En France, Le Duc d’Orléans mène une vie déréglée.

Madame, la Princesse Palatine, est la mère du Régent Philippe d’Orléans qui dirigea la France pendant l’enfance de Louis XV.

« Versailles, le 2 février 1698

… Je crois bien que mon fils, avec la vie déréglée qu’il mène, ne vivra pas longtemps. Il passe les nuits entières en orgies et ne vient se coucher qu’à huit heures du matin ; aussi a-t-il souvent la mine d’un déterré. Il est certain qu’on le tue, mais Monsieur son père ne veut rien dire là contre, et tout ce que je puis dire moi-même ne sert à rien. N’en parlons donc plus. Cependant je dois dire encore qu’il est vraiment dommage qu’on pousse ainsi mon fils à la débauche, car si on lui eût donné des habitudes meilleures et plus honnêtes, il serait devenu un tout autre homme. Il ne manque pas d’esprit, il n’est pas ignorant, et dès sa jeunesse il avait du penchant pour tout ce qui est bon, louable et conforme à son état Mais depuis qu’il est devenu son maître et qu’il est entouré de vauriens qui lui font fréquenter des putains, met verloff(1), du plus bas étage, il est tellement changé de visage, d’humeur et de ton qu’on ne le reconnaît plus. »

1. Avec votre permission, en hollandais.

Princesse PALATINE, Lettres de Madame la Duchesse d’Orléans née Princesse Palatine, Paris, Mercure de France (Le temps retrouvé), 1981, 1985, p. 220.

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Un portrait de Louis XV

Rédigé en 1771, soit un an après la disgrâce de son auteur, ce portrait de Louis XV est sans complaisance. Choiseul jalonne tous les chapitres de ses mémoires de notations sévères sur le caractère du roi et concentre dans ce chapitre ces touches teintées d’une férocité que son renvoi, dû aux intrigues du clan de la nouvelle maîtresse en titre du roi, Mme du Barry, ne contribue certainement pas à atténuer.

« Après une étude suivie, dont rien ne m’a jamais distrait, je voyais le Roi, un homme sans âme et sans esprit, aimant le mal comme les enfants aiment à faire souffrir les animaux, ayant tous les défauts de l’âme la plus vile ou la moins éclairée, mais manquant de force, à l’âge où il était, pour faire éclater ses vices aussi souvent que la nature l’aurait porté à les montrer : par exemple, il aurait, comme Néron, été enchanté de voir brûler Paris de Bellevue ; mais il n’aurait pas eu le courage d’en donner l’ordre ; le spectacle qui lui ferait le plus grand plaisir serait celui de voir les exécutions de la Grève, mais il n’a pas le courage d’y aller. Si l’on voulait lui faire le plaisir de rouer quelqu’un dans la cour de marbre de Versailles, je suis bien sûr qu’il quitterait le lit de sa maîtresse dans les moments où il paraît lui être le plus attaché, pour aller dans un coin de fenêtre être témoin avec détail de l’exécution. Il se dédommage autant qu’il peut de ces spectacles si conformes à son goût, en regardant avidement tous les enterrements qu’il peut rencontrer ; il a vu passer celui de Mme de Pompadour ; il parle continuellement d’enterrements, de maladies, d’opérations de chirurgie ; il marque de la satisfaction de la mort de tous ceux qu’il connaît, et quand on ne meurt pas, il prédit qu’on mourra : je suis persuadé que ce qui l’attache le plus à la chasse, c’est la destruction.

Une partie du mauvais naturel que je viens de décrire vient du peu d’idées de ce prince, de la nullité de son âme qui ne peut être remuée que par des spectacles ou des faits qui font horreur nécessairement à la nature ; mais son goût pour le mal tient aussi à sa méchanceté naturelle, qui le porte à faire souffrir quand il en trouve l’occasion, et qui ne le porte jamais à faire le bien, quelque occasion qu’il en trouve ; je ne crois pas que personne ne lui ait vu depuis sa naissance un mouvement de sentiment pour le bien. Il n’est point avare, comme on le croit : si, étant dénué de sentiments, il peut avoir une vertu, c’est celle d’être assez noble sur l’argent ; il n’en donne pas de lui-même, parce que ce serait faire du bien et qu’il lui est impossible d’avoir les sentiments de l’obligeance. L’on croit assez communément qu’il est bon père ; rien n’est moins juste que cette opinion : il ne pouvait pas souffrir son fils, qui le lui rendait bien et marquait trop ouvertement le mépris qu’il avait de son père ; mais le Roi m’a dit pendant la dernière maladie du Dauphin, son fils, et m’a écrit qu’il était fâché de sa mort, parce que le Royaume et les Parlements en particulier, craignaient son fils et par conséquent désiraient sa conservation à lui Roi : il n’a jamais eu d’autres motifs pour être fâché de tels ou tels événements que lorsqu’il les croit relatifs à sa conservation ou au bien des autres. Il ne se soucie point du tout de ses petits-enfants ; il aimerait mieux le Dauphin que les autres, parce qu’il est plus maussade et que tout ce qu’il désire, c’est que son successeur ne soit pas l’espérance de la Nation : ce n’est pas un sentiment de gloire, c’est la peur qu’on ne se défasse de lui. Il avait un grand désir d’avoir des petits-enfants, par la crainte que, s’il n’avait pas de successeur, sa vieillesse ne fût troublée par différents partis et qu’il ne fût méprisé des deux côtés.

