Opinions de Lénine

« Le prolétariat a besoin du pouvoir d’État, d’une organisation centralisée de la force, d’une organisation de la violence, aussi bien pour réprimer la résistance des exploiteurs que pour diriger la grande masse de la population – paysannerie, petite bourgeoisie, semi-prolétaires – dans la « mise en place » de l’économie socialiste. »

Lénine, L’Etat et la révolution (1917), éd. du Progrès, Moscou, 1967, p. 32-33

« J’ai eu l’occasion de le répéter souvent : en comparaison des pays avancés, il était plus facile aux Russes de commencer la grande Révolution prolétarienne, mais il leur sera plus difficile de la continuer et de la mener jusqu’à la victoire définitive, dans le sens de l’organisation intégrale de la société socialiste.

Il nous a été plus facile de commencer, d’abord parce que le retard politique peu ordinaire — pour l’Europe du XXe siècle — de la monarchie tsariste provoqua un assaut révolutionnaire des masses, d’une rigueur inaccoutumée. En second lieu, le retard de la Russie unissait d’une façon originale la révolution prolétarienne contre la bourgeoisie, à la révolution paysanne contre les grands propriétaires fonciers… En troisième lieu, la révolution de 1905 a fait énormément pour l’éducation politique de la masse des ouvriers et des paysans; tant pour initier leur avant-garde au « dernier mot » du socialisme d’Occident, que dans le sens de l’action révolutionnaire des masses.

Sans cette « répétition générale » de 1905, les révolutions de 1917, bourgeoise en février, prolétarienne en octobre, n’eussent pas été possibles. En quatrième lieu, la situation géographique de la Russie lui a permis plus longtemps qu’aux autres pays de tenir, en dépit de la supériorité extérieure des pays capitalistes avancés. (…) »

Lénine, La IIIe Internationale et sa place dans l’histoire, 15 avril 1919.
cité par Kostas Papaioannou, Marx et les Marxistes, Flammarion, Paris, 1972, p. 292

 » Pour quiconque réfléchissait aux prémisses économiques d’une révolution socialiste en Europe, il était évident qu’il est bien plus difficile de commencer la révolution en Europe et bien plus facile de la commencer chez nous, mais qu’ici il sera plus difficile de la continuer… »

Extrait du Rapport sur la guerre et la paix au VIIe Congrès du Parti, mars 1918.

« La loi fondamentale de la révolution (…), la voici : pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l’impossibilité de vivre comme autrefois et réclament des changements. Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois. C’est seulement lorsque ceux d’en bas ne veulent plus et que ceux d’en haut ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manière, c’est alors seulement que la révolution peut triompher. Cette vérité s’exprime autrement en ces termes : la révolution est impossible sans une crise nationale (affectant exploités et exploiteurs). »

extrait de Lénine, « La maladie infantile du communisme », 1920
cité par Kostas Papaioannou, Marx et les Marxistes, Flammarion, Paris, 1972, p. 294


Appel du Soviet de Pétrograd le 27 février 1917

Lancé le jour même de la création du soviet des ouvriers et des soldats, il est publié le 15 mars 1917 dans l’organe du Soviet, les lsvestija.

« L’ancien régime a conduit le pays à la ruine et la population à la famine. Il était impossible de la supporter plus longtemps et les habitants de Pétrograd sont sortis dans les rues pour dire leur mécontentement. Ils ont été reçus à coups de fusil. Au lieu de pain, ils ont reçu du plomb, les ministres du Tsar leur ont donné du plomb.

Mais les soldats n’ont pas voulu agir contre le peuple et ils se sont tournés contre le gouvernement. Ensemble, ils ont saisi les arsenaux, les fusils et d’importants organes du pouvoir.

Le combat continue et doit être mené à sa fin. Le vieux pouvoir doit être vaincu pour laisser sa place à un gouvernement populaire. Il y va du salut de la Russie.

Afin de gagner ce combat pour la démocratie, le peuple doit créer ses propres organes de gouvernement. Hier, le 27 février, s’est formé un soviet de députés ouvriers composé de représentants des usines, des ateliers, des partis et organisations démocratiques et socialistes. Le Soviet, installé à la douma s’est fixé comme tâche essentielle d’organiser les forces populaires et de combattre pour la consolidation de la liberté politique et du gouvernement populaire.

Le Soviet a nommé des commissaires pour établir l’autorité populaire dans les quartiers de la capitale. Nous invitons la population tout entière à se rallier immédiatement au Soviet, à organiser des comités locaux dans les quartiers et à prendre entre ses mains la conduite des affaires locales.

Tous ensemble, avec nos forces unies, nous vaincrons pour balayer complètement le vieux gouvernement et pour réunir une Assemblée constituante sur la base du suffrage universel, égal, secret et direct. »

FERRO, Marc, La révolution russe de 1917, Paris, Flammarion, éd. 1967, p. 96.


Prikaze numéro 1 (1er mars 1917) du Soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd

« A la garnison de la région de Petrograd. A tous les soldats de la garde, de l’armée, de l’artillerie et de la flotte, aux fins d’exécution immédiate et rigoureuse, et aux ouvriers de Petrograd, à titre d’information.

Le Soviet de députés ouvriers et soldats décide :

1) Dans toutes les compagnies, dans les bataillons, régiments, batteries, escadrons et administrations militaires de toute sorte, et à bord des bâtiments de la flotte de guerre, on choisira immédiatement, par voie d’élection, un comité de représentants parmi les simples soldats des unités militaires ci-dessus indiquées.

2) Dans toutes les unités militaires qui n’ont pas encore choisi leurs représentants au Soviet de députés ouvriers, on élira un représentant par compagnie qui, porteur de certificats écrits, se présentera à la Douma d’État le 2 mars courant, à 10 heures du matin.

3) Dans tous ses actes politiques, l’unité militaire obéit au Soviet de députés ouvriers et soldats, et à ses comités.

4) Les ordres de la Commission militaire de la Douma d’État ne doivent être exécutés que dans les cas où ils ne seront pas en contradiction avec les ordres et les décisions du Soviet de députés ouvriers et soldats.

5) Les armes de tout genre telles que : fusils, mitrailleuses, automobiles blindées, etc. doivent se trouver à la disposition et sous le contrôle des comités de compagnie et de bataillon, et ne seront en aucun cas délivrées aux officiers, même s’ils en faisaient sommation.

6) Dans le rang et pendant le service, les soldats doivent observer la plus stricte discipline militaire; mais en dehors du service et du rang, dans leur vie politique, civique et privée, les soldats ne sauraient être lésés dans les droits dont jouissent tous les citoyens. Notamment le garde-à-vous au passage d’un supérieur et le salut militaire obligatoire sont abolis, hors service.

