Il s’agit d’une épreuve proposée à des élèves de 4e du Collège de Saussure à Genève (= terminales de Lycée) en juin 2002 suite à un travail de recherche d’analyse géopolitique.
Exemple d’épreuve pour une analyse géopolitique
Le texte ci-dessous sur la question touarègue a été donné à des élèves de 4e année au Collège de Saussure à Genève (= terminales de Lycée). Ils avaient à disposition les dictionnaires « Le Petit Robert » 1 et 2. La durée du travail était de 160 minutes. Deux cartes (la moitié nord de l’Afrique et une carte régionale centrée sur le nord du Mali et du Niger) accompagnaient le texte ; elles ne sont pas reproduites ici.
Voici les consignes qui leurs ont été données.
- A partir du texte ci-joint, faites une analyse géopolitique de la situation du peuple touareg, spécialement au Mali et au Niger !
- Parmi les nombreuses informations et explications que contient ce texte, triez et sélectionnez seulement celles qui sont utiles à cette analyse !
- Organisez les informations et les idées en tenant compte de la démarche apprise en cours !
- Rendez votre travail sous forme d’un tableau synthétique dans lequel vous n’oublierez pas d’établir les liens appropriés entre les éléments en donnant toutes les explications nécessaires pour que la situation du peuple touareg soit rendue intelligible ! Afin de gagner de la place, le style télégraphique est autorisé (maximum une page A3).
- Libre à vous de présenter votre tableau sous la forme que vous estimez la meilleure !
Les Touaregs et leur territoire
Les Touaregs constituent une branche du vaste ensemble berbérophone qui peuple une large partie de l’Afrique du Nord-Ouest (Maghreb, Sahara et Sahel). Leur nombre est estimé entre un million et un million et demi. Ils sont localisés dans le Sahara central et les confins sahéliens adjacents. Leur zone de peuplement traditionnelle s’étend sur près de 2,5 millions de km2, l’équivalent de l’Europe occidentale. Ils se répartissent de façon très inégale entre cinq États. 20’000 au nord du Burkina Faso, 30’000 en Libye, plus de 50’000 en Algérie, plus de 500’000 au Mali et plus de 700’000 au Niger. Les quatre cinquième des populations touarègues se concentre dans la partie septentrionales de ces deux derniers États (le massif de l’Aïr, l’Azaouak et le désert du Ténéré au Niger, l’Adrar des Ifôhgas et l’erg de l’Azaouâd au Mali). Le reste se trouve surtout dans le Tassili n’Ajjer et le Hoggar en Algérie. Le peuple touareg représente moins d’un dixième de la population du Niger et du Mali (pour chacun de ces États : un peu moins de 11 millions d’habitants pour environ 1’250’000 km2).
Mis à part la présence d’oasis, la majeure partie du Sahara central est formée de vastes étendues plus ou moins plates (les regs) qui sont couvertes de cailloux. Les ensembles dunaires (les ergs), en dépit de leur célébrité photogénique, occupent des surfaces moindres.
Le Sahara n’a jamais été une barrière entre le nord et le sud de l’Afrique, mais a toujours été parcouru par des caravanes chamelières. Cependant, les troupeaux, même de dromadaires, ne peuvent pas vivre en permanence dans le vrai désert, en raison de la rareté de la végétation. Aujourd’hui, les caravanes chamelières sont de plus en plus remplacées par le transport en camions.
Le Sahara central a peu de centres urbains : Ghât en Libye, Tamanrasset en Algérie, Kidal au Mali et Agadez au Niger. Cette dernière est la cité la plus importante de toutes avec ses 35’000 habitants suivie de près par sa voisine Arlit, la cité de l’uranium (30’000 habitants). Les pasteurs nomades et leurs troupeaux se trouvent surtout dans les steppes à la périphérie du désert, au nord et au sud du Sahara. Aujourd’hui, ce sont essentiellement des sédentaires qui forment la population du désert.
La société touarègue
L’espace touareg est le théâtre depuis le début de la décennie 90 d’une lutte armée opposant une minorité d’activistes aux autorités de Niamey (Niger) et de Bamako (Mali). Ces dernières, soucieuses de préserver leur intégrité territoriale, souhaitent assimiler leurs concitoyens d’origine touarègue au sein de leur communauté nationale, quitte pour cela à les acculturer et à modifier profondément leurs modes de vie.
