Liens entre la Révolte des Cipayes et les principes du gouvernement britannique
Les Indes sont alors administrées par la Compagnie anglaise des Indes orientales (d’abord anglaise puis britannique sous le nom de British East India Company, B.E.I.C.).
« C’est essentiellement un gouvernement absolu, qui a pour base non le consentement, mais la conquête. Il ne représente pas les concepts indigènes de la vie et du gouvernement et ne peut jamais le faire, car il représenterait alors l’idolâtrie et la barbarie. Il représente une civilisation belligérante, et rien ne pourrait être plus dangereux que d’avoir dans son administration, à la tête d’un gouvernement fondé sur la conquête – impliquant en tout point la supériorité de la race conquérante, de ses concepts, de ses institutions, de ses principes et qui n’a d’autre justification pour son existence que cette supériorité -, des hommes qui hésitent à s’imposer ouvertement, sans compromis, avec conviction, et qui de quelque façon chercheraient à justifier leur position et se refuseraient, pour une raison quelconque, à la maintenir. »
extrait de Fitzjames Stephen, History of the Criminal Law of England, 1883 Fitzjames dit cela en pensant aux causes de la Révolte des Cipayes.
Rumeurs au sujet de la révolte des Cipayes
« Ce « fidèle Cipaye » qui a commencé de les servir dès l’époque de Plassey, un siècle auparavant, s’est pourtant rebellé à quatre ou cinq reprises, entre 1760 et 1850 ; mais toujours localement. Parfois il était question de paie ou d’allocations. Le plus souvent, de religion ou d’habitudes religieuses. Avant la bagarre des cartouches, il s’est produit des conflits (…) . En 1850, le commandement en chef affirmait de nouveau que l’Inde était « en danger ». Le gouverneur général, Lord Dalhousie, le niait. Son successeur, Lord Canning , installé à Calcutta, depuis le début de 1856, a hérité de lui et promulgué un décret sur les conditions d’engagement qui ne facilite pas la solution de divers petits problèmes extrêmement épineux touchant le service intérieur.
Graisse de porc, graisse de vache…. [sic] Les Anglais savent qu’on les accuse à tort. Mais il [sic] savent aussi que les Cipayes redoutent ou abhorrent tout ce qui leur paraît devoir porter atteinte aux commandements de leur foi ou au maintien de leur caste. Sur ce terrain il n’est pas de fable, même la plus absurde, qui ne prenne racine. A l’avant-veille de la révolte, le commissaire britannique à Lucknow, Sir Henry Lawrence rapporte à Lord Canning un entretien qu’il vient d’avoir avec un brahmine d’une quarantaine d’années, excellent sous-officier d’artillerie, et au demeurant très certain que le gouvernement britannique a résolu de convertir « frauduleusement » tous les indigènes au christianisme. « Il m’a dit qu’il était possible que nous mêlions de la poussière d’os de vache au grain vendu aux Indous…. [sic] Et voilà, ajoute Sir Henry, consterné, un de nos meilleurs soldats, proposé pour l’avancement…. [sic] » Cette lettre ne pouvait surprendre Lord Canning qui, à son tour, enregistre les rumeurs du Bazar. « Il paraît que j’ai ordonné de jeter du bœuf dans les bassins, afin de polluer les Indous qui s’y baignent, et que le jour d’anniversaire de la reine nous fermerons toutes les boutiques de marchands de grain pour obliger les gens à manger une nourriture impure. » Ailleurs on assure que les pagodes seront interdites aussitôt que les Feringhis auront construit assez d’églises ; nul n’ignore enfin que les Anglais arrosent le sel fournit aux Indiens avec du sang de vache ou de cochon. Le même Lord Canning, relativement neuf aux Indes, et taxé d’inconscience par les vieux résidents de Calcutta parce qu’il montre à tous un visage de marbre, semble avoir été au contraire un bon psychologue. « Vous parlez, mande-t-il un de ses subordonnés, d’inspirer aux cipayes de la terreur. Vous êtes dans l’erreur la plus complète et la plus dangereuse. De toutes les difficultés que nous avons à résoudre, la pire est celle-ci : les régiments qui n’ont pas encore déserté sont affolés de peur. Les cipayes craignent pour leur caste et pour leur religion, ils craignent de se déshonorer aux yeux de leurs camarades, ils craignent que les troupes européennes se concentrent pour les écraser ou les décimer tout comme ceux qui sont déjà coupables. » Un officier ayant 36 ans de service avec les cipayes lui répond en écho : « La peur est la cause principale de tout se qui se passe dans l’armée indigène.» »
FREDERIX Pierre, La révolte des Cipayes d’après les cahiers du soldat Metcalfe. France : Hachette, 1954, 24 p.