7) De même sont supprimées les formules décernées aux officiers : Votre Excellence, Votre Noblesse, etc.; elles sont remplacées par : monsieur le général, monsieur le colonel, etc.

Les mauvais traitements de gradés de toute sorte à l’égard des soldats, et notamment le tutoiement, sont interdits; toutes les infractions au présent ordre, ainsi que tous les malentendus dus entre officiers et soldats, ces derniers sont tenus de les porter à la connaissance des comités de compagnie.

Donner lecture de cet ordre dans toutes les compagnies, bataillons, régiments, équipages, batteries et autres services armés et auxiliaires.

LE SOVIET DES DÉPUTÉS OUVRIERS ET SOLDATS DE PETROGRAD »

Cité dans FERRO, Marc, La révolution russe de 1917, Flammarion, 1967.

QUESTIONS sur le texte ci-dessus

1. Par cet appel, que cherche à obtenir le Soviet de Petrograd ?

2. Pourquoi les conflits à la tête de l’État russe sont ils devenus inévitables ?

3. Quels sont les faveurs offertes aux soldats ?

4. Qu’attendent véritablement les soldats ?


La première déclaration du gouvernement provisoire (6 mars 1917)

« Citoyens de l’État russe….,

Un grand événement a eu lieu. Par la puissant impulsion du peuple russe, l’ancien régime a été renversé. Une Russie libre et nouvelle est née. Ce grand renversement couronne de nombreuses années de combat.
(…) Ni les efforts héroïques de l’armée, écrasée sous le poids du chaos intérieur, ni les appels des représentants du peuple qui se sont unis face au péril qui menaçait la nation n’ont pu mener l’ex-empereur ni son gouvernement sur la voie d’un accord avec le peuple. Et lorsque la Russie, à cause de l’action illégale et fatale de ses gouvernants, s’est trouvée confrontée avec les désastres les plus graves, la nation a été obligée de prendre le pouvoir entre ses propres mains. Dans son unanimité, l’enthousiasme révolutionnaire du peuple, pleinement conscient de la gravité du moment et la détermination de la douma d’État ont créé, ensemble, le gouvernement provisoire. Celui-ci juge sacrés son devoir et sa responsabilité de satisfaire les espérances populaires de conduire le pays, sur la route étincelante d’un régime libre et civique.

Le gouvernement croit que l’esprit de profond patriotisme manifesté durant la lutte contre l’ancien régime inspirera nos vaillants soldats sur les champs de bataille. Pour sa part, il fera tout pour pourvoir l’armée du nécessaire pour mener la guerre jusqu’à sa fin victorieuse. Le gouvernement considérera comme sacrées les alliances qui nous lient aux autres puissances et respectera à la lettre les accords conclus avec nos Alliés.

Tout en prenant des mesures pour défendre le pays de l’ennemi extérieur, le gouvernement considérera comme son devoir essentiel de laisser s’exprimer la volonté populaire en ce qui concerne le choix d’un régime politique et il convoquera l’assemblée constituante le plus rapidement possible sur la base du suffrage universel, direct, égal et secret, garantissent également la participation aux élections aux vaillants défenseurs de la terre de nos aïeux qui actuellement donnent leur sang sur les champs de bataille.

L’assemblée constituante promulguera les lois fondamentales qui garantissent au pays des droits inaliénables à la justice, à la liberté, à l’égalité.

(…) Au moment de la libération nationale, le pays tout entier rappellera avec gratitude ceux qui, en défendant leurs convictions politiques et religieuses, sont tombés victimes de la vindicte de l’ancien régime. Et le gouvernement provisoire considère comme un agréable devoir de ramener d’exil et de prison, avec tous les honneurs, ceux qui ont souffert pour le bien de la patrie.

En remplissant ces tâches, le gouvernement provisoire est animé par la conviction qu’il exécute ainsi la volonté populaire et que toute la Nation le soutiendra dans ses loyaux efforts pour assurer le bonheur de la Russie. Cette certitude lui donne du courage. Le Gouvernement provisoire considère que seul le soutien chaleureux du peuple tout entier garantit le triomphe du nouveau régime. »

6 mars 1917″

cité FERRO, Marc, La révolution russe de 1917, Flammarion, 1967, pp.123-124.


Programme du parti socialiste révolutionnaire en 1917

« – Reconnaissance imprescriptible des droits de l’homme et du citoyen : pleine liberté de conscience, de parole, liberté de la presse, de réunion et d’union ; liberté de se déplacer, de choisir sa profession, du refus collectif de travailler (droit de grève) ; inviolabilité de la personne et du domicile; droit électoral complet pour tous les citoyens âgés de vingt ans, sans distinction de sexe, de religion, de nationalité, sur la base d’un suffrage direct, au scrutin secret.

– Établissement sur ces bases d’une république démocratique avec large autonomie des régions et des communautés tant urbaines que rurales; possibilité d’une large application des rapports fédératifs entre les différentes nationalités; reconnaissance de leur droit imprescriptible à l’autodétermination ; représentation proportionnelle ; législation populaire directe (par le référendum et l’initiative).

– Éligibilité et révocabilité, et responsabilité de tous les fonctionnaires, y compris les députés et les juges.

– Gratuité des tribunaux.

– Instruction laïque et obligatoire pour tous.

– Les régions à population mêlée, droit pour chaque nationalité à une part proportionnelle à la population, à des fins culturelles et droit pour chacune à administrer sa part.

– Séparation absolue de l’Église et de l’État, la religion étant reconnue affaire privée.

– Suppression de l’armée permanente et sa transformation en une milice populaire. »

FERRO, Marc, La révolution russe de 1917, Flammarion, 1967, p.96.


LES « THESES D’AVRIL » de Lénine

« 1) Notre attitude envers la guerre, qui du côté russe est incontestablement restée une guerre impérialiste de brigandage, n’admet aucune concession, si minime soit-elle de défensisme révolutionnaire. Organisation de la propagande la plus vaste de ces vues dans l’armée active. Fraternisation.

2) Ce qu’il y a de particulier dans l’actualité russe, c’est la transition de la première étape de la révolution, qui a donné le pouvoir à la bourgeoisie à la deuxième étape, qui doit remettre le pouvoir entre les mains du prolétariat et des couches pauvres de la paysannerie (…).

3) Aucun soutien au gouvernement provisoire.

4) Reconnaître que notre Parti est en minorité, et pour le moment en faible minorité, dans la plupart des Soviets de députés ouvriers (…). Expliquer aux masses que les Soviets de députés ouvriers sont la seule forme possible d’un gouvernement révolutionnaire.