Répartis sur d’immenses territoires, les Touaregs n’en ont pas moins conservé un fort sentiment d’appartenance communautaire. Celui-ci repose en tout premier lieu sur la langue, le tamasheq, écrite dans un alphabet particulier, le tifinagh. L’autre facteur d’unité est incarné par l’islam. Il est pratiqué par les Touaregs de manière très tempérée et accorde une large place aux femmes au sein d’une société qui, par ailleurs, pratique la monogamie et la filiation matrilinéaire. Mais l’unité découlant de la langue et de la religion ne doit pas occulter l’existence d’une multitude de segmentations tribale, sociale et ethnique, donnant à la société touarègue un aspect fortement hiérarchisé et composite.
Les Touaregs sont organisés en huit entités politiques que l’administration coloniale française baptisa « confédérations », terme toujours utilisé. Constituée d’un ensemble de tribus, chaque confédération est identifiée par le nom du territoire dont elle a le contrôle et dans lequel les populations nomadisent. Ces confédérations sont loin de présenter un front uni. Alors que certains chercheurs privilégient la thèse de l’unité du monde touareg, les autres constatent, au contraire, son morcellement en ensembles concurrents. Les matériaux historiques disponibles montrent en effet que la rivalité est une donnée fondamentale des relations entre confédérations.
Au sein des tribus (avant les récents bouleversements induits par la colonisation, la modernité et la sédentarisation forcée), chaque individu occupe un rang social précis : nobles, lettrés, hommes libres et vassaux, artisans, esclaves libérées, esclaves. A cela s’ajoute une dimension ethnique, en raison de l’existence de Touaregs à la peau « blanche », aux statuts sociaux élevés, et de Touaregs à la peau noire, descendants d’esclaves.
A ces différenciations traditionnelles s’est superposée depuis le début des années 60 l’appartenance nationale, laquelle conditionne de manière très variable le vécu quotidien des populations réparties entre les cinq États issus de la décolonisation. Ce fait national, longtemps considéré comme plaqué artificiellement sur des populations nomades habituées à se jouer des frontières, a empêché que se constitue un mouvement touareg unifié.
Cependant, l’enracinement tribal et régional constitue l’élément prépondérant de chaque mouvement. De ce fait, la scène insurrectionnelle touarègue n’a cessé de s’émietter à la suite de querelles fratricides : quatre mouvements défendent la cause touarègue au Mali (regroupés à l’origine en 1992 au sein des MFUA : Mouvements et Fronts unifiés de l’Azaouâd), tandis qu’au Niger, la rébellion a connu des scissions à répétition, passant d’un mouvement unique en 1991 (FLAA : Front de libération de l’Aïr et de l’Azaouak) à huit mouvements distincts en 1996.
Le choc de la colonisation française
L’image des Touaregs est aujourd’hui encore très largement tributaire de l’héritage colonial français (à l’exception des Touaregs de Libye, anciennement sous domination italienne). Les « homme libres », comme ils s’appellent eux-mêmes, sont perçus de façon contradictoire : fiers, rebelles, chevaleresques et, en même temps, pillards et esclavagistes. Ils sont réputés pour être réfractaires à toute tentative extérieure de mise en ordre, politique et économique. Célèbres pour leurs rezzous (pluriel de razzia) contre les populations sédentaires qu’ils pillaient, voire soumettaient à l’esclavage, avant de les assimiler culturellement, les Touaregs ne répugnaient guère à s’entredéchirer, la lutte pour assurer la survie de la communauté dans un milieu aux ressources rares primant sur la solidarité entre tribus. Ce mode de vie des « seigneurs du désert », aux aspects parfois choquants, a été complètement remis en cause à la suite d’une série de chocs qui se sont succédés depuis la fin du XIXe siècle.
La conquête française et, dans une moindre mesure, italienne de l’espace saharien, a entraîné une première altération du fonctionnement de la société touarègue. Les tentatives de résistance à l’ordre colonial (1916-17) ont été écrasées dans le sang, décimant durablement l’aristocratie guerrière, affaiblissant le poids des chefferies traditionnelles et rompant le fragile équilibre des mécanismes sociaux internes. Toutefois, les colonisateurs français ne cherchèrent pas à remettre en cause la suprématie traditionnelle des Touaregs vis-à-vis des ethnies voisines, et éprouvèrent même une réelle sympathie en faveur des « hommes bleus ».
