Les championnats d’Europe de natation de 1931 se déroulent à Paris à la piscine des Tourelles. Ils sont marqués alors par la participation d’un nageur hongrois monopède, Olivér Halassy.

Né en 1909, il perd un pied dans un accident de transport à l’âge de 8 ou 11 ans (les sources divergent). Sportif accompli, Halassy intègre cependant l’équipe nationale de Hongrie en natation et participe aux diverses compétitions internationales aux côtés des athlètes valides en tant que nageur individuel et membre de l’équipe de water-polo.

C’est en août 1925 qu’Halassy fait parler de lui la première fois lorsqu’il termine à la 3e place du championnat de natation en rivière de 9 km situé sur le Danube, entre l’île de Szúnyog et Műegyetem. Très vite il s’impose comme un athlète hors norme, son handicap ne l’étant pas. Il devient ainsi l’un des premiers athlètes handicapés (il est unipodiste et non unijambiste comme la presse le présente) à participer aux jeux Olympiques d’été en 1928 à Amsterdam à une époque où les jeux paralympiques n’existent pas encore, d’autant qu’aucune règle n’empêche un athlète handicapé d’être sélectionné et de participer. Halassy remporte la médaille d’argent avec l’équipe de water-polo après une finale remportée par l’Allemagne. En 1932, lors des jeux de Los Angeles, puis en 1936 lors des jeux de Berlin, l’équipe hongroise et Halassy obtiennent leur revanche et la médaille d’or.

L’année 1931 est celle de son triomphe et de sa médiatisation en France : cette année-là, les troisièmes championnats d’Europe de natation se déroulent à la piscine des Tourelles, et Halassy remporte le 1500 mètres nage libre. La presse française se fait l’écho de ses exploits et de sa renommée comme en témoignent ces extraits issus de quelques titres de la presse sportive. Ce fut cependant le journal Match l’intran, hebdomadaire sportif créé en 1926 par Léon Bailby, qui lui consacre une page entière au cours du mois de septembre 1931. Dans cet article, Halassy revient sur son parcours et la façon dont il a surmonté son handicap grâce au sport. Il analyse aussi sa course, les raisons de sa victoire et … des médiocres résultats de la natation française !

Retraité de la natation en 1939, Halassy termine sa carrière, auréolé de 91 sélections en équipe nationale, 25 titres et de 12 records. Il est assassiné le 10 septembre 1946 par un ou plusieurs soldats soviétiques dans des circonstances restées obscures.


Extrait n° 1 : un record battu

HALASSY, vainqueur du 1.500 m. et demi de l’équipe de Hongrie.Le phénomène hongrois, l’unijambiste Halassy, est inabordable après sa victoire. Tout le monde tient à le féliciter et certains Hongrois l’embrassent même fougueusement. Pensez donc ! après s’être montré le meilleur joueur de polo du tournoi, il gagne de haute lutte le Championnat, des 1.500 m. ; tout cela, malgré sa jambe amputée au mollet.
« Je suis tellement content, nous dit-il, que je ne sens pas la fatigue. Pourtant, j’étais en piètre état à l’arrivée.»
Barany, que nous rencontrons peu après, s’étonne qu’on ait oublié de dire, que le temps accompli par Halassy battait le record hongrois de 21 secondes.
Nous profitons de la présence de Barany pour lui demander ce que veut dire le cri poussé en cœur, en guise d’encouragements par les supporters hongrois :
« Khouï ! … Khouï ! … Ha là ! est le cri de guerre des anciens conquérants hongrois ; comme vous voyez, nous avons gardé la tradition. » 

Extrait du journal l’Auto, 31 août 1931, extrait page 5

 

Extrait n°2 : une presse française très fairplay

[…] L’athlète le plus remarquable que ces championnats auront révélé au public parisien et peut-être européen est, sans conteste, le Hongrois Halassy. Ce nageur mutilé — il n’a qu’un pied — ne se contente pas d’être le meilleur joueur de water-polo du monde, mais il s’est adjugé encore le titre de champion d’Europe des 1.500 mètres nage libre, après une lutte magnifique  avec l’Italien Perrenti, et en battant Taris.