« En mars 1857, le major Mattews, commandant le 43e régiment d’infanterie indigène à Barrackpore, près de Calcutta, reçoit une lettre anonyme contenant un échantillon représentatif des rumeurs qui circulent dans les bazars et dans les cantonnements depuis longtemps déjà :
« Vous êtes les maîtres du pays. Le gouverneur général, conformément aux ordres reçus de la Compagnie, a donné à tous les chefs militaires des instructions en vue de la destruction de notre religion. Nous le savons (…) les officiers responsables du sel y mélangent des os, les responsables du beurre clarifie, y ajoutent de la graisse animale. Ceci est de notoriété publique. Le Sahib chargé du sucre mélange des os calcinés au sirop dont on l’extrait. Ceci est de notoriété publique. Les chefs militaires ont contraints les rajas, les nobles, les propriétaires terriens, les usuriers et les cultivateurs à prendre leur repas tous ensemble, avec de la nourriture européenne. Ceci est de notoriété publique. Partout dans le pays, les veuves d’honorables hindous de toutes classes seront obligées de se remarier. Ceci est de notoriété publique. Par voie de conséquence, nous nous considérons comme des hommes morts. »
Pour le(s) correspondant(s) du major Matthews, la notoriété publique suffit à prouver les sinistres desseins de l’Etat-Compagnie ; en effet, comme la douleur signale le dérèglement du corps humains, la rumeur trahit celui du corps social.
« (…) Les craintes engendrent les rumeurs, et les rumeurs nourrissent les craintes. Plus la société se montre réceptive, donc crédule, plus les rumeurs se multiplient en s’amplifiant. La reine Victoria aurait ordonné le baptême immédiat de tous les cipayes.
L’Etat-Compagnie serait sur le point de remplacer les roupies d’argent par des roupies de cuir afin de souiller rapidement l’ensemble de la population. Les officiers auraient placés des machines infernales dans les cantonnements pour massacrer d’un seul coup tous les cipayes. Les agents de la Compagnie auraient jeté de la viande de porcs et de vaches dans les puits et mélangés de la poudre d’os à la farine. Les propriétaires terriens seraient obligés d’épouser les veuves des soldats britanniques morts en Crimée pour que toutes les terres passent entre les mains d’héritiers chrétiens ».
McCEARNEY James, La Révolte des Cipayes. Empire des Indes. 1857. Paris: Jean PICOLLEC éditeur, 1999. 91-92 p.
Éditorial du Times de Londres, 31 août 1857 sur la révolte des Cipayes
« Il y a quelque chose de neuf pour un esprit anglais dans la nouvelle de ces violences atroces commises sur la personne d’hommes et de femmes anglais. Nous nous pensions inaccessibles à un risque aussi horrible, protégés par notre statut plus élevé que celui de citoyen romain, comme si quelque Palladium empêchait qu’une personne de sang anglais put subir les derniers outrages même dans des circonstances aussi extrêmes que celles-ci. Eh bien, nous nous trompions. Voilà des hommes qui nous connaissent bien, qui n’ignorent rien de notre pouvoir, de notre supériorité, de notre discipline, qui ont bénéficié de notre bonté, que nous avons même portés à un niveau qu’ils n’auraient jamais atteint par eux-mêmes, et qui malgré tout peuvent encore (…) faire ce qu’ils ont fait aux corps de personnes anglaises, brisant l’inviolabilité qui semblait attachée à tout Anglais en tant que tel, et se précipitant tête baissée dans cet abîme de cruauté innommable. (…) Plus ils étaient vils et soumis avant – plus ils rampaient sous le regard du maître qui régnait sur eux -, plus leur insolence est effrénée maintenant. Ils jouissent et se vautrent dans l’irrespect comme dans la plus grande des voluptés et, une fois arraché le voile, se ruent voracement sur le sanctuaire pour le polluer. C’est là l’excès ou mène l’irrévérence vulgaire, souiller de la plus infâme ordure le marbre du temple, cracher au visage de la Majesté, brutaliser la Royauté qui a conquis tant de respect, pour se venger de ce respect qu’ elle a mérité.
