Platon: copie d’un buste de la fin du IVe siècle av. J.-C. —–>
« (…) J’ai le sentiment d’avoir été élevé dans un milieu noble, étranger et lointain. J’ai vécu à Athènes au temps de Périclès, à Rome, au temps d’Auguste, à Versailles, au temps de Louis XIV. Les idées et les passions qui conduisent la vie des hommes ont été présentées à mon esprit sous les formes les plus belles. (…)
Si je supprimais de ma vie cette éducation, il me semble que brusquement un voile cacherait à mon regard la perspective d’un paysage immense (…) Mais aussitôt après que j’ai rendu cet hommage à mon éducation (…) mon examen de conscience me révèle les infirmités graves auxquelles je fus exposé par cette même éducation.
J’ai appris, au collège, des langues, de l’histoire et de la géographie, des sciences mathématiques, de la physique, de la chimie, de l’histoire naturelle, de la philosophie ; mais une scolarité très longue – dix années – ne m’a laissé aucune notion précise de rien.
J’ai fait beaucoup de thèmes et beaucoup de versions, mais personne ne m’a jamais dit pourquoi, dans quelle intention, en espérance de quel profit.
Nous vécumes hors de la nature, hors de l’histoire. Je me rappelle de lamentables explications de Virgile dont je n’ai senti que bien longtemps après la beauté. Les semailles, la moisson, la culture de la vigne, les moeurs des abeilles, toute la vie de la nature, incrustée par Virgile dans la concision de ses vers, c’était des mots que nous expliquions, des mots difficiles et sans la récompense qui aurait pu nous être donnée de vivre un moment dans la nature. (…) »
Source : Ernest LAVISSE, « Souvenirs d’une éducation manquée », Revue de Paris, 15 novembre 1902, rapportés par Antoine PROST, Histoire de l’enseignement en France 1800-1967, Paris, Armand Colin, coll. « U », 1968, 524 p., p. 62-63.