Joueur intelligent, âme de son équipe, il nous a révélé, au surplus, dans la finale du 1500 mètres, de grandes qualités de technicien. Et l’ovation qui salua sa victoire — la plus enthousiaste qui ait jamais fêté un nageur aux Tourelles – dut lui prouver que les Français savent apprécier les beaux exploits, même lorsqu’ils sont accomplis aux dépens de nos champions. […]

Match l’intran, n°260, 1er septembre 1931, extrait page 9

Extrait n° 3 : Halassy marque l’histoire du sport

Comment on écrit l’histoire

Le jeu très brillant de Halassy, le demi de l’équipe hongroise de water-polo, et son énergique victoire dans le 1.500 mètres ont mis en vedette ce joueur entre tous méritant, puisqu’il a un pied coupé au-dessus de la cheville et se trouve, de ce fait, fortement handicapé.

La semaine dernière, on fit, à ce sujet, des révélations curieuses. Halassy avait déclaré à un confrère, entre autres choses, qu’il avait longtemps joué au football, que son accident seul avait interrompu sa carrière de footballeur et l’avait amené à s’orienter vers le water-polo.

Or, Halassy fut, en réalité, victime d’un accident de tramway alors qu’il avait six ans. D’où il faut déduire, évidemment, que Halassy fut un footballeur extrêmement précoce.

Le Miroir des sports, 1er septembre 1931, page 207

Extrait n° 4 : un talent reconnu

[…]

Malgré la double victoire de Barany dans le 100 m. et dans le 400 mètres, le nageur le plus populaire du championnat d’Europe fut, assurément, le petit champion unijambiste hongrois Halassy, qui, après s’être imposé comme le meilleur joueur de water-polo du tournoi, mit à son actif le 1.500 mètres nage libre, après une course merveilleuse de courage et qui lui fit devancer l’Italien Perentin d’un mètre.

Le succès d’Halassy est d’autant plus extraordinaire que ce dernier ne s’entraîne jamais, aux dires de son entraîneur Komjadi, sur 1.500 mètres. Pratiquant le water-polo tous les jours, Halassy remporta, cette année, le championnat de Hongrie sans jamais avoir effectué la distance à l’entraînement et il en fut de même à Paris, pour les championnats d’Europe, où son seul travail sur la distance fut le 1.500 mètres assez humoristique qu’il effectua dans sa, série avant le match de water-polo qui opposait la Hongrie à l’Allemagne. […]

Le Miroir des sports, 8 septembre 1931, extrait page 222

 

Halassy : photo publiée dans le magazine Eau, sport, soleil : organe officiel de la Fédération française de natation et de sauvetage et de la FINA, n° 489, 22 août 1931, page 11

 

Extrait n° 5 : le portrait d’Olivér Halassy par le journal Match l’intran

A l’âge de neuf ans, lorsque je perdis mon pied gauche dans un accident de tramway, je n’aurais jamais cru que je pourrais devenir un jour champion d’Europe de natation.

Cette infirmité accidentelle m’a fait redouter assez longtemps tout exercice physique. Je craignais de me montrer inférieur aux autres.

Je dus, à mon grand chagrin, renoncer au football qui avait été la distraction favorite de mon enfance, en quoi d’ailleurs je ne me distinguais guère des autres gamins, le football étant en Hongrie une sorte de sport national.

Cependant, me trouvant un jour dans une piscine en compagnie de quelques camarades, je m’aventurai dans l’eau. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je m’aperçus que ma jambe mutilée ne gênait pas mes mouvements autant que j’aurais pu le croire !

A dater de cette découverte, je me vouai corps et âme à la natation.

En ma qualité de fils d’officier, j’avais accès libre à la piscine de la garnison de mon père, mesurant 20 mètres de long. C’est là que je fis mon véritable apprentissage. En 1925, je participai à ma première épreuve publique ; la traversée de Budapest à la nage sur une distance de 9 kilomètres. Et à l’étonnement général, j’arrivai troisième. Encouragé par ce premier succès, j’étendis le champ de mon activité sportive et tentai ma chance dans le water-polo. L’année suivante, je gagnai le championnat de Hongrie de 1.500 mètres et la traversée de Budapest à la nage. En outre, je réussis à me faire admettre dans l’équipe représentative de Hongrie de water-polo. Peu après, on me désigna pour le championnat d’Europe qui devait avoir lieu à Budapest et où j’allais me classer quatrième dans les 1.500 mètres, après Borg, Berges et Rademacker.

Par la suite, je pris part aux championnats d’Europe de Bologne en 1927, aux Jeux Olympiques d’Amsterdam en 1928, aux épreuves de la Coupe Klebersberg en 1929, et enfin à Nuremberg, principalement dans les match de water-polo, mais aussi dans quelques épreuves de natation.

Je me demande quelquefois à quoi je dois mes progrès sportifs. Car il est certain qu’une musculature puissante, fût-elle renforcée par un entraînement sérieux, ne suffit pas à assurer la victoire. Tout débutant apprend aujourd’hui que l’abstinence est une condition sine qua non du succès dans le sport. Toutefois, quant à moi, je ne partage pas entièrement cet avis.

L’ascétisme, poussé trop loin, peut s’avérer fatal pour certains tempéraments. L’essentiel est d’adopter un mode de vie très régulier où il n’y a pas place pour des abus et des extra- vacances.

En ce qui me concerne, je ne fume ni ne bois. Comme je suis fonctionnaire et que mon travail dure de 8 heures du matin à 2 heures de l’après-midi, j’ai la possibilité de fixer les heures de mon entraînement d’une manière à peu près immuable. Je reste dans la piscine de 4 à 7 heures environ. Ma vie, essentiellement ordonnée, ne m’empêche pourtant pas d’être sociable et de sortir beaucoup.

Bien que spécialisé dans les 1.500 mètres — je suis champion de Hongrie sur cette distance — je n’étais nullement décidé, à mon arrivée à Paris, à courir cette épreuve. En effet, après les fatigues des matches de water-polo, c’eût été trop audacieux de prétendre obtenir une place honorable dans les courses de nage libre sur une longue distance. Il était convenu dans notre équipe que je ne me présenterais à ces courses qu’au cas où le nombre de points du classement général rendrait ma participation souhaitable. Mais quand les Allemands battirent les Italiens dans les relais de 4 X 200 en menaçant ainsi de ravir le trophée, je n’hésitai plus une seconde.

Dans l’éliminatoire, je n’aspirais qu’à une troisième place afin de pouvoir figurer dans la finale. Je n’avais pas d’ambition plus hardie, d’autant plus qu’il me fallait me ménager pour le match de water-polo se jouant le jour même.

La finale eut lieu le lendemain. Je l’affrontai avec un calme parfait, vu que les résultats de la matinée venaient d’assurer définitivement à mon pays la première place dans le classement général. L’idée de remporter la victoire était bien loin de moi. Tout au plus désirais-je avoir une place honorable, car comment espérer triompher de nageurs de la taille d’un Taris ou d’un Costoli ?

Une fois dans l’eau, pendant les premières centaines de mètres je ne surveillai pas beaucoup Taris dont la victoire me paraissait certaine. Pourtant, je ne tardai pas à me rendre compte que celui-ci forçait trop son allure.

A moins d’un miracle, il ne pourrait continuer longtemps à cette vitesse. Toutefois, je tenais à ne pas me détacher du premier groupe ; aussi m’attachai-je à ne pas perdre de vue mes deux autres rivaux : Costoli et Perentin.