Une fois les différentes confédérations défaites et soumises, les Français se contentèrent d’exercer un contrôle relativement lâche, en s’efforçant de perturber le moins possible l’organisation sociale touarègue (la volonté de contrôle des officiers méharistes français se doublait d’une fascination pour un peuple et un mode de vie en totale harmonie avec un environnement rude et exigeant, fascination qui n’est pas étrangère, du reste, à l’attrait touristique qu’offre aujourd’hui le Sahara). Mais la colonisation va inexorablement faire son oeuvre : affaiblissement des grandes confédérations, relâchement des réseaux communautaires, fragilisation de l’économie pastorale par le jeu des contraintes administratives, déclin régulier du trafic caravanier.
Le choc des indépendances
La décolonisation intervenue au début des années 60 se traduit, pour les Touaregs du Niger et du Mali, par l’inversion des rapports dominants/dominés puisque, dans ces deux pays, le contrôle des appareils d’État revient à des ethnies négro-africaines sédentaires. Les anciens « razziés » vont pouvoir assouvir une vengeance historique à l’encontre de leurs « razzieurs ». Autrement dit, la mise à l’écart des Touaregs constitue une sorte une revanche des anciens esclaves noirs contre leurs maîtres.
Cet antagonisme historique (conflits entre populations nomades et sédentaires) ajouté à la logique centralisatrice des nouveaux États souverains va avoir pour effet d’écarteler et de marginaliser les Touaregs. Cette nouvelle situation va les forcer à s’inscrire dans des cadres frontaliers « nationaux », totalement étrangers à leur vision du monde et de l’espace. Dans cette perspective, les Touaregs, nomades, à l’écart des activités économiques et peu respectueux des contraintes administratives, sont perçus négativement, car difficilement contrôlables.
S’estimant marginalisés à la fois politiquement et économiquement, les Touaregs refusent de devenir des citoyens de seconde zone et esquissent un début de lutte armée contre leurs nouveaux maîtres dès les années 1961-63 au Niger et au Mali, tentatives rapidement résorbées.
Comme les élites qui héritent des commandes de l’État postcolonial sont issues des populations sédentaires, leur projet de société exclut d’emblée les préoccupations des nomades. Ainsi, les décisions politiques et économiques sont prise dans le sud, loin des zones de peuplement touarègues. Par conséquent, les Touaregs sont, à quelques exceptions près, exclus du partage du pouvoir.
En raison du fractionnement de l’espace saharien, l’économie traditionnelle touarègue va survivre très difficilement à l’instauration de frontières de plus en plus étanches et à la mise en place d’administrations nationales (douane, fisc, police), largement dominées par les ethnies sudistes négro-africaines, qui ne vont avoir de cesse de contrarier les déplacements transfrontaliers. Les zones touarègues vont alors être prises entre deux maux : soit elles seront marginalisées (le pouvoir central n’engagera aucun projet de développement en faveur des populations qui sont laissées à l’abandon et à la misère : attitude adoptée par les autorités nigériennes jusqu’au grave incident de Tchin Tabaraden en 1990), soit elles seront soumises à une politique volontariste visant à « nationaliser » les populations nomades en les sédentarisant par tous les moyens, y compris les plus coercitifs (cette attitude de discrimination ethnique se retrouvera plus volontiers au Mali et surtout en Libye et en Algérie). Dans les deux cas, actions ou inactions gouvernementales vont susciter frustrations et rancoeurs.
A cela s’ajoute l’attitude de l’ancienne métropole : lorsque les Français s’installèrent à Arlit en 1971 (à 275 km au nord-ouest de l’oasis d’Agadès au Niger) pour exploiter un des plus grands gisements d’uranium de la planète, ils n’hésitent pas à faire « monter » des « Sudistes » pour extraire le minerai. Les Touaregs en ressentiront une grande amertume d’autant que les retombées financières seront, pour eux, dérisoires. Possible source de revenus pour un peuple paupérisé et déstabilisé par les sécheresses, le partage des royalties sera au coeur des revendications des mouvements rebelles, mais la chute récente des cours mondiaux de l’uranium en a fortement dévalué l’intérêt.
Le choc de la modernité
L’irruption de la modernité dans l’espace saharien va déstabiliser les modes de vie traditionnels : les camions, accessoire indispensable du commerce transsaharien moderne, vont entraîner le déclin irrémédiable des grandes caravanes chamelières et de l’élevage du dromadaire, les deux piliers de l’économie touarègue de jadis.
