Thomas Babington Macaulay (1800-1859), poète et historien d’origine écossaise, fils d’un militant abolitionniste, affilié au parti Whig (l’un des ancêtres du Parti libéral), secrétaire du Board of Control en 1832-1833, membre du Supreme Council of India entre 1834 et 1838. Il rédige en 1835 un rapport lourd de conséquences sur l’anglicisation de l’élite indienne. Macaulay regarde ici avec condescendance les savoirs indiens. On sait aujourd’hui que des savoirs techniques indigènes ont circulé, que les Britanniques se sont parfois appropriés. Au moment où Macaulay écrit, les Indes britanniques (British India) sont encore sous l’administration de la Compagnie britannique des Indes orientales (British East India Company – BEIC).

Nous avons la charge d’instruire un peuple qui ne peut pas, pour l’heure, être instruit à partir de ses langues maternelles. Nous devons donc leur enseigner une langue extérieure. Les mérites de notre propre langue sont tels qu’il n’est guère nécessaire de les récapituler. Elle se pose en position dominante, y compris parmi les langues occidentales. Elle est riche de travaux d’imagination qui, pour les plus nobles, n’ont rien à envier à l’héritage de la Grèce ; de modèles de chaque sorte d’éloquence ; de compositions historiques, qui, considérées purement comme des récits, ont rarement été dépassées, et qui, considérées comme les véhicules d’une instruction éthique et politique, n’ont jamais été égalées ; de représentations justes et vivantes de la vie et de la nature humaines ; des spéculations les plus profondes en métaphysique, morale, art du gouvernement, jurisprudence et commerce ; d’informations complètes et exactes sur toutes les sciences expérimentales dont le but est de préserver la santé, d’accroître le bien-être ou de répandre l’esprit de l’homme. Quiconque connaît cette langue a un accès immédiat à toute cette vaste richesse intellectuelle, que toutes les nations les plus avisées de la terre ont accumulée et gardée quatre-vingt-dix générations durant […]
La question qui se pose à nous désormais est simplement de savoir, alors qu’il est en notre pouvoir d’enseigner cette langue, si nous allons enseigner des langues dans lesquelles, par un aveu universel, n’existe aucun livre sur aucun sujet qui mérite d’être comparé aux nôtres ; si, alors que nous pouvons enseigner la science européenne, nous devons enseigner des systèmes qui, par un aveu universel, à chaque fois qu’ils diffèrent de ceux de l’Europe, diffèrent pour le pire ; et si, alors que nous pouvons offrir une Philosophie sensée et une Histoire véritable, nous devons promouvoir, par la dépense publique, des connaissances médicales qui feraient honte à un maréchal-ferrant anglais, une Astronomie qui ferait rire les filles d’une école élémentaire anglaise, une Histoire remplie de rois de trente pieds de haut et de règnes de trente mille ans de durée, et une Géographie faite de mers de mélasse ou de beurreDe nombreuses recherches ont été conduites en Inde et dans l’historiographie britannique sur la circulation des savoirs. Elles démentent l’idée d’un savoir à sens unique diffusé selon une logique pyramidale (top-down) des Britanniques vers les Indiens. A partir de l’exemple indonésien, Romain Bertrand fait également un sort à cette vision réductrice de l’histoire de l’Autre dans Cliotexte. […]
Je sens qu’il nous est impossible, avec nos moyens limités, de prendre en charge l’instruction de la masse du peuple. Nous devons pour l’heure faire de notre mieux pour former une classe qui pourrait devenir notre interprète vis-à-vis des millions d’hommes que nous gouvernons ; une classe d’individus, Indiens par le sang et par la couleur, mais Anglais par le goût, les opinions, les mœurs, et l’intellect. À cette classe, nous confierions la mission d’améliorer les dialectes du pays, de les enrichir avec des termes scientifiques empruntés au vocabulaire occidental, et d’en faire progressivement les véhicules de la transmission de connaissances à la grande masse de la population […]
Je suis d’avis de mettre fin immédiatement à l’impression de livres en arabe ou en sanscrit ; je suis d’avis d’abolir la madrasa et le collège sanscrit de Calcutta. Bénarès est le haut lieu de l’enseignement brahmanique ; Delhi, de l’enseignement arabe. Si nous gardons le collège sanscrit de Bénarès et le collège mahométanAu XIXe siècle, les termes «islamiste» et «mahométan» sont employés pour «musulman», ce que montrent par exemple, les discours de Lamartine à la Chambre en 1834, à propos de l’Algérie. de Delhi, nous faisons suffisamment, et de mon point de vue, plus que le nécessaire, pour les langues de l’Orient.


Thomas Babington Macaulay, Minute on Indian Education, 2 février 1835.

Le rapport Macaulay sur l’instruction aux Indes (1835)
Les Indes britanniques, carte de 1909