Parvenu aux 500 mètres, toujours à une allure très régulière, je cherchai au loin le bonnet de Taris. Quelle ne fut pas ma stupéfaction en apercevant celui-ci à peu de distance devant moi ! A partir de ce moment, cette distance devait diminuer de plus en plus pour disparaître définitivement vers les 800 mètres.

C’est alors seulement qu’une idée traversa mon esprit comme un éclair. Je pouvais gagner !

Tout à coup je sentis que j’étais encore très en forme, mon corps gardait toute sa souplesse, mes muscles travaillaient avec la régularité d’une machine. Les 700 mètres qu’il me restait à parcourir me semblèrent un jeu d’enfant ! Nous fîmes les 300 mètres qui suivirent.

Taris, Costoli, Perentin et moi, en nageant de front. Je ne voyais pas les autres, mais je devinais leur présence à mes côtés. Un orage terrible grondait dans le ciel, mais que m’importait !

Al.100 mètres, j’entendis le tumulte du public. Un regard circulaire : Taris était déjà en arrière ! Ce fut comme un coup d’éperon ! Cette fois je luttais pour la victoire ! Mes muscles ne se ressentaient nullement de l’effort fourni. J’aurais pu aisément accélérer mon allure, mais je savais que c’était une mauvaise tactique.

Bientôt, Costoli se détacha à son tour de la ligne que je me trouvai seul à former avec Perentin. Je jetai un coup d’oeil furtif sur mon rival pour me rendre compte comment il se comportait. Le public, debout aux tribunes, trépignait en hurlant. J’entendis mon nom et cela redoubla mon courage. Je rassemblai toutes mes forces pour le sprint final ; de 1.400 à 1.450 mètres, j’avais déjà un mètre d’avance sur Perentin. Ce n’était plus qu’une question de secondes. Je bandai toute mon énergie pour m’élancer en avant. Rien n’existait plus pour moi : ni le public déchaîné aux gradins, ni mes adversaires luttant à mes trousses. Les dernières dizaines de mètres, je les accomplis dans un état de quasi-hallucination. Une dernière brasse… J’avais touché le but. Des bras inconnus me saisirent et m’emportèrent à moitié évanoui.

Ce n’est que quelques minutes plus tard, une fois mes sens complètement revenus, que j’appris ma victoire : j’étais champion d’Europe de 1.500 mètres nage libre, et j’avais dans cette même course battu le record hongrois.

Bien des gens m’ont demandé le secret de mon succès en particulier et celui de mes compatriotes en général. Pour ce qui est de ma victoire personnelle, j’y trouve une cause sérieuse dans la température de l’eau que moi je supportais à merveille, mais qui handicapait nombre de concurrents. Quant à la malchance des Français et au succès de l’équipe hongroise.

Je crois en deviner la raison principale : c’est la différence qui existe entre les méthodes sportives de ces deux nations. Il est vrai que l’indisposition de Taris a énormément diminué les chances de la France. Mais il existe en France d’autres nageurs de première classe. Il est dommage, à mon sens, que ceux-ci, si bien entraînés contre la montre, le soient moins lorsqu’il s’agit de lutter contre des adversaires. Battre un record au moment où l’on est en possession du maximum de ses capacités est un très bel exploit.

Mais triompher de concurrents sérieux un jour quelconque de championnat demande un entraînement adéquat et une tactique différente. Or, notre équipe à nous est entraînée surtout en vue de rencontres internationales.

Pour ceux qui sont curieux de mes projets d’avenir, je peux ajouter que je rentre en Hongrie où je compte me reposer pendant quelque temps avant de commencer mon entraînement en vue des Jeux Olympiques de Los Angeles de 1932.

V.O. Halassy « Comment je suis devenu champion », Revue Match l’intran, n° 263, 22 septembre 1931, page 11

 

 

Halassy après sa victoire dans le 1500 mètres nage libre aux Championnats d’Europe de natation, août 1931 – Photo : agence de presse Meurisse, source : Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EI-13 (2884)