L’Histoire d’un peuple est inséparable de la contrée qu’il habite. On ne peut se représenter le peuple grec ailleurs qu’autour des mers hellénistiques, l’Anglais ailleurs que dans sin île, l’Américain ailleurs que dans les vastes espaces des Etats-Unis. Comment en est-il de même du peuple dont l’histoire s’est incorporée au sol de la France, c’est ce qu’on a cherché à expliquer dans ces pages.

Les rapports entre le sol et l’homme sont empreints, en France, d’un caractère original d’ancienneté, de continuité. De bonne heure les établissements humains paraissent y avoir acquis de la fixité; l’homme s’y est arrêté parce qu’il a trouvé, avec les moyens de subsistance, les matériaux de ses constructions et de ses industries. Pendant de longs siècles il a mené ainsi une vie locale, qui s’est imprégnée lentement des sucs de la terre. Une adaptation s’est opérée, grâce à des habitudes transmises et entretenues sur les lieux où elles avaient pris naissance. Il y a un fait que l’on a souvent l’occasion de remarquer en notre pays, c’est que les habitants se sont succédé de temps immémorial aux mêmes endroits. Les niveaux des sources, les roches calcaires propices à la construction et à la défense, ont été dès l’origine des nids d’attraction, qui n’ont guère été abandonnés dans la suite. On voit, à Loches, le château des Valois s’élever sur des substructions romaines, lesquelles surmontent la roche de tuffeau percée de grottes, qui ont pu être des habitations primitives.

L’homme a été, chez nous, le disciple longtemps fidèle du sol. L’étude de ce sol contribuera donc à nous éclairer sur le caractère, les mœurs et les tendances des habitants. Pour aboutir à des résultats précis, cette étude doit être raisonnée; c’est-à-dire qu’elle doit mettre en rapport l’aspect que présente le sol actuel avec sa composition et son passé géologique. Ne craignons pas de nuire ainsi à l’impression qui s’exhale des lignes du paysage, des formes du relief, du contour des horizons, de l’aspect extérieur des choses. Tout au contraire. L’intelligence des causses en fait mieux goûter l’ordonnance et l’harmonie.

J’ai cherché à faire revivre, dans la partie descriptive de ce travail, une physionomie qui m’est apparue variée, aimable, accueillante. Je voudrais avoir réussi à fixer quelque chose des impressions que j’ai éprouvées en parcourant en tous sens cette contrée profondément humanisée, mais non abâtardie par les œuvres de la civilisation. L’esprit y est sollicité par la réflexion, mais c’est au spectacle tantôt riant, tantôt imposant de ces campagnes, de ces monts et de ces mers qu’il est sans cesse ramené comme à une source de causes.

Vidal de La Blache, “Avant propos”, in La France, tableau géographique, Paris, Hachette, 1908, p.1-2