5) Non pas une République parlementaire – le retour à celle-ci après les Soviets de députés ouvriers serait un pas en arrière -, mais la République des Soviets des députés ouvriers, salariés agricoles et paysans, dans le pays entier, de bas en haut.

6) Nationalisation de toutes les terres dans le pays : les terres sont mises à la disposition des soviets locaux.

7) Fusion immédiate de toutes les banques du pays en une seule banque nationale placée sous le contrôle du Soviet de députés ouvriers.

8) Non pas l’instauration du socialisme comme notre tâche immédiate, mais simplement le passage immédiat au contrôle de la production sociale et de la répartition des produits par le Soviet des députés ouvriers.

9) Tâches du parti : convoquer immédiatement le Congrès du Parti ; modifier le programme du Parti ; changer la dénomination du Parti (au lieu de l’appeler social-démocrate, il faut l’appeler communiste).

10) Rénover l’Internationale.  »

Lénine, « Les tâches du prolétariat dans la présente révolution », in La Pravda, 20 avril 1917.
Cité par Jean-Louis Van Regemorter, La Russie et l’ex-URSS de 1914 à nos jours, Paris, A.Colin, 1996, p.48.


Nécessité de la dictature du prolétariat et de l’Etat prolétarien selon Lénine

« La doctrine de la lutte des classes, appliquées par Marx à l’Etat et à la révolution, mène nécessairement à la reconnaissance de la domination politique du prolétariat, de sa dictature, c’est-à-dire d’un pouvoir qu’il ne partage avec personne et qui s’appuie directement sur la force armée des masses. La bourgeoisie ne peut être renversée que si le prolétariat est transformé en classe dominante capable de réprimer la résistance inévitable, désespérée de la bourgeoisie, et d’organiser pour un nouveau régime économique toutes les masses laborieuses et exploitées.

Le prolétariat a besoin du pouvoir d’Etat, d’une organisation centralisée de la force, d’une organisation de la violence, aussi bien pour réprimer la résistance des exploiteurs que pour diriger la grande masse de la population – paysannerie, petite bourgeoisie, semi-prolétaires – dans la « mise en place » de l’économie socialiste. »

LENINE, L’Etat et la révolution (1917), éd. du Progrès, Moscou, 1967, p. 32-33.


Dictature du prolétariat et société future

« La marche en avant, c’est-à-dire vers le communisme, se fait en passant par la dictature du prolétariat; et elle ne peut se faire autrement, car il n’est point d’autres classes, ni d’autres moyens qui puissent briser la résistance des capitalistes exploiteurs. En même temps qu’un élargissement considérable de la démocratie, devenue pour la première fois démocratie pour les pauvres, la dictature du prolétariat apporte une série de restrictions à la liberté pour les oppresseurs, les exploiteurs, les capitalistes. Ceux-là, nous devons les mater afin de libérer l’humanité de l’esclavage salarié ; et il est évident que là où il y a répression, il y a violence, il n’y a pas de liberté, il n ‘y a pas de démocratie (…).

La justice et l’égalité, la première phase du communisme ne peut donc pas encore les réaliser; des différences subsisteront quant à la richesse et des différences injustes. C’est seulement dans la société communiste, lorsque la résistance des capitalistes est définitivement brisée, lorsque les capitalistes ont disparu et qu’il n’y a plus de classes, c’est alors seulement que «l’État cesse d’exister et qu’il devient possible de parler de liberté » (…). Alors seulement, l’État commencera à s’éteindre pour cette simple raison que, délivré de l’esclavage capitaliste, des horreurs, des sauvageries, des absurdités, des ignominies sans nombre de l’exploitation capitaliste, les hommes s’habitueront graduellement à respecter les règles élémentaires de la vie en société, à les respecter sans violence, sans contrainte, sans cet appareil spécial de coercition qui a nom l’État. »

Lénine, L’Etat et la révolution, 1917.


Lassitude de la guerre

« Pendant l’été de 1917, je parcourus toute la Russie. De tous côtés s’élevaient les lamentations d’un peuple désolé. (…) Partout je vis l’empreinte et les ravages de la guerre. (…) En Ukraine, nous nous arrêtâmes à un petit village, dans une vallée, et environ trois cents femmes, quarante vieillards et petits garçons et une vingtaine de soldats mutilés s’attroupèrent autour de notre wagon…Je demandai : « Qui d’entre vous a perdu quelqu’un à la guerre ? » Presque toutes les mains se levèrent et une lamentation passa sur cette foule joyeuse. (…) Deux vieux paysans tombèrent en sanglotant contre les roues du wagon, secouant la plate-forme. Un garçon s’écarta de la foule en pleurant : « Mon frère, ils ont tué mon frère ! » Et les femmes, abaissant leur platoks sur leurs yeux, ou dans les bras les unes des autres, pleurèrent. (…) Qui aurait pu supposer que derrière ces figures placides il y avait tant de douleur ?

Ce n’était pourtant qu’un des milliers de villages russes que la guerre avait dépouillés de tous les hommes valides. C’était un des innombrables villages où revenaient les blessés mutilés, sans yeux, sans bras. Des milliers ne reviendraient jamais. Ils étaient couchés dans cette grande tombe qui s’étendait sur quinze cents milles, de la Mer Noire à la Baltique. Le front russe contre le front allemand. »

cité dans WILLIAMS, A.R., « A travers la révolution russe », in BERSTEIN, S., « Lénine et la Révolution russe », Paris, Armand Colin, 1971.


Les tâches de la Révolution

Le pouvoir aux Soviets

« 2. Tout le pouvoir de l’Etat doit passer intégralement aux représentants des Soviets de députés ouvriers, soldats et paysans sur la base d’un programme déterminé, le pouvoir étant pleinement responsable devant les Soviets. Il faut procéder sans délai au renouvellement des Soviets, à la fois pour pouvoir tenir compte de toute l’expérience acquise par le peuple au cours des dernières semaines de la révolution si riches de contenu et pour éliminer les injustices criantes (représentation non proportionnelle, inégalités électorales, etc.), qui dans maints endroits n’ont pas été redressées.

Là où il n’y a pas encore d’institutions élues démocratiquement, ainsi que dans l’armée, tout le pouvoir doit passer sans restriction aux Soviets locaux, aux commissaires élus par eux et aux autres institutions, toutes élues.

Il faut, à tout prix et en tous lieux, avec le soutien total de l’Etat, procéder à l’armement des ouvriers et des troupes révolutionnaires, c’est-à-dire des troupes qui se sont montrées à l’œuvre capables d’écraser les korniloviens [Kornilov prend, pendant l’hiver 1917, le commandement de l’armée blanche (pro-tsariste)].
(…) »

La terre à ceux qui la travaillent

« 4. Le gouvernement des Soviets doit sans délai déclarer que la propriété privée des grands domaines est abolie sans indemnité et il doit remettre ces terres en gestion aux comités de paysans, en attendant la décision de l’Assemblée constituante. Doit être également remis à la gestion ces comités paysans le matériel appartenant aux propriétaires fonciers pour qu’il soit mis en tout premier lieu et gratuitement à la disposition des paysans pauvres.

