Troisième fils de Louis Bonaparte, roi de Hollande, et d’Hortense de Beauharnais, fille de l’Impératrice Joséphine, Charles-Louis-Napoléon est né le 20 avril 1808 à Paris. Après 1815, il vit essentiellement en Suisse et en Italie où il participe aux complots des Carbonari. En 1830, il choisit une carrière militaire et devient élève officier à l’École militaire centrale fédérale de Thoune, située en Suisse. Condamné à l’exil en 1836 après une tentative de soulèvement, il part brièvement aux États-Unis puis revient en Europe et tente un nouveau coup d’État qui échoue lamentablement. Emprisonné à vie en 1840 au fort de Ham en Picardie, il en profite pour écrire et étudier. Il développe notamment ses idées économiques et sociales en 1844 dans De l’extinction du paupérisme. Louis-Napoléon Bonaparte finit par s’évader en 1846 et s’installe à Londres. À la faveur de la Révolution de 1848 qui met fin au règne de Louis-Philippe, Louis-Napoléon revient légalement en France. Il est élu député et siège à l’Assemblée en septembre.
À la suite de la promulgation, le 4 novembre 1848, de la constitution de la IIe République, Louis-Napoléon Bonaparte est candidat à l’élection présidentielle. C’est dans ce contexte qu’il publie son manifeste.


Manifeste du prince Louis-Napoléon

Pour me rappeler de l’exil, vous m’avez nommé représentant du peuple. À la veille d’élire le premier magistrat de la République, mon nom se présente à vous comme symbole d’ordre et de sécurité.
Ces témoignages d’une confiance si honorable s’adressent, je le sais, bien plus à ce nom qu’à moi-même, qui n’ai rien fait encore pour mon pays ; mais, plus la mémoire de l’empereur me protège et inspire vos suffrages, plus je me sens obligé de vous faire connaître mes sentiments et mes principes. Il ne faut pas qu’il y ait d’équivoque entre vous et moi.
Je ne suis pas un ambitieux qui rêve tantôt l’empire et la guerre, tantôt l’application de théories subversives. Elevé dans des pays libres à l’école du malheur, je resterai toujours fidèle aux devoirs que m’imposeront vos suffrages et les volontés de l’Assemblée.
Si j’étais nommé président, je ne reculerais devant aucun danger, devant aucun sacrifice pour défendre la société si audacieusement attaquée, je me dévouerais tout entier, sans arrière¬pensée, à l’affermissement d’une République sage par ses lois, honnête par ses intentions, grande et forte par ses actes.
Je mettrais mon honneur à laisser, au bout de quatre ans, à mon successeur, le pouvoir affermi, la liberté intacte, un progrès réel accompli.
Quel que soit le résultat de l’élection, je m’inclinerai devant la volonté du peuple, et mon concours est acquis d’avance à tout gouvernement juste et ferme qui rétablisse l’ordre dans les esprits comme dans les choses ; qui protège efficacement la religion, la famille, la propriété, bases éternelles de tout état social ; qui provoque les réformes possibles, calme les haines, réconcilie les partis, et permette ainsi à la patrie inquiète de compter sur un lendemain.
Rétablir l’ordre, c’est ramener la confiance, pourvoir par le crédit à l’insuffisance passagère des ressources, restaurer les finances.
Protéger la religion et la famille, c’est assurer la liberté des cultes et la liberté de l’enseignement.
Protéger la propriété, c’est maintenir l’inviolabilité des produits de tous les travaux ; c’est garantir l’indépendance et la sécurité de la possession, fondements indispensables de la liberté civile.

Quant aux réformes possibles, voici celles qui me paraissent les plus urgentes :

Admettre toutes les économies qui, sans désorganiser les services publics, permettent la diminution des impôts les plus onéreux au peuple ; encourager les entreprises qui, en développant les richesses de l’agriculture, peuvent, en France et en Algérie, donner du travail aux bras inoccupés ; pourvoir à la vieillesse des travailleurs par des institutions de prévoyance ; introduire dans nos lois industrielles les améliorations qui tendent, non à ruiner le riche au profit du pauvre, mais à fonder le bien-être de chacun sur la prospérité de tous.

Restreindre dans de justes limites le nombre des emplois qui dépendent du pouvoir, et qui, souvent font d’un peuple libre un peuple de solliciteurs.

Éviter cette tendance funeste qui entraîne l’État à exécuter lui-même ce que des particuliers peuvent faire aussi bien et mieux que lui. La centralisation des intérêts et des entreprises est dans la nature du despotisme. La nature de la République repousse le monopole.

Enfin, préserver la liberté de la presse des deux excès qui la compromettent toujours : l’arbitraire et sa propre licence.

Avec la guerre, point de soulagement à nos maux. La paix serait donc le plus cher de mes désirs. La France, lors de sa première révolution, a été guerrière, parce qu’on l’avait forcée de l’être. À l’invasion, elle répondit par la conquête. Aujourd’hui qu’elle n’est pas provoquée, elle peut consacrer ses ressources aux améliorations pacifiques, sans renoncer à une politique loyale et résolue. Une grande nation doit se taire, ou ne jamais parler en vain.

Songer à la dignité nationale, c’est songer à l’armée dont le patriotisme, si noble et si désintéressé, a été souvent méconnu. 11 faut, tout en maintenant les lois fondamentales qui forment la force de notre organisation militaire, alléger et non aggraver le fardeau de la conscription. 11 faut veiller au présent et à l’avenir non-seulement des officiers, mais aussi des sous-officiers et des soldats, et préparer aux hommes qui ont servi longtemps sous les drapeaux une existence assurée.

La République doit être généreuse et avoir foi dans son avenir ; aussi, moi qui ai connu l’exil de la captivité, j’appelle de tous mes voeux le jour où la patrie pourra sans danger faire cesser toutes les proscriptions et effacer les dernières traces de nos discordes civiles.

Telles sont, mes chers concitoyens, les idées que j’apporterais dans l’exercice du pouvoir, si vous m’appeliez à la présidence de la République.

La tâche est difficile, la mission immense, je le sais ! Mais je ne désespérerais pas de l’accomplir, en conviant à l’oeuvre, sans distinction de parti, les hommes que recommandent à l’opinion publique leur haute intelligence et leur probité.

D’ailleurs, quand on a l’honneur d’être à la tête du peuple français, il y a un moyen infaillible de faire le bien, c’est de le vouloir.

LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.
Paris, le 27 novembre 1848.

Rethel — Imprimerie de TORCHET.

 

Pour approfondir le sujet :

Y Daniel Stern analyse l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte