Gavin Newsom est un inconnu du grand public français qui ne connaît généralement que deux gouverneurs passés de la Californie : Ronald Reagan et Arnold Schwarzenegger. Mais le discours qu’il a prononcé le 10 juin 2025 pourrait bien faire de lui la troisième étoile d’un trio de gouverneurs d’exception d’un État décidément à part aux États-Unis.
Né le à San Francisco, dans une famille plutôt favorisée, Gavin Newsom incarne à sa façon une forme d’idéal américain. Ses parents divorcent alors qu’il n’a que 5 ans. Après une licence en sciences politiques, Gavin Newsom fait des petits boulots avant de connaître le succès financier à partir de 1991, dans la restauration et l’hôtellerie. Membre du Parti démocrate de 2003 à 2011, il devient maire de San Francisco et applique un programme social et avant-gardiste. Il devient gouverneur de Californie en 2019 après en avoir été le lieutenant-gouverneur durant 8 ans. Gavin Newsom incarne l’essentiel des valeurs honnies par Donald Trump : défense des droits des LGBT, lutte contre la pauvreté, prise en compte des questions écologiques, lutte contre les Antivax …
Newsom apparaît aujourd’hui comme un candidat sérieux à l’élection présidentielle de 2028 (pour un Parti démocrate pourtant mal en point) et donc, l’ennemi de Donald Trump. Les tensions, perceptibles depuis quelque temps, ont fini par éclater à la suite de la décision de Trump de déclencher des raids policiers chargés de traquer les sans-papiers et de déployer 2000 gardes de la Garde nationale pour tenter de maîtriser les tensions violentes et persistantes entre la police de l’immigration et les manifestants et ce, contre l’avis du gouverneur, pourtant incontournable selon la Loi fédérale.
C’est dans ce contexte très tendu voulu par Donald Trump, que, soutenu entre-autres par la maire de Los Angeles, Karen Bass, Gavin Newsom a prononcé ce discours mardi 10 juin 2025, discours dont nous vous proposons une traduction.
Le discours (proposition de traduction française des Clionautes)
Je voudrais dire quelques mots sur les événements des derniers jours.
Le week-end dernier, des agents fédéraux ont mené des raids à grande échelle sur des lieux de travail à Los Angeles et dans ses environs. Ces raids se poursuivent au moment où je vous parle.
La Californie a l’habitude d’appliquer la législation sur l’immigration. Mais, au lieu de se concentrer sur les immigrés sans-papiers qui ont un lourd casier judiciaire et sur les personnes qui ont fait l’objet d’un arrêté d’expulsion définitif, stratégie que les deux partis défendent depuis longtemps, l’administration actuelle pousse aux expulsions massives, ciblant aveuglément des familles immigrées qui travaillent dur, sans tenir compte de leurs origines ou des risques qu’elles encourent.
Ce qui se passe actuellement ne ressemble en rien à tout ce que nous avions connu jusqu’à présent.
Samedi matin, lorsque des agents fédéraux ont sauté d’une camionnette banalisée près d’un parking de Home Depot*, ils ont commencé à arrêter des individus. Ils ont ciblé délibérément une banlieue à forte population latino. Une scène similaire s’est produite lorsqu’une entreprise de confection a été perquisitionnée dans le centre-ville.
Parmi les autres faits relevés : une citoyenne américaine enceinte de neuf mois a été arrêtée et une fillette de quatre ans a été enlevée. Des familles ont été séparées, des amis ont disparu.
En réaction, les Angelins ont exercé chaque jour leur droit constitutionnel à la liberté d’expression et de réunion pour protester contre les actes de leur gouvernement. De leur côté, l’État de Californie, la ville et le comté de Los Angeles ont déployé leurs forces de police pour aider à maintenir la paix et, à quelques exceptions près, ils ont réussi. Comme de nombreux autres États, la Californie connait ce type de troubles. Nous y faisons face régulièrement … et avec nos propres forces de l’ordre.
Mais cette fois encore, je le répète, ce n’était pas la même chose.
Il a été fait usage de gaz lacrymogènes, de grenades assourdissantes et de balles en caoutchouc. Les agents fédéraux ont arrêté des personnes en niant leurs droits à une procédure régulière. Sans consulter les responsables légaux de Californie, Donald Trump a réquisitionné 2 000 militaires réservistes de la garde nationale de notre État pour les déployer dans nos rues, un acte illégal et sans fondement.