Ces mesures réclamées depuis longtemps déjà par l’immense majorité des paysans à la fois dans les résolutions de leurs congrès et dans les centaines de mandats impératifs […] sont d’une nécessité absolue et urgente. Aucun de ces atermoiements dont la paysannerie a tant souffert au temps du ministère de «coalition», ne peut plus être toléré.

Tout gouvernement qui tarderait à prendre ces mesures doit être reconnu pour un gouvernement ennemi du peuple qui mérite d’être renversé et écrasé par l’insurrection des ouvriers et des paysans. Inversement, seul un gouvernement, qui aura réalisé ces mesures sera le gouvernement de la nation entière. »

Lutte contre la famine et la débâcle économique

« 5. Le gouvernement des Soviets doit instituer sans délai le contrôle par les ouvriers de la production et de la consommation à l’échelle du pays tout entier. Sinon, ainsi que l’expérience nous l’a déjà montré depuis le 6 mai [en mai 1917, se met en place le second Gouvernement Provisoire], toutes les promesses, toutes les tentatives de réforme sont vaines et la famine, accompagnée d’une catastrophe sans précédent, menace chaque semaine tout le pays.

La nationalisation immédiate des banques et des compagnies d’assurances est indispensable, de même que celle des principales branches de l’industrie (pétrole, houille, métallurgie, sucre, etc.) ; il faut en même temps abolir complètement le secret commercial et instaurer la surveillance constante, par les ouvriers et les paysans, de l’infime minorité de capitalistes qui s’enrichissent grâce aux fournitures qu’ils font à l’Etat et se dérobent à tout contrôle et à toute imposition équitable sur leurs bénéfices et sur leurs biens.

Ces mesures qui n’enlèveraient pas un copeck de leur avoir aux paysans moyens, ni aux Cosaques, ni aux petits artisans, sont parfaitement équitables en vue d’une répartition égale des charges de la guerre, et elles sont urgentes pour lutter contre la famine. Ce n’est qu’après avoir fait cesser le maraudage des capitalistes et brisé les entraves qu’ils mettent sciemment à la production, qu’on pourra élever le rendement du travail, instaurer le travail obligatoire pour tous, un échange équitable entre les céréales et les produits de l’industrie, restituer au Trésor les nombreux milliards de papier-monnaie dissimulés par les riches.

Sans de telles mesures on ne peut même abolir sans indemnité la propriété foncière, car les terres des propriétaires fonciers sont pour la plupart hypothéquées dans les banques et les intérêts des propriétaires fonciers et des capitalistes sont indissolublement liés.

La dernière résolution adoptée par la section économique du Comité exécutif central des Soviets de députés ouvriers et soldats de Russie (…) reconnaît non seulement la «nocivité» des mesures prises par le gouvernement (par exemple, l’élévation du prix du blé en vue d’enrichir les propriétaires fonciers et les koulaks), non seulement, l’ «inaction totale des organismes centraux créés auprès du gouvernement pour régler la vie économique », mais même la « violation des lois » par ce gouvernement. Cet aveu des partis dirigeants socialiste-révolutionnaire et menchévik atteste une fois de plus le caractère criminel de la politique d’entente avec la bourgeoisie. »

La lutte contre les propriétaires fonciers et les capitalistes hostiles à la révolution

« 6. L’insurrection de Kornilov et de Kalédine [autre général de l’armée blanche] a été soutenue par l’ensemble de la classe des propriétaires fonciers et des capitalistes, ayant à leur tête le parti cadet (« parti de la liberté du peuple »). Cela est déjà entièrement prouvé par les faits publiés dans les Izvestia du Comité exécutif central. [Les « Izvestia du Soviet des députés paysans de Russie » , quotidien, organe officiel du Soviet des députés paysans de Russie ; parut à Pétrograd du 9 (22) mai au décembre 1917. Exprimait les vues de l’aile droite du parti socialiste-révolutionnaire. Accueillit avec hostilité la Révolution d’Octobre ; interdit pour son orientation contre-révolutionnaire. (NdE)]

Mais pour étouffer totalement cette contre-révolution, et même pour faire une enquête à ce sujet, rien de sérieux n’a été ni ne pourra être fait, si le pouvoir n’est pas transmis aux Soviets. Aucune commission, si elle ne détient pas le pouvoir d’Etat, n’aura les moyens de mener une enquête complète, ni d’arrêter les coupables, etc. Seul le gouvernement des Soviets peut et doit mener cette action. Seul il peut, en arrêtant les généraux de Kornilov et les meneurs de la contre-révolution bourgeoise (Goutchkov, Milioukov, Riabouchinski, Maklakov et Cie), en prononçant la dissolution des associations contre-révolutionnaires (Douma d’Etat, associations d’officiers, etc.), en soumettant leurs membres à la surveillance des Soviets locaux, en licenciant les unités contre-révolutionnaires, seul il peut préserver la Russie de la récidive certaine des expériences «Kornilov».

Seul il peut créer une commission d’enquête totale et publique sur l’affaire Kornilov, comme sur toutes les autres, même intentées par la bourgeoisie, et c’est seulement à une telle commission que le Parti bolchévik pourrait, pour sa part, appeler les ouvriers à obéir sans réserve et à prêter leur concours le plus entier.

Seul le gouvernement des Soviets pourrait lutter avec succès contre une injustice aussi criante que la mainmise des capitalistes sur les plus grandes imprimeries et sur la plupart des journaux, grâce aux millions volés au peuple. Il est indispensable d’interdire les journaux contre-révolutionnaires bourgeois (Retch, Rousskoïé Slovo [«Rousskaïé Slovo » [La Parole russe], quotidien, commença à paraître à Moscou en 1895 (le premier numéro, dit expérimental, parut en 1894) ; se proclamant formellement sans-parti, il défendait en réalité les intérêts de la bourgeoisie russe d’un point de vue libéral modéré. En 1917 soutint pleinement le Gouvernement provisoire et déchaîna une campagne de dénigrement contre Lénine et le Parti bolchévik. Interdit en novembre 1917 pour la publication d’informations calomnieuses dirigées contre le pouvoir soviétique. A partir de janvier 1918, il parut pour un court délai sous le titre Novoïé Slovo et Naché Slovo [La nouvelle parole, Notre parole]. Interdit définitivement on juillet 1918. (NdE)] et autres), de confisquer leurs imprimeries, d’ériger en monopole d’Etat leurs annonces privées, de les grouper dans un seul journal gouvernemental édité par les Soviets et disant la vérité aux paysans. C’est seulement par ce moyen que l’on peut et que l’on doit faire tomber des mains de la bourgeoisie l’arme puissante de mensonge et de calomnie, de duperie du peuple qui lui sert impunément à induire la paysannerie en erreur et à préparer la contre-révolution. »
Signé : N. K. [Lénine]

