Élisée Reclus et les parcs nationaux

« En 1900, les puissances européennes se sont mises d’accord pour empêcher la destruction des grosses bêtes d’Afrique, du moins pour en régler la chasse. En vertu de leur traité, il a été convenu que, dans la région centrale du continent, la poursuite des lions, léopards, hyènes, babouins, serpents venimeux et pythons restera provisoirement permise, tandis que celle du vautour, du secrétaire, du hibou et autres oiseaux utiles sera strictement interdite ; de même la girafe, le gorille, le chimpanzé, l’âne sauvage, l’élan, en danger d’extermination complète, doivent être protégés : quant à l’éléphant, au rhinocéros, à l’hippopotame, au zèbre, au buffle, la chasse des jeunes et des mères accompagnées de leurs petits n’en est pas autorisée. On le voit, cette convention n’est pas de nature à constituer de véritables réserves interdites à la férocité des chasseurs. Il eût été bien autrement efficace de délimiter nettement une contrée qui fut absolument close aux bûcherons, aussi bien qu’aux tueurs de bêtes et d’hommes, si ce n’est en cas de défense personnelle.

À cet égard, les prescriptions stipulées pour le parc de Yellowstone ou « Parc National » aux États-Unis eussent été le modèle à suivre. Aucune violence ne soit être faite contre oiseau ou autre animal, aucun coup de hache ne doit être porté contre arbre de la forêt primitive, et les eaux doivent continuer de couler non polluées par moulin ou par mine. Tout doit rester en l’état pour témoigner ce qu’était le Far West avant l’arrivée de l’homme blanc. On peut se demander si toutefois les hôtels avec leur outillage et leurs dépendances de toute nature n’entraînent pas peu à peu la violation de ces engagements. On a les mêmes craintes pour tous les « parcs » de ce genre établis dans le voisinage des grandes cités et des régions surpeuplées. Dans le New-Hampshire, un naturaliste a délimité en pleine région montagneuse une fort belle forêt de 17.000 hectares, où l’on a lâché 74 bisons, 1500 élans et près  de 2000 autres cervidés d’espèces diverses, toutes bêtes sauvages qui ont trouvé là un milieu qui leur convient, et qui s’y multiplient. Les monts Adirondak de New-York ont aussi leurs réserves et chacun des États du nord demande d’avoir les siennes. Le même courant d’idées se fait jour en Australie et en Nouvelle-Zélande. En Afrique, on a constaté que la « réserve » installée par les Anglais sur la rive gauche du Chiré n’a point eu pour résultat de ramener l’éléphant dans la région d’où la chasse l’avait contraint de fuir. Les bêtes féroces, notamment les lions et leur gibier, se sont accrues dans le parc rhodésien, mais l’éléphant n’a pas confiance : peut-être craint-il une nouvelle ruse de l’homme, son ennemi par excellence ».

 

Élisée Reclus, L’homme et la terre, Paris, Librairie universelle, 1905-1908, extrait du tome 6, pp. 240-242.

 


Notes :

  • La source d’origine a été privilégiée sur une publication ultérieure afin de favoriser la recontextualisation par les élèves.
  • L’accord mentionné en début de texte est certainement la Convention adoptée à Londres en 1900, concernant la mise en place d’instruments de mise en œuvre de la protection de l’environnement naturel en Afrique, ce qui est alors une première pour le continent encore sous domination coloniale. Elle est remplacée en 1933 par une seconde Convention, également signée à Londres, considérée comme l’ancêtre des textes actuels.
  • Le Chiré ( ou Shiré) est un affluent du fleuve Zambèze.

Y Les États-Unis et la question environnementale