Cet abus de pouvoir éhonté de la part d’un président en exercice a jeté de l’huile sur le feu … mettant en danger nos concitoyens, nos fonctionnaires de police et même notre Garde nationale.
C’est alors que la spirale infernale a débuté. Il a redoublé d’efforts pour assurer son dangereux déploiement de la garde nationale, attisant de fait encore plus les flammes.
Le président l’a fait de manière délibérée.
Alors que la nouvelle se répandait dans Los Angeles, l’inquiétude grandissait sur le sort des proches et des amis. Les manifestations ont repris.
La nuit tombée, plusieurs dizaines de contrevenants ont commis des actes de violence et de vandalisme. Ils ont vandalisé des magasins et s’en sont pris à des policiers. Beaucoup d’entre vous ont vu des images de voitures incendiées sur les chaînes d’information.
Quiconque commet des actes de violence − je le dis tout net − quiconque commet des actes de violence ou détruit nos quartiers sera puni. Aucun acte criminel de ce genre ne sera toléré. Aucun. Plus de 370 personnes ont déjà été interpellées. Nous analysons en ce moment les images de vidéosurveillance afin de pouvoir établir des preuves supplémentaires et les personnes concernées seront poursuivies avec toute la rigueur de la loi.
Une fois encore, grâce à nos forces de l’ordre et à la majorité des Angelins qui ont manifesté pacifiquement, la situation s’est calmée et s’est concentrée sur quelques pâtés de maisons du centre-ville.
Mais ce n’est pas ce que voulait Donald Trump.
Il a de nouveau choisi la surenchère, et davantage de force. Il a préféré les effets de manche à la sécurité publique. Il a « fédéralisé » 2 000 membres supplémentaires de la Garde. Il a déployé plus de 700 Marines américains en activité. Il s’agit d’hommes et de femmes formés pour le combat à l’étranger et non pour faire appliquer la loi sur le territoire national. Nous honorons leur engagement. Nous honorons leur bravoure. Mais nous ne voulons pas voir nos rues militarisées par nos propres forces armées. Ni à Los Angeles, ni en Californie, ni nulle part ailleurs.
Nous voyons des véhicules banalisés sur des parkings d’école. Des enfants qui ont peur d’assister à leur propre cérémonie de remise de diplôme.
Trump organise une opération militaire à Los Angeles, et va bien au-delà de son intention déclarée de s’en prendre uniquement aux criminels auteurs d’actes de violence et d’infractions graves. Ses agents arrêtent des plongeurs, des jardiniers, des journaliers et des couturières – c’est de la faiblesse pure et simple. Une faiblesse déguisée en force. Le gouvernement de Donald Trump ne protège pas nos communautés – il les traumatise. Et c’est là, semble-t-il, le but.
La Californie continuera de se battre au nom de son peuple – de tous les nôtres – y compris devant les tribunaux.
Hier, nous avons déposé une plainte contre le déploiement irresponsable de troupes américaines par le président Trump dans une grande ville américaine. Aujourd’hui, nous avons demandé une ordonnance d’urgence du tribunal pour mettre fin à l’utilisation de l’armée américaine pour des activités de maintien de l’ordre à Los Angeles. Si certains d’entre nous peuvent être enlevés dans la rue sans mandat, uniquement sur la base de soupçons ou de la couleur de peau, alors aucun d’entre nous n’est en sécurité.
Les régimes autoritaires commencent par cibler les personnes les moins à même de se défendre. Mais ils ne s’arrêtent pas là.
Trump et ses fidèles prospèrent grâce à la division, car elle leur permet de prendre davantage de pouvoir et d’exercer encore plus de contrôle. En fait, Trump n’est pas opposé à l’anarchie et à la violence, tant que cela le sert. Quelle preuve supplémentaire avons-nous besoin que le 6 janvier ?
J’invite chacun à prendre le temps de réfléchir à ce moment périlleux.
Un président qui ne veut être lié par aucune loi ni constitution. Il mène une attaque unifiée contre les traditions américaines. Ce président, en un peu plus de 140 jours, a limogé les observateurs gouvernementaux qui pourraient le tenir responsable de corruption et de fraude.