Conforme au texte du journal «Rabotchi Pout», n° 20 et 21, 9 et 10 octobre (26 et 27 septembre) 1917
tiré des Œuvres de Lénine, t. 26, Paris-Moscou, pp. 53-62


La situation au début d’octobre 1917

Le journaliste américain John Reed, alors présent en Russie, y décrit la situation au début du mois d’octobre 1917 :

« La situation devenait de jour en jour plus chaotique. Les soldats, qui désertaient le front par centaines de milliers, refluaient comme une vaste marée et erraient sans but à travers tout le pays. Les paysans, fatigués d’attendre leurs terres et exaspérés par les mesures répressives du gouvernement, incendiaient les châteaux et massacraient les propriétaires terriens. Des lock-out lock-out. Fermeture d’usine décidée par les patrons pour briser un mouvement de grève et des grèves immenses secouaient Moscou, Odessa et le district minier du Donetz. Les transports étaient paralysés, l’armée mourait de faim et les grandes villes manquaient de pain. »

John Reed. Les 10 jours qui ébranlèrent le Monde, 1919


Déclaration de la fraction bolchevique lue à la conférence démocratique pan-russe du 18 septembre (1er octobre) 1917

« L’activité du pouvoir révolutionnaire doit reposer sur les mesures suivantes proposées par de nombreuses organisations révolutionnaires importantes, avec à leur tête, les Soviets des ouvriers et des soldats de Petrograd et de Moscou.
1) Abolition de la propriété privée sur les latifundia sans compensation et passation de ces terres en gestion des comités paysans en attendant la décision de l’Assemblée constituante, en fournissant à la couche la plus pauvre de la paysannerie des moyens de production nécessaires.
2) Introduction du contrôle ouvrier, à l’échelle nationale, sur la production et la répartition ; centralisation des affaires bancaires, contrôle sur les banques et nationalisation des banques industrielles les plus importantes, notamment : l’industrie du pétrole, du charbon et de la métallurgie ; service de travail obligatoire et général ; mesures immédiates de démobilisation de l’industrie et organisation de l’approvisionnement des villages en produits industriels à des prix fixes. Imposition impitoyable des grands capitaux et des grandes propriétés et confiscation des bénéfices de guerre pour sauver le pays de la ruine économique.
3) Proclamation de l’invalidité des traités secrets et proposition immédiate à tous les peuples des Etats en guerre d’une paix générale et démocratique.
4) Garantie du droit à l’autodétermination des peuples habitant le territoire de la Russie. Abolition immédiate de toutes les mesures de répression contre la Finlande et l’Ukraine.

Les mesures immédiates suivantes doivent être décrétées :
1) Cessation de toute répression dirigée contre la classe ouvrière et ses organisations. Abolition de la peine de mort sur le front et rétablissement d’une liberté totale de la propagande et de toutes les organisations démocratiques dans l’armée. Epuration de l’armée des cadres contre-révolutionnaires.
2) Eligibilité des commissaires et d’autres fonctionnaires par les organisations locales.
3) Armement général des ouvriers et organisation de la Garde Rouge.
4) Dissolution du Conseil d’Etat et de la Douma d’Etat. Convocation immédiate de l’Assemblée constituante.
5) Abolition de tous les privilèges de caste (nobiliaires, etc.), égalité absolue des citoyens.
6) Instauration de la journée de travail de 8 heures et introduction des assurances sociales pour tout le monde.

Comme mesure extrême, indispensable pour l’assainissement de l’atmosphère politique et pour nettoyer la plaie du service juridique, nous exigeons la création immédiate d’une commission d’enquête, jouissant de l’autorité nécessaire aux yeux des démocrates, qui devra procéder à une quête minutieuse sur les événements des 3-5 juillet et contrôler les activités de toutes les autorités juridiques, agents de l’ancien régime, qui tiennent en main, à l’heure actuelle, toute l’instruction contre le prolétariat.
Nous exigeons la libération immédiate de tous les révolutionnaires arrêtés et l’instauration rapide d’un tribunal public pour toutes les affaires en cours. »

in Les bolcheviks et la révolution d’octobre. Procès-verbaux du comité central du parti bolchevique. Août 1917 – février 1918, présentation et notes de Giuseppe Boffa, Paris, Maspero, 1964, p. 97-101
Cité dans BOUQUET Françoise et Jean-Jacques, HERMAN Jacques, HUBLER Lucienne,
150 documents d’histoire générale, 1789-1973, Lausanne, Payot, 1974, p. 97-98


Lénine devant le Congrès panrusse des soviets

Le 26 octobre ( 8 novembre ) , les délégués des soviets de toute la Russie sont réunis à l’Institut Smolny. La scène est décrite par un journaliste américain acquis aux idées de la révolution bolchevique.

« Il était exactement huit heures quarante, quand un tonnerre d’acclamations annonça l’entrée du bureau, avec Lénine, le grand Lénine. Une silhouette courte, ramassée, une grosse tête ronde et chauve enfoncée dans les épaules, de petits yeux, un nez camus, la bouche large et généreuse, le menton lourd. (…) Son costume était râpé, son pantalon beaucoup trop long. Peu fait, physiquement, pour être l’idole de la foule, il fut aimé et vénéré comme peu de chefs au cours de l’histoire. Un étrange chef populaire, chef par la seule puissance de l’esprit. Sans brillant, sans humour, intransigeant et détaché, sans aucune particularité pittoresque, mais ayant le pouvoir d’expliquer des idées profondes en termes simples, d’analyser concrètement des situations et possédant la plus grande audace intellectuelle.

Kamenev donna lecture du rapport sur l’activité du comité militaire révolutionnaire. (…) Ensuite vint le représentant des mencheviks internationalistes. « Comment, encore vous? » L’orateur expliqua qu’une partie seulement des mencheviks internationalistes avait quitté le Congrès ; les autres étaient décidés à rester.
– Nous estimons dangereuse, peut-être même fatale pour la révolution, la remise du pouvoir aux soviets (Interruptions). Mais nous considérons qu’il est de notre devoir de rester au Congrès et de voter ici contre elle. (…)
Enfin Lénine se leva. Se tenant au rebord de la tribune, il promena sur l’assistance ses petits yeux à demi fermés, en apparence insensible à l’immense ovation, qui se prolongea plusieurs minutes. Quand elle eut pris fin, il dit simplement :
– Nous passons maintenant à l’édification de l’ordre socialiste.
De nouveau, ce fut dans la salle un formidable déchaînement humain. »

John Reed, Les Dix jours qui ébranlèrent le monde, (publié pour la première fois en 1919), Editions Sociales, 1974.


