Elien (175-235 ap.J.-C.) était originaire de Préneste. Écrivain de langue grecque et sophiste de renom, il se tint à l’écart de la vie publique de son époque. Son ouvrage le plus connu, Histoire variée, apparaît comme un vaste recueil d’anecdotes, allant des grenouilles d’Égypte à Socrate, en passant par Alexandre.

L’extrait ci-dessous en est issu et il consiste en une belle description de Tempé, en Thessalie. Oserait-on dire que tout n’y est que calme et volupté d’après la description qu’en offre Elien ? Le chant des oiseaux y est un « merveilleux festin pour les oreilles », la nature s’y est « surpassée en beauté » et les hommes y vivent pour le moins heureux. Le divin Apollon y fut même invité par son père à venir s’y purifier.


« Allons donc, peignons et ciselons une description du lieu thessalien appelé Tempé. (…) ; Cet endroit présente des lieux de séjour divers et variés qui ne sont pas des ouvrages de main humaine ; la nature les a elle-même créés, tenant à se surpasser en beauté au moment où cette contrée a pris naissance. Le lierre y est abondant et très dense : il prospère, se développe, grimpe à la manière de la bonne vigne sur les arbres les plus hauts et se mêle à eux. La salsepareille monte en abondance vers les rochers élevés et couvre la pierre qui disparaît sous elle, et tout bourgeonne : c’est une fête pour les yeux. Dans les endroits plats et situés en contrebas, on trouve des bosquets variés et des abris fréquents qui, à la saison chaude, sont des lieux de refuge et de repos forts agréables pour les voyageurs, leur permettant de se rafraîchir plaisamment. De nombreuses sources coulent aux alentours ; elles donnent naissance à des ruisseaux d’eau fraîche et très douce à boire. On dit que ces eaux sont profitables pour ceux qui s’y lavent, et contribuent à leur santé. Des oiseaux, surtout des oiseaux chanteurs, font retentir ça et là leurs mélodies : c’est un merveilleux festin pour les oreilles. Ces chants accompagnent les passants, les distraient et leur procurent du plaisir, faisant oublier l’effort. De part et d’autre du fleuve on trouve les lieux de repos qui ont été évoqués, et les haltes.

Au milieu de la vallée de Tempé coule le fleuve Pénée, paresseux et paisible comme de l’huile. Une ombre abondante se répand sur lui, provenant des arbres qui poussent sur ses rives et des branches qui s’étendent au-dessus de l’eau de manière à protéger des rayons perçants du soleil pendant la plus grande partie du jour et à permettre à ceux qui naviguent d’avancer dans la fraîcheur. Toute la population des alentours se rencontre ici : ils font des sacrifices, s’adonnent à des festins et à des beuveries. Comme nombreux sont ceux qui y célèbrent continuellement rites et sacrifices, il est normal que des odeurs fort agréables accueillent les voyageurs qui passent à pied ou en bateau. Ainsi, cette foison d’hommages à l’Être supérieur rend le lieu divin.

C’est ici, à ce que disent les gens de la Thessalie, qu’Apollon pythien s’est purifié sur l’ordre de Zeus, après avoir tué de ses flèches le serpent Python qui, à l’époque, gardait encore Delphes, quand l’oracle appartenait à la Terre. Le fils de Zeus et de Léto se couronna avec le laurier de Tempé, en prit de sa main droite une branche et se rendit à Delphes pour entrer en possession de l’oracle. Un autel marque le lieu où il s’est couronné et où il a arraché la branche. Aujourd’hui encore, les habitants de Delphes y envoient tous les huit ans des enfants nobles, accompagnés de l’un d’eux en qualité de chef de procession. Une fois arrivés sur place, après avoir offert un sacrifice somptueux dans la vallée de Tempé, ils repartent avec des couronnes qu’ils se sont tressés avec le même laurier dont jadis le dieu s’était couronné. Ils parcourent cette route que l’on appelle Pythienne, qui traverse la Thessalie, la Pélasgie, la région de l’Oeta et les territoires des Aenianes, des habitants de la Mélide, de la Doride et de la Locride occidentale. Ceux-ci escortent leur procession avec un respect et des honneurs qui ne le cèdent en rien à ceux qu’on octroie aux porteurs des offrandes des Hyperboréens pour ce même dieu; Et les couronnes qu’ils donnent aux vainqueurs des Jeux Pythiques viennent aussi de ce même laurier. Sur la vallée thessalienne de Tempé, j’en ai dit assez pour aujourd’hui ».

Elien, Histoire variée, Livre 3, Les Belles Lettres, 2004, p.33-35.