La dernière lettre de Missak Manouchian à son épouse Mélinée, rédigée quelques heures avant  son exécution le 21 février 1944,  fait partie intégrante de la mémoire nationale de la Résistance. Au même moment et dans les mêmes circonstances, d’autres membres du « groupe Manouchian » condamnés à mort par les Allemands ont écrit une « dernière lettre » aux êtres aimés. Nous avons choisi d’en publier trois, dont celle de la seule femme du groupe condamnée à mort, Olga Bancic.

Ces lettres se ressemblent et en même temps  sont uniques. Elles sont courtes et poignantes. Ce sont des lettres d’amour : ceux et celle qui vont mourir dans quelques heures s’attachent à consoler celles et ceux qui vont leur survivre. Ce sont des lettres de combattants qui  assument  la mort qui les attend. Ces sont des lettres qui appellent ceux qui vont subsister à vivre, car tel était le sens profond  du combat qu’ils avaient  engagé :  pour » une vie et un avenir plus heureux ».

NB : Chacune  des  lettres est accompagnée d’une notice biographique sur la vie et l’engagement de son auteur.


Dernière lettre de Marcel Rajman

Marcel Rajman

Marcel Rajman est né à Varsovie le 1er mai 1923. Ses parents choisissent de migrer en France et s’installent dans le XIème arrondissement de Paris. Tricoteur de métier comme ses parents, Marcel rejoint le Parti communiste très jeune. Lors de l’Occupation, son frère et sa soeur échappent à la rafle du 16 juillet 1942. Très actif dans la résistance, il rejoint le commando de FTP-MOI. Rajman participe activement à plusieurs attentats dont celui, spectaculaire,  du 28 septembre 1943 en compagnie de Celestino Alfonso où ils abattent le Colonel SS Julius Ritter qui supervisait le Service du travail obligatoire (STO) en France.

Le 16 novembre 1943, des inspecteurs de la BS2 interpellent Marcel Rajman et Golda Bancic. Battu et torturé pendant son interrogatoire, Rajman est condamné à mort à l’issue du procès du groupe des 23 ; il est fusillé sur le Mont Valérien, le 21 février 1944.

« Ma chère petite maman,
Quand tu liras cette lettre, je suis sûr qu’elle te fera une peine extrême, mais je serai mort depuis un certain temps et tu seras consolée par mon frère qui vivra heureux avec toi et te donnera toute la joie que j’aurais voulu te donner. Excuse-moi de ne pas t’écrire plus longuement, mais nous sommes tous tellement joyeux que cela m’est impossible quand je pense à la peine que tu ressens. Je ne puis te dire qu’une chose, c’est que je t’aime plus que tout au monde et que j’aurais voulu vivre rien que pour toi. Je t’aime, je t’embrasse, mais les mots ne peuvent dépeindre ce que je ressens.
Ton Marcel qui t’adore et qui pensera à toi à la dernière minute. Je t’adore et vive la vie.
Marcel
Mon cher Simon,
Je compte sur toi pour faire tout ce que je ne puis faire moi-même. Je t’embrasse, je t’adore, je suis content, vis heureux, rends Maman heureuse comme j’aurais voulu le faire si j’avais vécu.
Vive la vie belle et joyeuse comme vous l’aurez tous. Préviens mes amis et mes camarades que je les aime tous. Ne fais pas attention si ma lettre est folle mais je ne peux pas rester sérieux.
Marcel
J’aime tout le monde et vive la vie. Que tout le monde vive heureux.
Marcel
Maman et Simon, je vous aime et voudrais vous revoir. »

Dernière lettre d’Olga Bancic

Olga Bancic photographiée après son arrestation en 1943.

Seule femme jugée lors du procès de « l’affiche rouge », Olga Bancic [10 mai 1912 Kichinev-Roumanie / 10 mai 1944, Stuttgart, Allemagne] est née dans une famille juive de Bessarabie. Militante communiste, elle rejoint la France en 1938. Installée à Paris avec son compagnon Salomon Jacob, elle s’inscrit à la faculté des lettres où elle suit les cours jusqu’à la déclaration de guerre.