Antonio Gramsci, témoin italien de la Révolution russe, écrit le 24 novembre 1917 :

« En Russie, le « Capital » de Marx était plutôt le livre de bourgeois que celui de prolétaires. Il était la démonstration critique de la nécessité fatale que se constituât en Russie une classe bourgeoise, que s’ouvrît une ère capitaliste, que s’y instaurât une civilisation de type occidental avant que le prolétariat pût même songer à sa revanche, à ses revendications de classe, à sa révolution (…). La réalité a fait éclater les schémas critiques dans lesquels l’histoire de la Russie aurait dû se dérouler d’après les postulats du matérialisme historique. Les bolcheviks renient Karl Marx, affirment, par le témoignage de leur action (…) que les postulats du matérialisme historique ne sont pas aussi inébranlables qu’on pouvait le penser. Ils ne sont pas « marxistes », voilà tout; (…) »

cité par Kostas Papaioannou, « Marx et les Marxistes », Flammarion, Paris, 1972, p. 291


Les grands décrets

La paix

« Le gouvernement ouvrier et paysan issu de la révolution du 24-25 octobre et s’appuyant sur les Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans, invite tous les peuples belligérants et leurs gouvernements à entamer immédiatement des pourparlers en vue d’une paix démocratique équitable.

Le gouvernement considère comme une paix équitable ou démocratique, comme le désire l’écrasante majorité des classes ouvrières et travailleuses épuisées, tourmentées et martyrisées par la guerre dans tous les pays belligérants, la paix que les ouvriers et les paysans russes ont réclamée de la façon la plus catégorique et la plus opiniâtre après le renversement de la monarchie tsariste, une paix immédiate sans annexion (…) et sans contribution.

Le gouvernement abolit la diplomatie secrète en exprimant pour sa part sa ferme intention de mener tous les pourparlers tout à fait ouvertement, devant tout le peuple et en procédant immédiatement à la publication intégrale des traités secrets ratifiés ou conclus par le gouvernement des propriétaires fonciers et des capitalistes depuis février jusqu’au 25 octobre 1917.

8 nov. 1917. »

La terre

« La grande propriété foncière est abolie immédiatement, sans aucune indemnité.

Les domaines des propriétaires, fonciers, de même que toutes les terres des apanages, des couvents, de l’Église, avec tout leur cheptel mort et vif, leurs bâtiment et leurs dépendances, passent à la disposition des comités agraires de cantons et des Soviets des députés paysans de district, jusqu’à que la question soit réglée par l’Assemblée constituante.

Toute dégradation des biens confisqués, qui appartiennent dorénavant au peuple tout entier, est proclamée crime grave, punissable par le tribunal révolutionnaire. Les terres des simples paysans et des simples paysans ne sont pas confisquées.

26 oct. /8 nov. 1917  »

Cité dans REED, John, « Dix jours qui ébranlèrent le monde », Ed. Sociales, 1958.


Comparaison entre la Révolution de février et celle d’octobre

Février 1917

« Le 23 février, c’est la journée internationale des femmes (…). Le nombre des grévistes est d’environ 90’000. Le lendemain, le mouvement loin de s’apaiser est en recrudescence (…). Les travailleurs (…), au lieu de se mettre au travail ouvrent des meetings puis se dirigent vers le centre de la ville. Le mot d’ordre, “ du pain” est écarté ou couvert par d’autres formules “à bas l’autocratie” et “à bas la guerre “…

Le 26 février est un dimanche (…). Peu à peu les ouvriers opèrent leur concentration et de tous les faubourgs convergent vers le centre (…). Les soldats ont reçu l’ordre rigoureux de tirer et ils tirent (…). « Ne tirez pas sur vos frères et sœurs » crient les ouvriers et les ouvrières et pas seulement cela : « Marchez avec nous ».

Le 27, l’un après l’autre dès le matin (…), les bataillons de la garde se mutinent (…). Çà et là, des ouvriers ont déjà réussi à s’unir avec la troupe, à pénétrer dans les casernes, à obtenir des fusils et des cartouches (…). Vers midi, Petrograd est redevenu un champ de bataille : les coups de fusil et le tac-tac des mitrailleuses retentissent de tous côtés ».

extrait de Trotsky, Histoire de la de révolution russe.

Octobre 1917

“(le 25 octobre), le Comité militaire révolutionnaire engagea les opérations décisives vers deux heures du matin.

Trois membres du comité furent chargés d’établir le plan des opérations (…). Il n’y eut pas de résistance. Vers deux heures du matin, de petits détachements occupèrent l’un après l’autre les gares, les ponts, les centrales électriques, l’agence télégraphique sans rencontrer d’opposition. Les opérations militaires ressemblaient plutôt à des relèves de garde.

Les opérations engagées se déroulèrent sans effusion de sang, il n’y eut pas une seule victime. La ville était parfaitement calme (…).

La séance du congrès reprit à onze heures du soir (…). Brusquement on entend du bruit et une fusillade dans le Palais (d’Hiver) (…). On continue à tirer. Il est près de deux heures (…).

Les membres du gouvernement provisoire se rendirent pour éviter une effusion de sang. “

Extrait de N. Sukhanov, La Révolution russe, 1917.


Nikolaï Berdiaev (1917) : « Rien de nouveau n’a vu le jour »

Penseur et universitaire russe, Nikolaï Berdiaev (1874-1948) connut une phase marxiste puis retourna à la foi chrétienne. Mais il resta convaincu de la nécessité de réformes sociales. Toléré dans les premières années qui suivirent la révolution bolchevique, il fut finalement expulsé de Russie en 1922 et finit sa vie en exil en France.

