A la fin des années 1990, dans les environs d’Épernay, une vieille dame confiait dans un repas de famille que ce qu’on avait fait aux juifs pendant la guerre n’était « pas bien ». Profondément catholique, elle expliqua que si les juifs avaient « tué Dieu » (sic), comme elle l’avait appris, avant-guerre, au catéchisme, il ne fallait tout de même pas les traiter ainsi car le christianisme affirmait qu’il fallait pardonner. Ayant reçu avant-guerre son instruction religieuse, cette brave chrétienne n’avait assurément pas intégré l’abandon du concept de peuple déicide consécutive au concile Vatican II de 1962-1965.
Première forme de l’antisémitisme à côté de l’antisémitisme social d’un Proudhon, de l’antisémitisme racial des nazis ou de l’antisémitisme lié à la la question du Proche-Orient, la judéophobie chrétienne trouve son origine dans une éducation religieuse dont on oublie que le principal vecteur, bien avant l’accès à Mathieu 26-27, fut pour les enfants, le manuel d’histoire sainte. Reprenant la reconstruction par les premiers chrétiens d’un récit imputant aux juifs et non à l’ordre romain, la responsabilité de la mort de Jésus, le présent manuel nourrit les stéréotypes courants de l’avarice, de la trahison et de l’obstination contre la vraie religion. Si la préface explique qu’il faire être rationnel dans l’éducation des enfants, on notera la double-contradiction biblique de l’entrée triomphale à Jérusalem d’un homme accueilli en messie et ensuite conspué aux cris de « Crucifiez-le ». Cette incohérence biblique est particulièrement soulignée dans le récit de simplification à l’usage des enfants. Elle est double puisqu’il est plus qu’improbable, n’en déplaise à la Bible, aux fidèles ou à Giotto, qu’on ait pu accueillir un homme en triomphe à Jérusalem sans que les Romains l’eussent sur le champ appréhendé. Il en est également ainsi des états d’âmes de Ponce Pilate, et, partant, de l’ensemble des autorités romaines, sans cesse opposés ici à l’acharnement des juifs. Tout, dans ce récit, qui en est en 1910 à sa 6e édition, pousse à croire à la trahison d’un Dreyfus, d’un Blum ou d’un Mandel.
488. Sous quels traits les Juifs se figuraient-ils généralement le Messie qu’ils attendaient ?
Les Juifs se figuraient généralement que le Messie serait un roi puissant qui les affranchirait du jour des Romains et rendrait au trône de David sa gloire des anciens jours. Ainsi, abusés, ils aimèrent mieux attribuer à l’intervention du démon les miracles de Jésus-Christ, que d’avoir à reconnaître pour le Messie le « fils d’un artisan », comme ils appelaient le Sauveur.
[…]
491. Racontez l’entrée du Sauveur à Jérusalem ? (sic)
L’entrée du Sauveur à Jérusalem fut un véritable triomphe. Le peuple, apprenant que Jésus approchait , sortit en foule au devant de lui, portant des branches de palmier et criant « Hosanna* ! Béni soit le roi d’Israël ! ». Pendant cette marche triomphale, un grand nombre de personnes étendaient , par respect, leurs vêtements sur le passage du Sauveur, d’autres coupaient des branches d’arbres et en jonchaient le chemin : et toute cette multitude exprimait sa joie […]
498. Racontez la trahison de Judas ? (sic)
Les ennemis de Jésus, de plus en plus animés contre lui, délibéraient sur les mesures à prendre pour s’emparer de sa personne et el faire mourir,lorsque Judas Iscariote, l’un des douze apôtres, poussé par le démon de l’avarice, se présenta devant eux : « Que voulez-vous me donner, leur dit-il, et je vous le livrerai ! ». Ils convinrent de lui donner trente deniers * […]
510. Racontez comment Judas livre notre Seigneur à ses ennemis.
A ce moment parut Judas Iscariote, à la tête d’une troupe d’hommes envoyés par les princes* des prêtres et des pharisiens. Le traître avait dit à ces gens : « Celui que je baiserai le premier, c’est celui que vous herchez, saisissez le » » […]
– « Mon ami, lui dit Jésus avec douceur, qu’es-tu venu faire ici ? Quoi Judas, t trahis le fils de l’Homme par un baiser ? » […]
518. Judas se repentit-il de son crime ?
Oui, Judas se repentit de son rime ; il rapporta même aux princes des prêtres l’argent qu’il en avait reçu. Mais, au lieu de pleurer son péché, comme saint Pierre, en esprit de pénitence, il désespéra de la miséricorde de Dieu et alla se pendre, perdant ainsi à la fois et la vie temporelle et la vie éternelle.
