Si certains pays d’Afrique voient leur situation s’améliorer, ce n’est pas le cas manifestement pour bon nombre de pays subsaharien. Dans le contexte de la mondialisation économique, les indicateurs pour l’ensemble du continent n’évoluent pas favorablement. Malgré la mondialisation ou à cause d’elle, les interprétations divergeront selon les idéologies. L’auteur de cet article engagé est clairement antimondialisation, mais les chiffres qu’ils présentent ne sont pas contestables. De quoi alimenter l’afro-pessimisme.

DES « ÉCHANGES » INJUSTES ET EN BAISSE

« Alors que les pays du Nord profitent des avancées technologiques dans les domaines de la communication, de la recherche et de la productivité économique, l’Afrique n’a pas accès aux technologies modernes. L’Afrique n’abrite par exemple que 0,8% des personnes ayant accès à Internet dans le monde (c’est à peine 0,1 % pour les 48 pays d’Afrique subsaharienne qui abritent pourtant 10% de la population mondiale). Parallèlement, alors que le couple Recherche et développement (R&D) constitue en cette fin de siècle un enjeu majeur, l’Afrique représente moins de 1% des dépenses mondiales en la matière. Le pire est que la situation scientifique du continent ne cesse de se détériorer : l’Afrique subsaharienne a ainsi perdu près de 20 % de son poids mondial (mesuré par le nombre de publications internationales) entre 1990 et 1995.

Ensuite, malgré l’ampleur quotidienne des mouvements de capitaux à travers le monde, le continent africain est privé d’argent. Ainsi, alors que, par exemple, un emploi français sur trois est créé par les Investissements directs à l’étrangers (IDE), l’Afrique se voit inlassablement boudée par les investissement internationaux : sur les 622 milliards de dollars d’IDE en 1998, seuls 8,3 milliards (soit 1,3% du total) ont eu pour destination l’Afrique. La situation est encore bien pire si on se focalise sur l’Afrique subsaharienne, qui ne représente que 1% des IDE parvenus aux pays en voie de développement. Une analyse encore plus nuancée montre que la quasi totalité de cette part infime n’est destinée qu’à quelques pays (l’Afrique du Sud et quelques pays producteurs de pétrole et de minéraux comme le Nigeria, l’Angola, le Gabon ou le Cameroun).

En outre, alors que les experts de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) parlent du marché du commerce mondial unifié, la contribution africaine à ce marché n’est que de 2%. Le pire est que cette situation ne provient pas d’une politique africaine de repli sur soi : depuis les années 80, l’Afrique a largement ouvert ses marchés, suivant les conseils du FMI et appliquant les plans d’ajustement structurel. Or, cette ouverture des marchés africains a paradoxalement eu pour effet de diminuer sa contribution au commerce mondial, qui s’élevait à 4% en 1980 (soit le double d’aujourd’hui).

Le phénomène est encore plus criant si on se penche sur les seules exportations : alors que le FMI base son programme sur toujours plus d’exportations, plus il intervient dans l’économie africaine en la libéralisant et plus le continent exporte en volume, moins cela lui rapporte en valeur (la valeur des exportations africaines a ainsi chuté de moitié entre 1980 et 1998).

(…) La place qui lui [à l’Afrique] a été dévolue dans le panorama de la mondialisation est double : exporter vers le Nord quelques matières premières (cacao, café, caoutchouc, pétrole, minerais, coton, sucre, etc.) et importer du Nord les technologies, les produits manufacturés et une partie des céréales de base. Or, les termes de ces échanges entre Nord et Afrique sont de loin défavorables à cette dernière, puisque depuis les années 80 et hormis quelques rares exceptions (comme le boom passager du cacao et du café en 1995-96), les prix des matières premières (cotés essentiellement sur les marchés de Wall Street, Chicago et de Londres) n’ont cessé de baisser plus rapidement que les prix des produits manufacturés du Nord. Il en résulte que l’Afrique se voit condamnée par des fluctuations extérieures à vendre ses matières premières sans valeur ajoutée. Depuis 1980, la valeur du panier des produits exportés par l’Afrique a ainsi perdu la moitié de sa valeur face aux produits importés du Nord. Conséquence logique de cette réalité : la balance commerciale africaine connaît un déficit croissant. La situation est particulièrement dramatique pour les pays d’Afrique subsaharienne : leur déficit commercial, inexistant au début des années 80, passe de 600 millions de dollars en 1990 à 11,5 milliards en 1996, soit presque vingt fois plus en six ans !

(…)

Les Accords de Marrakech (instituant l’OMC en 1994) n’ont d’ailleurs pas été non plus à l’avantage de l’Afrique : alors que le FMI lui déconseille les subsides, jugés dépenses déraisonnables pour l’équilibre de la balance commerciales, les pays riches du Nord subventionnent quant à eux allégrement leurs produits d’exportation (essentiellement les produits agricoles). Sous l’effet de ce dumping, les productions subventionnées du Nord envahissent les marchés africains au détriment des productions locales. Parallèlement, le Nord fait preuve de protectionnisme à l’égard des produits du Sud. Par exemple, les tarifs moyens imposées par le Nord sur les produits manufacturés importés du Sud restent quatre fois plus élevés que ceux imposés sur les produits venant d’autres pays du Nord. Par conséquent, les produits africains n’ont pas accès aux marchés protectionnistes du Nord, tandis que la mondialisation se limite en grande partie à des échanges Nord-Nord.

En clair, selon les plans du FMI, l’Afrique donne la priorité à l’exportation (…). Une telle politique a évidemment pour but de récolter les devises utiles au paiement de la dette sans les dépenser dans des politiques publiques. Mais vu que les prix des matières premières ne cessent de chuter, que les capitaux internationaux boudent l’Afrique et que les pays riches du Nord ferment leurs marchés aux produits manufacturés du Sud, une telle politique a comme conséquence de plonger le contient africain dans une pauvreté toujours plus accrue.

A cette aune, c’est le modèle de développement imposé à l’Afrique qu’il convient de remettre en question. Depuis le milieu des années 80 et les plans d’ajustement du FMI, l’économie africaine a en effet été progressivement extravertie au fur et à mesure que la pauvreté grandissait. S’il est vrai qu’une modernisation des infrastructures et une démocratisation des appareils d’État étaient nécessaires, les bouleversements imposés par le FMI ont en réalité abouti à une situation dramatiquement absurde. Alors qu’en France, par exemple, 75% de la production nationale est destinée au marché intérieur (les 25% restants étant destinés au commerce international), c’est l’inverse qui se produit en Afrique : les trois quarts de la production sont exportés et il ne reste plus que les miettes pour les populations locales. Il faut donc réfléchir aujourd’hui à un modèle de développement différent, accordant la priorité aux marchés intérieurs africains et au financement par la mobilisation de l’épargne africaine. Un modèle de développement permettant à l’Afrique, comme cela a été possible pour les pays riches du Nord, de d’abord solidement ancrer son économie sur le plan intérieur avant de s’ouvrir sur le monde. »

in « Le Courrier » (9/12/2000) : Des « échanges » injustes et en baisse, AZe. (Extraits)