« La prise du pouvoir par ceux que l’on appelle les « bolcheviks » apparaît à beaucoup comme une catas­trophe terrifiante, absolument nouvelle dans l’histoire du processus révolutionnaire russe et de la Russie. (…) M. Lénine a osé déclarer qu’à la fin de fé­vrier avait eu lieu une révolution bourgeoise qui avait renversé le tsarisme, et qu’à la fin d’octobre une révo­lution socialiste avait mis à bas la bourgeoisie – un pro­cessus qui aurait pris des siècles dans les nations occi­dentales avancées, contre quelques mois seulement dans la Russie arriérée. Comme notre vie commence à ressembler de plus en plus à un cauchemar, nous avons tendance à tout exagérer. Nous avons perdu toute perspective sur les événements. Je pense quant à moi que tout ce qui se passe en Russie est purement fanto­matique et hallucinatoire. En tout ceci il n’y a rien de substantiel et d’authentiquement réel. Ce qui s’est passé dans les tout derniers temps est très douloureux et pénible pour la vie personnelle des gens. Du sang a été versé ; il y a eu et il y aura encore beaucoup de vic­times innocentes ; la vie humaine est devenue encore plus précaire et difficile à supporter. Mais il faut com­prendre qu’aucun changement substantiel n’a eu lieu, que rien de nouveau ne s’est produit. (…)

Dans l’âme des gens et dans l’âme du peuple (…) rien n’a changé, rien de nou­veau n’a vu le jour. Ce sont toujours les mêmes vieux instincts, les mêmes anciens sentiments. Aucun homme nouveau ne naît. (…) Tout ceci est clair si l’on admet enfin cette vérité que pour l’instant peu de personnes ont entrevue : il n’y a eu aucune révolution en Russie. (…) Le «bolchevisme» s’appuie sur la même force des baïonnettes, sur la même force physique sombre et brutale qui soutenait l’ancien pouvoir décomposé. Rien n’a changé. La masse demeure dans les mêmes ténèbres qu’auparavant.

(…) Dans l’ancienne Russie, il n’y avait pas suffisamment de respect pour l’homme, pour la personnalité hu­maine. Mais maintenant il y en a encore moins. Dans des classes entières de la société, l’homme est nié, la personnalité n’est pas respectée. Un génocide spirituel, qui se mue facilement en génocide physique, s’attaque à des classes entières de la société pointées du doigt par la révolution. »

Extraits d’un article intitulé « Y a-t-il eu une révolution en Russie ? », publié dans la revue hebdomadaire russe Narodopravstvo (trad. française : Le pouvoir au peuple), n° 15, 19 novembre 1917.


Discours de Lénine devant les propagandistes envoyés en province

Le 23 janvier (5 février) 1918

« Camarades, vous savez tous que la majorité des ouvriers, des soldats et des paysans de la Grande-Russie, comme aussi des autres nations qui composaient la Russie, – autrefois par la contrainte, à présent comme des parties de la libre République de Russie, – ont reconnu le pouvoir des Soviets. Et il ne nous reste plus que quelques combats à mener contre les misérables vestiges des troupes contre-révolutionnaires de Kalédine, lequel semble être réduit dans sa région du Don à se sauver devant les Cosaques révolutionnaires.

En ce moment où s’effondre le dernier rempart de la contre-révolution, nous pouvons dire avec assurance que le pouvoir des Soviets se renforce. Et il se renforcera. Chacun le comprend parfaitement, car l’expérience a montré concrètement que seul ce pouvoir – les ouvriers, les soldats et les paysans eux-mêmes, unis dans leurs Soviets, – peut engager la Russie dans la voie d’une libre coexistence de tous les travailleurs.

Nous avons devant nous deux ennemis puissants : le premier, c’est le capital international. Il est là, observant avec fureur le renforcement du pouvoir des Soviets qu’il déteste. Il ne fait aucun doute que ces milliardaires ne peuvent pas ne pas faire la guerre pour s’emparer d’un morceau supplémentaire arraché à quelqu’un d’autre. Il en fait aucun doute non plus que, pour le moment, ils sont encore plus forts que la République des Soviets.

Mais il est apparu que tout en étant plus forts que nous, les capitalistes commencent cependant à envoyer des représentants auprès de nos commissaires, qu’ils iront peut-être jusqu’à reconnaître le pouvoir des Soviets et même jusqu’à accepter l’annulation des emprunts, ce coup terrible, le plus douloureux de tous, porté à leur poche bien gonflée. Et ces discours des représentants de l’oligarchie financière internationale montrent que les capitalistes du monde entier sont dans une impasse. Ils seraient heureux de pouvoir se dépêtrer de la guerre et s’abattre de toutes leurs forces sur la République des Soviets tant haïe qui a allumé l’incendie dans toute l’Europe et l’Amérique, mais ils ne le peuvent pas.

Notre révolution a été engendrée par la guerre ; sans la guerre, nous verrions tous les capitalistes du monde s’unir : s’unir pour nous combattre. Une seule pensée les domine : pourvu que les étincelles de notre incendie ne tombent pas sur leurs toits. Mais on ne peut pas se barricader contre la Russie par une muraille de Chine. Il n’est pas une seule organisation ouvrière dans le monde qui n’accueille dans l’enthousiasme nos décrets sur la terre, sur la nationalisation des banques, etc.

Peut-être devrons-nous dans l’avenir soutenir une lutte acharnée, mais sachez avec certitude, camarades, que dans la plupart des pays les ouvriers opprimés par leurs capitalistes s’éveillent déjà ; et quelle que soit la fureur des Kalédine de tous les pays, même s’ils arrivaient provisoirement à porter un coup à la Russie, leur situation n’en serait pas raffermie pour autant. Quant à notre situation à nous, elle est parfaitement solide, car les ouvriers de tous les pays sont derrière nous. (Applaudissements.)

Notre second ennemi, c’est le marasme économique. Et nous devons d’autant plus lutter contre le marasme que la situation des Soviets s’est affermie. Votre rôle, camarades, est justement de développer cette lutte. Votre voyage, le voyage des propagandistes des deux partis gouvernementaux qui dirigent actuellement le pouvoir des Soviets, prend une grande importance. Et il me semble qu’au fin fond des provinces vous aurez à faire un travail acharné, mais fécond, pour renforcer le pouvoir des Soviets, porter les idées révolutionnaires dans les campagnes, surmonter le marasme économique et affranchir les paysans travailleurs du joug des koulaks.

Nous devrons fournir un effort pénible et persévérant pour guérir les plaies de la guerre. La bourgeoisie des autres pays européens est mieux préparée que nous. Elle y a organisé une répartition rationnelle des produits alimentaires, ce qui fait que la vie, là-bas, est plus facile ; la relève des soldats du front s’y effectuait normalement. Tout cela n’a été à la portée ni du pouvoir tsariste, ni du pouvoir hésitant, conciliateur et bourgeois, de Kérenski.

Voilà pourquoi la Russie se trouve actuellement dans une passe particulièrement difficile. Elle doit s’organiser, elle doit lutter contre la lassitude des uns, contre la canaillerie de ceux qui accroissent le marasme pour en tirer profit, nous devons accomplir notre tâche : construire sur des ruines les fondements de la société socialiste.

