http://www.ihtp.cnrs.fr/spip/spip.php?article471
Tout d’abord, il s’agissait de réaffirmer que le « temps présent » constitue un champ scientifique singulier. Depuis longtemps, la légitimité « universitaire d’une histoire du temps présent, appelée naguère « histoire immédiate », a été contestée par ceux qui lui reprochent de manquer de recul, d’être proche « du journalisme » et d’être mal armée pour apprécier l’importance à long terme des phénomènes qu’elle étudie. Mais ce début est aujourd’hui dépassé, non que certaines critiques ne soient pas pertinentes, mais parce que la pratique a montré d’abord qu’une telle histoire pouvait parfaitement reposer sur des bases scientifiques, ensuite qu’il était préférable que cette séquence particulière de l’Histoire entre dans le territoire de l’historien, et ne soit pas du ressort exclusif des spécialistes d’autres sciences sociales ou, précisément, des journalistes. On peut ajouter que, de toute manière, le besoin social d’une telle histoire existe et devait être assumé par les historiens. Singulier, le champ du temps présent l’est en premier lieu dans sa définition même. Il couvre une séquence historique marquée par deux balises mobiles. En amont, cette séquence remonte jusqu’aux limites de la durée d’une vie humaine, soit un champ marqué d’abord et avant tout par la présence de « témoins « vivants, trace la plus visible d’une histoire encore en devenir. Le « témoin » est tout autant une présence réelle, un contemporain de chair, de sang et de souvenirs, qui conditionne le travail de l’historien qu’il le veuille ou non, qu’une figure reconstituée, un « personnage historique « auquel le chercheur, pour les besoins de la cause, donne un statut particulier, en le choisissant, en le sollicitant, en l’interrogeant. En aval, cette séquence est délimitée par la frontière, souvent délicate à situer, entre le moment présent – l’« actualité » – et l’instant passé. Cette seconde balise oblige l’historien à redéfinir en permanence ses objets d’études, tant pour clarifier ce qui mérite son attention ou au contraire relève d’une autre logique d’investigation (celle des politistes ou des économistes, par exemple) que pour intégrer dans son champ le passé immédiat. Contrairement aux autres historiens, l’historien du temps présent ne peut se cantonner à une période une fois pour toutes établie. Non seulement, comme les autres, il évolue dans ses méthodes et dans sa manière de construire un objet d’histoire, mais de surcroît il est obligé d’intégrer continuellement de nouvelles séquences chronologiques, ce qui ne va pas sans tensions ni difficultés.
D. Peschanski, M. Pollack, H. Rousso (dir.), Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles, © Complexes, 1991.