Les Parisiennes ont pris une part active auprès des hommes dans les combats de la Commune de Paris, entre mars et mai 1871. Pendant la semaine sanglante (21-28 mai  1871) qui met fin à la Commune, des cohortes de femmes sont accusées par les Versaillais de provoquer des incendies afin de détruire la capitale par le feu. L’image  de la  « pétroleuse » de la Commune est née, abondamment diffusée  par la presse anti-communarde et par le dessin.

pétroleuses Commune

L’historienne et écrivaine  Edith Thomas a démontré,  dans son ouvrage éponyme, publié en  1963 et réédité en 2019, qu’il s’agissait d’un mythe et que sous ce terme, le but était  en réalité d’occulter et de discréditer le rôle politique très actif des femmes pendant la Commune.

L’article « les pétroleuses » présenté ici a été publié dans le quotidien Paris-Journal, dans son édition du 27 mai 1871. À cette date, la « semaine sanglante » n’est pas encore complètement achevée, même si la victoire des Versaillais ne fait plus aucun doute. Le directeur de la publication Henri de Pène (1830-1888) est un journaliste et écrivain  violemment anti-communard et il est possible qu’il en soit le rédacteur. L’article se présente comme un reportage « à chaud » des derniers évènements de Paris auxquels  il aurait assisté.

L’intérêt de l’article est qu’il s’agit sans doute d’un des premiers publiés sur les pétroleuses et  avec ce titre, de surcroit. Si le journaliste était  sans doute présent à Paris au moment de la Semaine sanglante, il est douteux, vu ses opinions, qu’il ait suivi de près les faits et gestes des Communardes qu’il décrit pourtant  avec zèle, apportant ainsi sa pierre à la construction du mythe des pétroleuses. Il accompagne plus probablement les soldats versaillais en train de reconquérir la capitale. Mais, le 27 mai 1871, Paris est littéralement à feu et à sang et le moment n’est pas à la nuance dans le jugement …

Sans surprise, les « pétroleuses » sont décrites comme « enrégimentées » , « infâmes créatures », accomplissant « le plus odieux des crimes ».  L’auteur de l’article témoigne surtout, peut être de manière involontaire,  de la terrible répression que subissent les vaincus de la Commune et qui n’épargne pas les femmes : « 13 pétroleuses » « passées par les armes ».

L’extrait n°2 est issu d’un journal régional « l’Emancipation » qui se définit comme le « journal quotidien de la démocratie méridionale ». D’opinion démocrate et républicaine, on peut supposer que le journal est plus favorable aux Communards que les journaux versaillais. L’article est daté du 23 juin, soit quatre semaines après la fin de la semaine sanglante. Son intérêt est de mettre en doute l’existence véritable des pétroleuses, ce que confirmeront les procès de l’été 1871.


Les pétroleuses

Et qu’on ne vienne pas nous dire que l’incendie n’était pas une des armes dès longtemps mises en réserve par les hommes de l’insurrection ! Ils avaient mis à les préparer trop d’habileté et de prévoyance.

Les incendiaires sont enrégimentés. Ce sont des femmes. Elles ont pour mission, les infâmes créatures, de jeter par les soupiraux des caves, par les fenêtres, dans tous les endroits qui leur semblent propices, et en particulier dans les édifices publics, du pétrole et des mèches.

Voici comment elles procèdent : elles vont seules ; la plus souvent mises modestement mais non pauvrement. Elles glissent plutôt qu’elles ne marchent le long des maisons ; on les prendrait volontiers pour des ménagères allant aux provisions ; et, de fait, c’est l’attitude qui leur a semblé, à ces gueuses, la plus propre à commander le respect, ou tout au moins à écarter la défiance.

Celles qui sont munies de mèches les portent dans la main, et sans se baisser, sans s’arrêter elles les lancent d’un geste  brusque au travers des ouvertures qu’elles rencontrent sur leur chemin.

Celles qui emploient le pétrole, dissimulent facilement dans les plis de leurs jupes, la bouteille qui le contient, et opèrent, pour le reste, comme les autres. Depuis ce matin, elles ont imaginé un perfectionnement tel que la surveillance des honnêtes gens a dû être singulièrement gênée. Coiffées d’un bonnet, opérant de préférence le matin, elles emportent et cachent dans une modeste boîte à lait ce qui doit leur servir à l’accomplissement du plus odieux des crimes.

Chaque jour, la vigilance des citoyens et des soldats parvient à démasquer quelqu’une de ces femmes. On les arrête ; on les fouille ; on les mène à la mairie la plus voisine. Un instant après, justice est faite.

Plus d’une fois, l’exaspération de la foule  surexcitant celle, bien légitime, de nos soldats, ceux-ci se font séance tenante, les exécuteurs du verdict prononcé par les témoins du forfait.

Aujourd’hui même, place Vendôme, 13 pétroleuses, c’est le nom que leur a donné la population, prises en flagrant délit, ont été, deux heures après, passées par les armes.

Rue du 4 Septembre, dans tout la parcours entre la place de la Bourse et la place du nouvel Opéra, dix pétroleuses, ont été arrêtées, parmi lesquelles des enfants de douze à quinze ans.

Détail dont nous pouvons garantir l’exactitude : les fédérés avaient donné ordre aux pompiers, sous peine de mort, de ne point porter secours aux incendies. Par excès de prudence, la  plus grande partie des tuyaux de pompe avaient  été enlevés; ceux qui restaient, étaient pour la plupart crevés à coups de haches.

Ainsi, tout était prévu, tout était combiné. Ces hommes s’étaient hissés au pouvoir par le crime, et c’est par le crime qu’ils s’étaient promis d’en descendre !

Paris- Journal, samedi 27 mai 1871, page 1


Article n°2

Le Globe raconte que, quelques jours après la défaite de la Commune, un membre de l’Assemblée nationale qui s’était rendu à la prison de Versailles où sont gardées les femmes prisonnières de Paris, fut saisi tout à coup par une dame couverte de vêtements sales : « Pour l’amour de Dieu, dit-elle, ne m’abandonnez pas et regardez moi. » Le membre de l’Assemblée fut étonné de retrouver dans cette femme une dame du grand monde qu’il avait connue à Paris, Mme X. lui conta l’histoire de son arrestation. Elle se trouvait dans une rue de Paris où des soldats poursuivaient des pétroleuses. « Arrêtez-les ! », criait-on de toutes parts. Tout à coup,  la dame fut enveloppée et, malgré ses protestations d’innocence, conduite à Versailles. Fort heureusement pour elle, le membre de l’Assemblée obtint sa mise en liberté,  car sans lui, elle eût probablement été envoyée dans une  colonie pénitentiaire, peut-être même fusillée. Sa famille, à Paris, s’était étonnée de son absence, mais jamais l’idée ne lui était venue qu’elle pouvait se trouver parmi les pétroleuses de Versailles. Cette dame est convaincue que beaucoup de prisonnières sont aussi innocentes  qu’elle-même, et dit qu’elle n’a pas été moins maltraitée que les femmes dont la culpabilité était indéfendable. Elle parle avec horreur de tout ce  qu’elle a vu pendant sa captivité.

L’EMANCIPATION : journal quotidien de la démocratie méridionale, 23 juin 1871, p. 3

 

Supplément Pop-culture :

Les Pétroleuses, film francoitalohispanobritannique réalisé par Christian-Jaque, sorti en 1971, avec Brigitte Bardot et Claudia Cardinale

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