Le choc des sécheresses
Sur la crise économique et un contexte politique défavorable vont se greffer les effets de la sécheresse dans les décennies 70 et 80. La mémoire collective touarègue conserve le souvenir de la terrible sécheresse qui affecta l’Aïr en 1913, provoquant famine et désolation. Les effets dramatiques de celle de 1969-1974 amorcent une prise de conscience en Occident. La dernière en date se situe dans la période 1981-1985. Comparable par sa rigueur à celle de 1913, elle consomme la déchirure du tissu social touareg, provoquant notamment un exode massif des jeunes.
Une grande partie du cheptel est anéanti, ce qui entraîne un effondrement irrémédiable de l’économie traditionnelle. Pour de nombreux éleveurs ruinés, la seule alternative sera de migrer. Si certains iront s’entasser dans les bidonvilles des grandes métropoles comme Niamey, Bamako, Dakar ou Lagos, la plupart préféreront s’exiler vers l’Algérie et surtout la Libye, attirés par sa prospérité pétrolière et les discours pansahariens du colonel Kadhafi. Ces exilés vont former les gros bataillons de la Légion islamique. Cette formation créée par le colonel Kadhafi à la fin des années 70 a servi de matrice à de nombreux mouvements insurrectionnels dans toute la bande sahélienne. Constituée pour servir d’auxiliaire à l’armée libyenne et de fer de lance à la politique expansionniste du colonel Kadhafi, cette Légion a été principalement engagée au Tchad. Près de 5’000 Touaregs ont combattu à un moment ou à un autre en son sein. D’autres Touaregs vont rejoindre à la même période les rangs du Front Polisario qui défend la cause des Sahraouis du Sahara occidental face à l’État du Maroc.
Le choc du retour
A la fin des années 80, la fin de la guerre froide et le retournement de la conjoncture pétrolière (forte baisse des cours) vont conduire à un ralentissement des conflits tchadien et saharien et à une dégradation de la situation économiques et sociale en Algérie et en Libye. Dans ce nouveau contexte, Alger et Tripoli décident de s’alléger de la présence des Touaregs, devenue désormais un fardeau. Nombre de Touaregs sont donc incités, ou forcés, à regagner leurs zones d’origine au Niger et au Mali. 20’000 personnes rentrent ainsi avec armes et bagages et vont rompre le fragile équilibre de ces régions pauvres et marginalisées. Ce retour entraîne une vague d’agitation et d’insécurité. Un mouvement de contestation politique à l’encontre des pouvoirs centraux lointains se développe. Le basculement dans la violence armée s’opère de manière quasi simultanée au printemps 1990 au Mali et au Niger : au massacre de Tchin Tabaraden commis le 7 mai 1990 par l’armée nigérienne contre des Touaregs répond l’attaque, le 29 juin suivant, de la localité de Ménaka par des Touaregs maliens. Le cercle vicieux insurrection-répression est lancé. Les Fronts armés touaregs vont désormais se multiplier.
La représentativité des mouvements
Outre l’absence d’une idéologie fédératrice, susceptible de transcender leur lutte, la dizaine de factions armées touarègues est handicapée par l’absence de chefs charismatiques indiscutables. Leurs chefs, loin d’incarner l’espoir d’un peuple, apparaissent plutôt comme de petits entrepreneurs militaires, bien enracinés localement mais incapables de fédérer au-delà de leur fief ou de leur tribu. Ce sont pour la plupart d’anciens déserteurs, des fonctionnaires en rupture de ban ou des étudiants ayant abandonné leurs études en cours de route. Leurs troupes sont composées de compagnons d’armes ayant eu le même parcours qu’eux, mais aussi de jeunes désoeuvrés et d’adultes ayant perdu leurs troupeaux à la suite des sécheresses à répétition de la décennie 80.
Ces chefs ont fréquemment acquis leur expérience militaire dans les rangs du Front Polisario ou au sein de la Légion islamique. 1’200 vétérans de cette légion auraient poursuivi leurs activités martiales au sein des différents Fronts touaregs.
Pragmatiques et opportunistes, ces chefs de guerre sont susceptibles de revirement spectaculaire, à condition que le camp d’en face soit capable d’y mettre le prix. Leur légitimité au sein de la communauté touarègue est ainsi sujette à caution. D’autant que seule une fraction minoritaire des Touaregs est favorable à la lutte armée. Nombreux sont ceux qui estiment pouvoir obtenir satisfaction de leurs revendications autrement qu’en empruntant la voie des armes. Ils pensent arriver à leur fin en combinant résistance passive à l’encontre des pouvoirs centraux et participation au débat démocratique quand cela est possible (par exemple, deux partis politiques à recrutement fortement touareg sont intégrés au jeu politique nigérien ; de plus, l’État nigérien a toujours compté en son sein au moins un ministre touareg).