519. Devant quels tribunaux comparut Jésus-Christ au lendemain de son arrestation ?
Le lendemain de son arrestation, c’est-à-dire le vendredi, Jésus-Christ comparut d’abord devant la sanhédrin qui renouvela la sentence de mort prononcée par le conseil des prêtres […] après cela on le conduisit devant le tribunal de Ponce Pilate, gouverneur de la Judée pour les Romains, afin qu’il confirmât la sentence des Juifs et condamnât le Sauveur au supplice de la croix.
520. De quels crimes les Juifs accusèrent-ils Jésus-Christ ?
Les Juifs accusèrent Jésus-Christ de soulever le peuple, d’empêcher qu’on ne payât le tribut à César, enfin de prendre les noms de Christ et de roi.
521. Qu’est-ce que Pilate pense de ces accusations ?
Pilate, ayant interrogé le Sauveur, fut bien vite convaincu de son innocence et de la malignité des ses accusateurs. Il dit aux Juifs : « Je ne trouve en cet homme aucun sujet de condamnation. » Apprenant ensuite que Jésus était originaire de la Galilée, il le renvoya devant Hérode, tétrarque* de cette province qui se trouvait alors à Jérusalem […]
522. Comment Hérode traita-t-il Jésus-Christ ?
Hérode reçut le Sauveur avec joie en espérant lui voir faire quelque prodige ; mais Jésus n’ouvrit la bouche ni pour satisfaire la frivole curiosité de ce prince, ni pour se défendre contre les accusations des Juifs. Hérode, trompé dans son attente, méprisa Jésus-Christ, le fit revêtir d’une robe blanche en signe de dérision, et le renvoya à Pilate.
523. Que dit alors Pilate aux accusateurs de Jésus-Christ ?
Pilate dit aux accusateurs de Jésus : « J’ai interrogé cet homme devant vous et je ne l’ai trouvé coupable d’aucun des crimes dont vous l’accusez. Hérode à qui je l’ai renvoyé, ne l’a pas condamné non plus ; je le laisserai donc aller, après l’avoir fait châtier. »
524. Que fit Pilate pour sauver Jésus-Christ, lorsqu’il vit que les Juifs n’agréaient point cette décision ?
Pilate, voyant que les Juifs n’agréaient point cette décision, eut recours à un autre expédient*. C’était la coutume qu’à l’occasion de la Fête de Pâque, le gouverneur accordât au peuple la liberté d’un prisonnier. Les Juifs tant donc assemblées, Pilate leur demanda « Lequel des deux voulez-vous que je vous délivre, de Barabbas ou de Jésus ? « Contrairement à son attente, les Juifs demandèrent la grâce de Barabbas, un voleur et un meurtrier. Pilate étonné reprit : « Que ferai-je donc de jésus, qu’on appelle Christ ? « – Crucifiez-le ! – Mais quel mal a t-il fait ? – Crucifiez-le ! Crucifiez-le ! » hurlaient ces furieux […]
525. Que fit le gouverneur, voyant cette obstination ?
Le gouverneur alors essaya d’attendrir le peuple. Il livra Jésus aux soldats du prétoire*, lesquels après lui avoir déchiré tout le corps à coups de fouets, enfoncèrent dans sa tête adorable une couronne de longues épines [… ] Dans un état lamentable Jésus fut amené devant le peuple, et Pilate leur dit « Voilà l’homme ! »
526. Quelle impression causa sur le peuple la vue de Jésus-Christ ?
A la vue de Jésus-Christ, le peuple excité par les princes des prêtres, s’écria de nouveau : « Ôtez-le ! Ôtez-le ! Crucifiez-le ! ». En vain, le gouverneur représenta encore une fois que Jésus était innocent, les Juifs, transportés de fureur, crièrent encore plus fort : Crucifiez-le ! Crucifiez-le ! ».
527. Pilate céda-t-il à une colère si injuste ?
Cependant, Pilate hésitait encore malgré le tumulte, à rendre la sentence inique qu’on exigeait de lui. Mais entendant les Juifs qui criaient : « Si vous relâchez cet homme, vous n’êtes point un ami de César, « il se troubla et son équité naturelle acheva de défaillir. Il se fit apporter de l’eau, et, se lavant les mains en présence du peuple : « Je suis innocent, dit-il, de la mort de ce juste. A vous d’en répondre ! » Le peuple s’écria : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants !…(1) » Et Pilate, vaincu, prononça contre le sauveur une sentence qui le condamnait à mourir en croix.
Abrégé d’histoire sainte à l’usage des écoles primaires, Lyon-Paris, Librairie catholique Emmanuel Vitte, collection « L’École libre », 1910, 6e édition, p. 132-142.