Il a déclaré la guerre à la culture, à l’histoire, à la science – à la connaissance elle-même. Les bases de données disparaissent littéralement. Il délégitime les médias et attaque le Premier Amendement. Menaçant de les priver de financement, il dicte ce que les universités peuvent enseigner. Il cible les cabinets d’avocats et le pouvoir judiciaire, fondements d’une société civile ordonnée.
Et nous savons tous que ce samedi, il ordonne à nos héros américains – l’armée américaine – de se montrer vulgaire pour célébrer son anniversaire, comme l’ont fait d’autres dictateurs déchus par le passé.
Écoutez, il ne s’agit pas seulement des manifestations à Los Angeles. Lorsque Donald Trump a cherché à obtenir l’autorisation générale de réquisitionner la Garde nationale, il a appliqué cet ordre à tous les États du pays. Il s’agit de nous tous. Il s’agit de vous.
La Californie sera peut-être la première, mais cela ne s’arrêtera clairement pas là. D’autres États suivront.
La démocratie est la prochaine étape. La démocratie est attaquée sous nos yeux – le moment que nous redoutions est arrivé.
Il s’attaque au projet historique de nos pères fondateurs. Trois pouvoirs indépendants et égaux au gouvernement. Il n’y a plus de freins et de contrepoids. Le Congrès est introuvable. Le président Johnson* a totalement renoncé à son obligation. L’État de droit cède progressivement le pas à la règle de Donald. Les pères fondateurs n’ont pas vécu et ne sont pas morts pour voir ce moment.
Il est temps pour nous tous de nous lever.
Le juge Brandeis l’a bien dit : dans une démocratie, la fonction la plus importante n’est pas celle de président, et certainement pas celle de gouverneur. La fonction la plus importante est celle de citoyen.
En ce moment, nous devons tous nous lever et nous tenir à un niveau de responsabilité plus élevé. Si vous exercez vos droits garantis par le Premier Amendement, faites-le pacifiquement. Je sais que beaucoup d’entre vous ressentent une profonde anxiété, du stress et de la peur. Mais je veux que vous sachiez que VOUS êtes l’antidote à cette peur et à cette anxiété.
Ce que Donald Trump désire le plus, c’est votre fidélité. Votre silence. Votre complicité en ce moment.
Ne cédez pas à sa volonté.
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Notes :
Home depot : magasin dédié à l’équipement des maisons et au bricolage, populaire, équivalent de Leroy Merlin ou Castorama en France
Johnson : allusion à Mike Johnson, président de la Chambre des représentants
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Le discours dans sa version originale :
I want to say a few words about the events of the last few days.
This past weekend, federal agents conducted large-scale workplace raids in and around Los Angeles. Those raids continue as I speak.
California is no stranger to immigration enforcement. But instead of focusing on undocumented immigrants with serious criminal records and people with final deportation orders – a strategy both parties have long supported – this administration is pushing mass deportations. Indiscriminately targeting hardworking immigrant families, regardless of their roots or risk.
What’s happening right now is very different than anything we’ve seen before.
On Saturday morning, when federal agents jumped out of an unmarked van near a Home Depot parking lot, they began grabbing people. A deliberate targeting of a heavily Latino suburb. A similar scene also played out when a clothing company was raided downtown. In other actions: a US citizen, 9 months pregnant – arrested. A four-year-old girl – taken. Families separated. Friends disappearing.
In response, everyday Angelinos came out to exercise their Constitutional right to free speech and assembly. To protest their government’s actions.
In turn, the State of California and the City and County of Los Angeles sent our police officers to help keep the peace, and with some exceptions, they were successful. Like many states, California is no stranger to this sort of civil unrest. We manage it regularly … and with our own law enforcement.
But this, again, was different.
What then ensued was the use of tear gas. Flash-bang grenades. Rubber bullets. Federal agents, detaining people and undermining their due process rights. Donald Trump, without consulting with California’s law enforcement leaders, commandeered 2,000 of our state’s National Guard members to deploy on our streets. Illegally, and for no reason.
This brazen abuse of power by a sitting President inflamed a combustible situation … putting our people, our officers, and the National Guard at risk.
That’s when the downward spiral began. He doubled down on his dangerous National Guard deployment by fanning the flames even harder.
And the President did it on purpose.
As the news spread throughout LA, anxiety for family and friends ramped up. Protests started again.
By night, several dozen lawbreakers became violent and destructive. They vandalized property. They tried to assault police officers. Many of you have seen video clips of cars burning on cable news. If you incite violence or destroy our communities, you are going to be held accountable.That kind of criminal behavior will not be tolerated. Full stop. Already, more than 370 people have been arrested. And we’re reviewing tapes to build additional cases, and people will be prosecuted to the fullest extent of the law.
Again, thanks to our law enforcement officers and the majority of Angelenos who protested peacefully, this situation was winding down and was concentrated in just a few square blocks downtown.
But that’s not what Donald Trump wanted.
He again chose escalation ; he chose more force. He chose theatrics over public safety – he federalized another 2,000 Guard members. He deployed more than 700 active U.S. Marines. These are men and women trained in foreign combat, not domestic law enforcement. We honor their service. We honor their bravery. But we do not want our streets militarized by our own Armed Forces. Not in L.A. Not in California. Not anywhere.
We’re seeing unmarked cars in school parking lots. Kids, afraid to attend their own graduation.
Trump is pulling a military dragnet across LA, well beyond his stated intent to just go after violent and serious criminals. His agents are arresting dishwashers, gardeners, day laborers and seamstresses – That’s just weakness. Weakness, masquerading as strength. Donald Trump’s government isn’t protecting our communities – they are traumatizing our communities. And that seems to be the point.
California will keep fighting on behalf of our people – all of our people – including in the courts.
Yesterday, we filed a legal challenge to President Trump’s reckless deployment of American troops to a major American city. Today, we sought an emergency court order to stop the use of the American military to engage in law enforcement activities across Los Angeles.
If some of us can be snatched off the streets without a warrant, based only on suspicion or skin color, then none of us are safe.
Authoritarian regimes begin by targeting people who are least able to defend themselves. But they do not stop there.
Trump and his loyalists thrive on division because it allows them to take more power and exert even more control. By the way, Trump – he’s not opposed to lawlessness and violence, as long as it serves HIM. What more evidence do we need than January 6th ?
I ask everyone to take the time to reflect on this perilous moment.
A president who wants to be bound by no law or constitution. Perpetrating a unified assault on American traditions. This is a President who, in just over 140 days, has fired government watchdogs that could hold him accountable for corruption and fraud.
He’s declared a war on culture, on history, on science – on knowledge itself. Databases, quite literally vanishing. He’s delegitimizing news organizations and assaulting the First Amendment. At the threat of defunding them, he’s dictating what universities can teach. Targeting law firms and the judicial branch that are the foundation of an orderly civil society.
Calling for a sitting Governor to be arrested for no other reason than – to use his words – “for getting elected.”
And we all know, this Saturday, he’s ordering our American heroes – the United States military – forcing them to put on a vulgar display to celebrate his birthday, just as other failed dictators have done in the past.
Look, this isn’t just about protests in LA.
When Donald Trump sought blanket authority to commandeer the National Guard, he made that order apply to every state in this nation.
This is about all of us. This is about you.
California may be first – but it clearly won’t end here. Other states are next. Democracy is next. Democracy is under assault right before our eyes – the moment we’ve feared has arrived.
He’s taking a wrecking ball to our founding fathers’ historic project.
Three independent, coequal branches of government.
There are no longer any checks and balances. Congress is nowhere to be found. Speaker Johnson has completely abdicated that responsibility. The rule of law has increasingly given way to the rule of Don. The founding fathers did not live and die to see this moment.
It’s time for all of us to stand up.
Justice Brandeis said it best : in a democracy, the most important office is not president, it’s certainly not governor. The most important office is office of citizen.
At this moment, we must all stand up and be held to a higher level of accountability. If you exercise your First Amendment rights, please do so peacefully. I know many of you are feeling deep anxiety, stress, and fear. But I want you to know that YOU are the antidote to that fear and anxiety.
What Donald Trump wants most is your fealty. Your silence. To be complicit in this moment.
Do NOT give in to him.
Source : site officiel du gouverneur de la Californie, disponible ICI
Le discours en vidéo :
Source : chaîne YouTube officielle de CNN. Le discours est également disponible sur la chaîne YouTube officielle du gouverneur de Californie ICI