service obligatoire pour eux ; mais s’ils devaient être dans un procès contre eux, que ce soit sur ces questions ou sur tout autre affaire, ils devaient poursuivre par la primauté du droit en présence de juges compétents, de qui – afin qu’ils puissent engager des poursuites contre ceux-ci ou pour d’autres excès de ces mêmes juifs, comme cela est juste – nous ne leur enlevons aucun pouvoir par ces présentes lettres. Ces présentes lettres ne sont plus en vigueur après un an. Donné à Avignon, aux sixièmes calendes d’octobre, dans la septième année de notre pontificat.

Bulle pontificale Quamvis perfidiam, 26 septembre 1348, Clément VI