Fukuzawa Yukichi, partisan de l’occidentalisation du Japon, se méfie de l’Occident. 1876

« Il n’y a pas longtemps que les étrangers sont venus chez nous, et ils n’ont pas encore eu le temps de nous causer de graves dommages matériels ou moraux; dès lors, la majorité de nos compatriotes ne se font pas beaucoup de soucis à leur sujet. Mais ceux, qui ont vraiment à coeur la prospérité nationale, doivent juger les étrangers d’après ce qu’ils ont déjà fait et d’après ce qu’ils sont en train de faire dans le reste du monde. L’Amérique d’aujourd’hui, à qui appartenait-elle autrefois ? Les Indiens, qui étaient à l’origine les possesseurs du pays, en ont été chassés par les Blancs… De plus, qu’est-il arrivé à divers pays orientaux et aux îles du Pacifique ? Les nations européennes ont-elles vraiment respecté les droits et l’intégrité territoriale des pays avec lesquels elles sont entrées en contact ? Que dire de la Perse, de L’Inde, du Siam, de Luçon et des Hawaii ? Les îles Sandwich, depuis leur découverte par le capitaine Cook en 1778, ont, à ce qu’on dit, fait des progrès beaucoup plus rapides que les îles avoisinantes sur le chemin de la Civilisation. Mais leur population, qui était de 3’400’000 habitants lors de la découverte, est tombée à 140’000 en 1823, soit en cinquante ans une diminution de 8 % par an. Il y a beaucoup de causes possibles aux variations démographiques, mais laissons-les de côté pour le moment et demandons-nous ce qu’est exactement ce qu’on appelle « Civilisation ». Cela signifie pour les habitants de ces îles qu’ils ont renoncé au cannibalisme, mais également qu’ils sont devenus les esclaves de l’homme blanc. Lorsqu’il s’agit d’un pays gigantesque comme la Chine, les Blancs n’ont pas pu pénétrer à l’intérieur, et ont exercé leur influence seulement sur la côte; mais il semble très vraisemblable que l’empire chinois deviendra une possession européenne. Partout où vont les Européens, la terre cesse de produire, la végétation cesse de pousser; pire, l’espèce humaine, parfois, s’éteint. Si nos compatriotes comprennent clairement la situation, et s’ils se rendent bien compte que le Japon est un pays d’Orient, ils seront bien obligés d’éprouver des craintes pour l’avenir… »

Vers 1875, un poète du nord du Ghana, El Hajj’ Ommar, évoque la conquête de l’Afrique.

« Le soleil du désastre s’est levé à l’Occident,
Embrassant les hommes et les terres peuplées (…)
La calamité chrétienne s’est abattue sur nous
Comme un nuage de poussière.
Au commencement, ils arrivèrent
Pacifiquement,
Avec des propos tendres et suaves.
« Nous venons commercer, disaient-ils,
Réformer les croyances des hommes,
Chasser d’ici-bas l’oppression et le vol,
Vaincre et balayer la corruption. »
Nous n’avons pas tous perçu leurs intentions
Et maintenant nous voilà leurs inférieurs.
Ils nous ont séduits à coups de petits cadeaux
Ils nous ont nourris de bonnes choses. …
Mais ils viennent de changer de ton. »

(cité par Jacques Bouillon et coll., Le XIXe siècle et ses racines , histoire/seconde, Bordas, Paris, 1981, p. 347)

Touiavii, chef de tribu de Tiavéa dans les îles Samoa

Paroles de Touiavii, chef de tribu de Tiavéa dans les îles Samoa appartenant à l’époque à l’empire allemand. Paroles retranscrites par Erich Scheurmann, peintre et écrivain allemand.

« Touiavii, l’insulaire sans culture, considérait toutes les acquisitions culturelles européennes comme de la folie, comme une impasse. Cela pourrait paraître prétentieux, s’il n’exposait pas cela avec une merveilleuse simplicité délivrée par un coeur humble. (…) « Vous croyez nous apporter la lumière », me dit-il, lors de notre dernière entrevue, « en vérité, vous voulez nous entraîner dans vos ténèbres ».

(…)

« Maintenant, les hommes blancs voudraient nous apporter leurs trésors pour que nous devenions riches aussi, riches de leurs choses. Mais ces choses ne sont rien que des flèches empoisonnées, dont meurt celui dont elles frappent la poitrine. « Nous devons les amener à avoir des besoins », j’ai entendu dire cela par un homme qui connaît bien notre pays. Les besoins, ce sont les objets. « Ensuite, ils consentiront à travailler ! », a poursuivi l’homme intelligent. Et il pensait que nous devions aussi donner les forces de nos mains pour fabriquer des objets, des objets pour nous, mais finalement pour le Papalagui [le blanc], qu’il faudrait que l’on devienne nous aussi fatigués, gris et voûtés. »

(…)

« Après réflexion, je vous dis que le Papalagui [le blanc] nous a apporté l’Evangile comme une sorte de monnaie d’échange pour s’accaparer nos fruits et la plus grande et plus belle partie de notre pays. Je le crois bien capable de cela car j’ai découvert beaucoup de saletés et beaucoup de péchés au fond du cœur du Papalagui ; et je sais que Dieu nous aime plus que lui, nous, qu’il appelle des sauvages, c’est-à-dire des hommes qui ont les dents de l’animal et pas de coeur dans le corps. »

Dans certaines colonies des mouvements nationalistes modérés ou révolutionnaires se développent.

Révolutionnaire, c’est le cas de Phan Boi Chau qui s’inspire des réformateurs chinois et japonais et appelle au renversement de la domination française.

« La politique d’association préconisée en notre faveur et qui a été dictée aux Français plus par la vigueur de la guerre russo-japonaise que par leur propre générosité, sera-t-elle sincère ? Si la France trouve que sa grandeur lui impose de condamner le peuple vietnamien à un esclavage perpétuel, qu’elle ait la franchise qui convienne à un peuple puissant et grand. (…)
Il est heureux que les Japonais aient montré que la peau jaune sert à quelque chose. Lentement, les Blancs nous écorchent et nous avalent à petites bouchées au moyen d’impôts de toute sorte.(…)
Tu es entre les mains de l’étranger. Les titres réservés aux indigènes sont ceux de boys, de coolies, d’interprètes, de troupiers perpétuels. Cependant, les impôts augmentent tous les jours. O, pays d’Annam, que tu es à plaindre ! O, âmes engourdies, réveillez-vous de votre torpeur ! (…)
Quant aux autres études, telles l’électricité, les sciences naturelles, la chimie, les sciences politiques, militaires, etc., elles ne sont pas enseignées aux Vietnamiens pour les maintenir dans une ignorance complète. Ils ne laissent jamais entrer les Vietnamiens dans les écoles où s’enseigne le français par peur de leur révéler le secret de leur savoir. »

Cahiers annamites, 1906-1913. (cité par Jacques Bouillon et coll., Le XIXe siècle et ses racines , histoire/seconde, Bordas, Paris, 1981, p. 357)