Vous aurez à effectuer, camarades, un travail difficile mais fécond, comme je l’ai déjà dit : il vous faudra organiser la vie économique dans les campagnes et renforcer le pouvoir des Soviets. Mais vous avez des auxiliaires, car nous savons que chaque ouvrier et chaque paysan vivant de son propre travail se rend compte que seul le pouvoir des Soviets peut le sauver de la famine et de la mort. Nous pouvons, en effet, sauver la Russie. Les chiffres prouvent qu’il y a du blé en Russie, et nous en aurions s’il avait été recensé en temps opportun et équitablement réparti. Si vous jetez un coup d’œil sur l’immense Russie et, sur la désorganisation des chemins de fer, vous vous convaincrez qu’il nous faut un contrôle renforcé et la répartition du blé existant, autrement nous succomberons tous à la famine. Nous ne pouvons réussir qu’à une condition : que chaque ouvrier, chaque paysan, chaque citoyen comprenne qu’il est seul à même de se venir en aide. Personne ne vous aidera, camarades. Toute la bourgeoisie, les fonctionnaires, les saboteurs marchent contre vous, car ils savent que si le peuple répartit entre les travailleurs ce patrimoine national qui était jusqu’à présent aux mains des capitalistes et des koulaks, il débarrassera la Russie des parasites et des mauvaises herbes. C’est pourquoi ils ont rassemblé toutes leurs forces contre les travailleurs, en commençant par Kalédine et Doutov et en finissant par le sabotage, la corruption des déclassés et de ceux qui sont simplement fatigués et ne peuvent pas s’opposer, prisonniers qu’ils sont d’une vieille habitude, aux habitudes d’exploiteurs de la bourgeoisie. Aujourd’hui, ils soudoient les soldats peu conscients, ignorants, pour organiser la mise à sac des débits d’alcool… Demain, les chefs de service des chemins de fer pour intercepter les chargements destinés à la capitale ; ensuite, les propriétaires de navires pour qu’ils n’acheminent pas des péniches de blé, etc. Mais lorsque le peuple aura compris que seule l’organisation lui permettra de s’unir et de créer une discipline fraternelle, – alors les manigances de la bourgeoisie ne lui feront plus courir aucun danger.

Voilà votre mission, c’est là que vous devez créer l’union, l’organisation et établir le pouvoir des Soviets. Là-bas, dans les campagnes, vous trouverez des paysans «bourgeois», des koulaks, qui tenteront de saboter le pouvoir des Soviets. Vous n’aurez pas de peine à lutter contre eux, car la masse sera avec vous. Elle verra que le centre n’envoie pas dans les villages des expéditions punitives, mais des propagandistes, qui apportent la lumière dans les campagnes, afin d’unir dans chaque village ceux qui travaillent de leurs mains et ne vivent pas aux dépens d’autrui.

Prenons la question de la terre : la terre a été déclarée patrimoine du peuple, et toutes les formes de propriété sont abolies. Un grand pas a été fait ainsi vers la suppression de l’exploitation.

La lutte va se déchaîner maintenant entre les richards et les paysans travailleurs, et il faut aider les paysans pauvres non par des livres, mais par l’expérience de leur propre lutte. Nous n’avons pas confisqué la terre aux grands propriétaires fonciers pour qu’elle devienne la propriété des richards et des koulaks. Elle doit revenir aux paysans pauvres, qui éprouveront à votre égard un sentiment de sympathie.

Il faut aussi faire en sorte que les instruments et les machines agricoles ne soient pas aux mains des koulaks et des richards. Ils doivent appartenir au pouvoir des Soviets et être mis temporairement à la disposition des masses laborieuses par l’intermédiaire des Comités de canton. Et les masses laborieuses doivent veiller elles-mêmes à ce que ces machines ne servent pas à enrichir les koulaks, mais ne soient utilisées que pour cultiver leur propre terre.

Chaque paysan vous aidera dans votre tâche difficile. Expliquez dans les campagnes qu’il est nécessaire de restreindre les droits des koulaks et des exploiteurs. Il faut une répartition rationnelle et égale des produits, pour que le peuple travailleur jouisse des produits du travail populaire. Et, à chaque richard qui allongera sa patte avide vers le bien du peuple, il faut opposer dix travailleurs.

Les recettes des Soviets se montent à 8 milliards, les dépenses à 28 milliards. Il est évident que, dans ces conditions, nous ferons tous faillite si nous n’arrivons pas à désembourber cette charrette de l’Etat que le pouvoir tsariste a enfoncée dans le marais.

La guerre extérieure est terminée ou va se terminer. C’est une affaire réglée. Maintenant c’est la guerre intérieure qui commence. La bourgeoisie a entassé son butin dans ses malles et pense tranquillement : «Ce n’est rien, nous pouvons attendre.» Le peuple doit prendre ces accapareurs au collet et les contraindre à restituer le produit de leur vol. Voilà ce que vous devez réaliser là où vous irez. Ne les laissez pas se cacher, sinon nous courrons à une faillite totale. Ce n’est pas à la police de les contraindre, – la police est morte et enterrée, – c’est au peuple lui-même à le faire, et il n’existe pas d’autre moyen de lutter contre eux.

Il avait raison, le vieux bolchévik qui expliquait à un Cosaque ce qu’est le bolchévisme.

Le Cosaque lui ayant demandé : C’est vrai que vous êtes des pillards, vous autres bolchéviks ? le vieux répondit : Oui, nous pillons ce qui a été pillé [Lénine se réfère à un fait cité dans le rapport du représentant du congrès des Cosaques réuni dans la stanitsa Kamenskaïa à la séance du 16 (29) janvier 1918 du IIIe Congrès des Soviets. (NdE) ].

Nous sombrerons dans cette mer si nous ne sortons pas de ces cassettes tout le butin qui y a été entassé pendant des années d’exploitation éhontée, criminelle.

Nous ferons bientôt adopter par le Comité exécutif central un nouvel impôt sur les possédants, mais vous devez vous-mêmes l’appliquer sur place, afin que la main du travailleur se referme sur chaque billet de 100 roubles amassé au cours de la guerre. Ce n’est pas l’arme à la main que vous aurez à vous battre : la guerre armée est terminée, cette guerre-là commence.

La force des exploiteurs ne renversera pas notre révolution si nous nous mettons maintenant à l’œuvre d’une façon organisée, car, derrière nous et avec nous, il y a le prolétariat du monde entier. »

« Pravda » n° 18, le 6 février (24 janvier) 1918
Conforme au texte de la « Pravda »
Œuvres de Lénine t. 26, pp. 542-547, Paris-Moscou
http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1918/01/vil19180123.htm

Exercice

Comparer les deux révolutions ( durée, acteurs, revendications, formes…)