Une guérilla des sables
Dans ce type de conflit, s’étendant sur de vastes étendues désertiques, la mobilité constitue le facteur primordial : il faut frapper fort et se retirer rapidement, en esquivant le contact avec l’ennemi et en refusant toute guerre de positions. Équipés de véhicules 4 x 4 et d’armes légères en quantité, les Fronts touaregs ont multiplié depuis 1990 les opérations de harcèlement contre les symboles et les représentants des pouvoirs centraux maliens et nigériens. De telles opérations ont été la plupart du temps de faible envergure. Il est rare qu’elles aient mobilisé plus d’une centaine de combattants simultanément. Le quotidien de ces attaques est fait de raids surprises contre des localités, brièvement investies, contre des bâtiments officiels ou contre des infrastructures « stratégiques » (par exemple, les sites miniers d’Arlit) et d’embuscades contre des convois, autant civils que militaires. C’est ce qui explique que, bien souvent, la frontière est des plus ténues entre actions militaires et actes de banditisme.
En réaction, les armées nationales, mal équipées et mal préparées à intervenir dans des zones désertiques et montagneuses, n’ont pu s’empêcher de commettre des exactions contre les populations civiles suspectées de soutenir les rebelles (opérations de ratissage, actions de représailles contre les campements nomades, multiples arrestations).
Le bilan humain
En raison de la non-utilisation d’armes lourdes et de la pauvreté des moyens militaires déployés par chaque camp, le nombre des victimes provoquées par ces insurrections est relativement faible, du moins à l’aune d’autres conflits intraétatiques africains contemporains (Rwanda, Burundi, Congo, Angola, Soudan, etc.). Officiellement, le bilan de l’insurrection s’établirait aux alentours de 150 morts au Niger, entre 1990 et 1995. Mais ce chiffre est totalement sous-estimé. En additionnant le nombre des victimes directes des combats, des représailles de l’armée et des affrontements ethniques, on approche du seuil du millier de mort. Au Mali, le nombre des victimes est plus important, l’année 1994 y ayant été particulièrement sanglante. Le nombre d’environ 5’000 victimes pourrait être considéré ici comme réaliste.
La recherche d’une solution politique
Au Mali, après avoir entamé à partir de novembre 1994 un dialogue prometteur avec les autorités maliennes qui aboutira a une série d’accords de paix en 1995, les différents Fronts touaregs cesseront aussi leurs luttes fratricides.
Un ambitieux plan de paix va être élaboré. Il comprend trois grands chapitres :
1. La réinsertion de 1’500 anciens combattants au sein des corps en uniforme de la fonction publique (armée, gendarmerie, garde nationale, police, douane, service des eaux et forêts), tandis que plus de 9’000 autres pourront bénéficier du Programme d’appui à la réinsertion des ex-combattants (mis en oeuvre par le programme des Nations unies pour le développement) et destiné à leur permettre de se reconvertir dans des projets socio-économiques de leur choix (dans le secteur de l’agriculture, de l’élevage, de l’artisanat, du commerce) dans le but de redynamiser l’économie des régions septentrionales.
2. Le retour des réfugiés ayant fui à l’étranger au gré des combats (160 à 170’000 personnes) grâce à l’action du HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés).
3. La restauration de la sécurité avec le soutien de la France : le retrait de l’armée du nord-Mali a été compensé par le déploiement d’unité « mixtes » (comprenant d’anciens rebelles).
Le déroulement satisfaisant du plan de paix, ces dernières années, a été complété par une meilleure participation de la minorité touarègue à la vie politique malienne (cette communauté disposait à partir de 1998 d’un ministre en charge de l’Environnement et de neuf députés).
Le déroulement de la crise touarègue au Niger présente de grandes similitudes avec celle du Mali. Toutefois, même si elle a été beaucoup moins meurtrière, elle a plus de mal à se résoudre en raison d’un mélange ethniques plus complexe, rendant difficile la délimitation d’un « pays touareg » ethniquement homogène. De plus, la proximité de la Libye et les aléas de sa politique n’a pas arrangé les choses.