Elle s’engage très tôt dans la  résistance sous le pseudonyme de Pierrette et assure, entre-autres, le transport des armes et des munitions. Olga est arrêtée le 16 novembre 1943 vers 13 heures 30, dans le 17ème arrondissement de Paris en compagnie de Marcel Rajman. Condamnée à mort lors du procès de l’Affiche rouge, Olga est transférée en Allemagne.

Le 9 mai 1944, pendant son transfert à la prison de Stuttgart pour y être guillotinée, elle aurait jeté à travers une fenêtre une dernière lettre, datée du jour, adressée à sa fille Dolores. La note jointe, adressée à la Croix-Rouge, précisait (texte dont l’orthographe est corrigée) :
« Chère Madame. Je vous prie de bien vouloir remettre cette lettre à ma petite fille Dolorès Jacob après la guerre. C’est le dernier désir d’une mère qui va vivre encore 12 heures. Merci. »
Contenu de la lettre adressée par Olga Bancic à sa fille Dolorès :
« Ma chère petite fille, mon cher petit amour.
Ta mère écrit la dernière lettre, ma chère petite fille, demain à 6 heures, le 10 mai, je ne serai plus.
Mon amour, ne pleure pas, ta mère ne pleure pas non plus. Je meurs avec la conscience tranquille et avec toute la conviction que demain tu auras une vie et un avenir plus heureux que ta mère. Tu n’auras plus à souffrir. Sois fière de ta mère, mon petit amour. J’ai toujours ton image devant moi.
Je vais croire que tu verras ton père, j’ai l’espérance que lui aura un autre sort. Dis-lui que j’ai toujours pensé à lui comme à toi. Je vous aime de tout mon cœur.
Tous les deux vous m’êtes chers. Ma chère enfant, ton père est, pour toi, une mère aussi. Il t’aime beaucoup.
Tu ne sentiras pas le manque de ta mère. Mon cher enfant, je finis ma lettre avec l’espérance que tu seras heureuse pour toute ta vie, avec ton père, avec tout le monde.
Je vous embrasse de tout mon cœur, beaucoup, beaucoup.
Adieu mon amour.
Ta mère. »

Dernière lettre de Celestino Alfonso

En 1927, munis d’une autorisation de séjour, Celestino Alfonso [1er mai 1916, Espagne – 21 février 1944, Mont Valérien] et ses parents immigrent en France. Ils s’établissent à Ivry-sur-Seine. Celestino devient menuisier, puis manœuvre jusqu’en août 1936, date de son départ pour l’Espagne en guerre où il rejoint les Brigades internationales. Il revient en France à la fin de l’année 1937 avant de retourner en Espagne. À son retour en France, Celestino Alfonso est interné au camp d’Argelès d’où il en sort le 7 décembre 1939.

Résistant, il entre en contact avec Missak Manouchian au cours de l’année 1943. Arrêté et incarcéré à Fresnes, il est fusillé le 21 février 1944 au Mont Valérien. Juste avant, il rédige sa dernière lettre, destinée à sa femme Adoracio Arrias et à leur fils, Jean.

21 février 1944
Chers femme et fils,
Aujourd’hui à 3 heures je serai fusillé, je ne suis qu’un soldat qui meurt pour la France. Je vous demande beaucoup de courage comme j’en ai moi-même, ma main ne tremble pas, je sais pourquoi je meurs et j’en suis très fier. Ma vie a été un peu courte, mais j’espère que la vôtre sera plus longue. Je ne regrette pas mon passé, si je pouvais encore revivre, je serais le premier. Je voudrais que mon fils est [sic] une belle instruction, à vous tous vous pourrez réussir. Ma chère femme, tu vendras mes vêtements pour te faire un peu d’argent. Dans mon colis tu trouveras 450 francs que j’avais en dépôt à Fresnes. Mille baisers pour ma femme et mon fils. Mille baisers pour tous. Adieu à tous. Celestino Alfonso. »
C.A.
Sources textes et photos : le Maîtron des fusillés, disponible ICI, Musée de la Résistance en ligne ICI

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