Ce n’est pas parce que notre prestige est anéanti que ces misérables l’insultent maintenant de façon si outrageante; non, c’est parce qu’il reste entier: dans l’esprit même de ces hommes, parce qu’il est là et qu’ils ne peuvent s’en délivrer, qu’ils s’acharnent à le profaner et, pour autant que ce soit possible, à le dégrader. En fait, nous n’avons là qu’une mutinerie furieuse de soldats mus par leur égoïsme, qui suit son cours logique. On n’y voit pas la moindre étincelle de cet honnête patriotisme qui anime souvent les révoltes nationales.
(…) Cependant, chaque heure qui passe amène des renforts d’ Angleterre. Chaque matin et chaque soir, ils savent que l’espace entre les troupes anglaises et l’Inde s’est encore réduit. L’avenir, pour eux, n’est que ténèbres et horreur, seul le présent leur appartient, et ils entendent l’utiliser à leur guise. Nous voilà donc en présence de l’hindou véritable, livré à sa vraie nature, quand, aucun pouvoir, civil ou militaire, n’est là pour le contraindre. Peu de gens pourraient subir pareille mise à l’épreuve sans aucune défaillance, mais l’hindou n’a pas même un atome de la force morale qu’il lui faudrait pour y arriver. Sa religion est de pure forme, ses croyances un tissu d’idioties, et sa conscience lettre morte. »
extrait de FERRO Marc, Le livre noir du colonialisme. Paris: Robert Laffont, 2003. 296p.
Châtiment exemplaire des Cipayes révoltés
« Vous venez de voir attacher vivants à la bouche des canons et mettre en pièces deux de vos camarades ; ce châtiment sera celui de tous les traîtres. Votre conscience vous dira les peines qu’ils subiront dans l’autre monde. Les deux soldats ont été mis à mort par le canon et non par la potence, parce que j’ai désiré leur éviter la souillure de l’attouchement du bourreau et prouver ainsi que le gouvernement, même en ces jours de crise, ne veut rien faire qui puisse porter la moindre atteinte à vos préjugés de religion et de caste. »
extrait de Jules Verne, La maison à vapeur. première partie, chapitre III
Leçons de la révolte des Cipayes selon J. S Mill
James Suart Mill qui a travaillé de 1823 à 1856 dans les bureaux de la Compagnie, explique dans un livre en 1862 ce qu’il pense de la relation entre l’Inde et les Anglais avant, pendant et après la révolte, dont il tire les leçons suivantes.
« (…) il n’y a guère aujourd’hui de question plus importante que d’organiser cette domination, de façon qu’elle devienne un bien et non un mal pour le peuple soumis, en lui assurant le meilleur gouvernement actuel possible, et les conditions les plus favorables au progrès futur… »
« Le gouvernement d’un peuple par lui-même est une chose qui a un sens et une réalité ; mais le gouvernement d’un peuple par un autre peuple est une chose qui n’existe pas et qui ne saurait exister… »
« Ce n’est pas en essayant de gouverner directement un pays comme l’Inde, mais bien en lui donnant de bons gouverneurs, que le peuple anglais peut remplir son devoir envers ce pays (…). »
Ces trois extraits sont tirés du livre, Le gouvernement représentatif, écrit par James Stuart Mill en 1862, et cités par
Henri-Thierry DESCHAMPS et René POULIGO, L’époque contemporaine (1789-1870), Liège, Paris, 405-406 p.
Suite à la Révolte des Cipayes, la Compagnie perdra ses responsabilités administratives au profit du gouvernement britannique. Les Indes passeront sous le contrôle direct de la couronne, par le biais de l’India Office.
clio-texte/le rapport macaulay sur l’instruction aux indes-1835