Le 9 octobre 1994, l’accord de Ouagadougou affirme le caractère indivisible du Niger, mettant un terme aux aspirations fédéralistes, voire indépendantistes, des Touaregs, en contrepartie de quoi le gouvernement s’est engagé à faire adopter une loi de décentralisation (répartition des ressources, en particulier les royalties tirées des mines d’uranium d’Arlit, modalités de démobilisation des combattants et de leur intégration au sein de l’administration, amnistie, etc.). Le plan est en cours. Il prévoit la démobilisation de 8’000 combattants touaregs, dont près de 6’000 doivent être intégrés dans le secteur public (armée, gendarmerie, police, douane, services des eaux et forêts ou stage de formation professionnelle) et la réinsertion de 20’000 réfugiés. Sur fond de sédentarisation et d’acculturation plus ou moins forcée, la mise en application de ce plan progresse lentement.
La France
En tant qu’ancienne puissance coloniale saharienne, la France est liée par des accords de défense à Niamey et à Bamako. De plus, en sa qualité de principal partenaire économique et premier bailleur de fonds du Mali et du Niger, elle se doit de contribuer à leur stabilité politique. Le Niger recèle une importance supplémentaire aux yeux de Paris, puisqu’il possède d’importants gisements d’uranium (mines d’Arlit), d’où est extraite une bonne partie du minerai brûlé dans les centrales nucléaires françaises. Par conséquent, la France a multiplié les efforts de conciliation, dépêchant régulièrement diplomates ou émissaires des services secrets pour servir de médiateurs entre les Fronts rebelles et les autorités nationales. Avec un relatif succès puisque les crises nigérienne et malienne se sont apaisées depuis 1995.
L’Algérie
Elle abrite une importante diaspora, forte d’environ 60’000 personnes, originaires du Niger et surtout du Mali, ayant fui les fortes sécheresses qu’a connues le Sahel au cours des décennies 70-80. Cette réalité humaine a incité dès le début des crises touarègues les autorités d’Alger à suivre avec la plus grande attention l’évolution de la situation chez ses deux voisins méridionaux, son but étant d’étendre son influence diplomatique en direction de Niamey et de Bamako, et d’éviter un risque de contagion autonomiste touchant sa propre communauté touarègue. La diplomatie algérienne s’est de ce fait montrée très active lors de la conclusion des accords de paix autant au Mali qu’au Niger.
La Libye
La Libye a accueilli à bras ouverts au cours des décennies 70-80 une importante diaspora touarègue nigérienne et malienne, fuyant la sécheresse et la paupérisation. Le colonel Kadhafi aimait alors à se présenter comme le protecteur naturel des Touaregs et soutenait activement la création d’un grand État saharien. Il a contribué à la formation militaire de la plupart des cadres des Fronts touaregs actuels en les enrôlant au sein de sa Légion islamique. Mais après les avoir utilisés pour soutenir ses ambitions territoriales au Tchad, Kadhafi s’est assez brutalement débarrassé d’eux, au tournant des années 80-90, en les incitant plus que fortement à regagner leur pays d’origine. Ce brusque revirement s’explique par les difficultés politiques et économiques auxquelles a été confrontée la Libye à la suite de sa mise au ban des Nations par les pays occidentaux du fait de son implication dans le terrorisme international. En lâchant la Légion, Kadhafi donnait ainsi des gages de modération à la communauté internationale. Une autre explication à ce lâchage tient au fait que son pouvoir en Libye est contesté par des rivalités tribales, et que l’exemple des insurrections touarègues pouvait donner des idées à certaines tribus. Ceci expliquerait pourquoi la Libye s’était finalement ouvertement engagée aux côtés de l’État du Niger en lui fournissant des équipements militaires pour combattre les rébellions touarègues.
Le texte ci-dessus a été élaboré à partir des sources suivantes :
- Balencie, Jean-Marc. De La Grange, Arnaud. 1999 : « Mondes rebelles », Paris : éd. Michalon.
- Lacoste, Yves. 1993 : « Dictionnaire de géopolitique », Paris : éd. Flammarion.
- articles dans l’Encyclopaedia Universalis 2000
- Veyrac, Jean Louis : « La lettre ethniste », n°4, 10 mars 2000 :
- http://www.ethnisme.ben-vautier.com/veyrac/veyrac4.html
Quelques compléments d’informations (2004)
Au Niger, Agadez a actuellement une population de 120’000 à 150’000 habitants ; Arlit a 60’000 habitants, dont seulement 700 travaillent à la mine d’uranium qui a vu sa production chuter de 80 % depuis que la France achète son uranium en Australie !