Il a une vanité inconcevable, la vanité des valets poussée aussi loin qu’il est possible ; mais il n’a pas la force de la faire valoir ; car il a le mérite de sentir qu’il n’est capable de rien et il convient intérieurement que son caractère malheureux est au-dessous de tous les caractères de la nature ; je lui ai entendu dire qu’il était l’inconséquence même et qu’il ne serait pas étonné d’être fou. Certainement, il est inconséquent ; car, étant par la plus sotte vanité jaloux de son autorité, il n’a pas de volonté et est abandonné par faiblesse à celle des différents ministres qui travaillent avec lui ; il leur marque l’indifférence la plus dégoûtante pour toute espèce d’affaires, comme pour toute espèce de personnes. Sa vanité lui fait croire qu’il suffit, pour conserver son autorité, qu’il renvoie de temps à autre les ministres auxquels il a marqué de la confiance ; car il leur en marque à tous infiniment, puisqu’il fait tout ce qu’ils veulent : mais je ne crois pas qu’il ait dit à aucun qu’il le conserverait auprès de lui toute sa vie. (…)

[Poursuivant sur le même ton à propos de plusieurs personnages intriguant dans l’entourage de Louis XV, Choiseul termine par un incident qu’il raconte comme illustration des propos qu’il vient de tenir sur son souverain.]

Un accident retarda de quelques jours la présentation de Mme du Barry. Le Roi tomba de cheval à la chasse et se fit mal au bras, parce qu’il tomba dessus ; la crainte de la chute qu’il avait faite sur le bras lui ôta la force de se mettre sur ses pieds : il se passa dans la forêt une scène de faiblesse qui serait dégoûtante pour une petite fille de dix ans. Le Roi, qui sentait la honte de sa pusillanimité, soutenait qu’il avait le bras cassé : il ne l’avait point ; mais on le traita comme il voulait l’être, et ce qui aurait été un accident très léger dans un village pour un petit paysan, fut, par les peurs du Roi, un accident qui l’a estropié. La crainte du mal l’a empêché longtemps de mouvoir son bras, de manière qu’il a perdu une grande partie de l’usage qu’il devait en avoir. Je crois que le Roi est le premier exemple d’un homme estropié par peur, et cet exemple dépeint parfaitement la consistance de son âme. »

Mémoires du duc de Choiseul. Paris, Mercure de France, 2005, pp. 217 – 223.

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Un portrait de Louis XVI (par Mme Campan (1752-1822))

« Louis XVI avait des traits assez nobles, empreints d’une teinte mélancolique; sa démarche était lourde, sans noblesse, sa personne plus que négligée, ses cheveux, quel que fût le talent de son coiffeur, étaient promptement en désordre par le peu de soin qu’il mettait à sa tenue. Son organe, sans être dur, n’avait rien d’agréable; s’il s’animait en parlant, il lui arrivait souvent de passer du médium de sa voix à des sons aigus. Son précepteur, l’abbé de Radonvillers, savant, aimable et doux lui avait donné, ainsi qu’à Monsieur (1), le goût de l’étude. Le roi avait continué à s’instruire; il savait parfaitement la langue anglaise. Plusieurs fois je l’ai entendu traduire les passages les plus difficiles du poème de Milton (2): il était géographe habile et se plaisait à tracer et à lever des cartes ; il savait parfaitement l’histoire, mais peut-être n’en avait pas assez étudié l’esprit. Il appréciait les beautés dramatiques et en portait de fort bons jugements. Un jour, à Choisy (3), plusieurs dames se récrièrent sur ce que les comédiens français devaient y représenter une pièce de Molière; le roi leur demanda pourquoi elles désapprouvaient ce choix ? Une d’elles répondit qu’il fallait convenir que était d’un très mauvais goût; le roi répondit que l’on pouvait trouver dans Molière beaucoup de choses de mauvais ton, mais qu’il lui paraissait difficile d’en rencontrer qui fussent de mauvais goût.

Ce prince unissait à tant d’instruction toutes les qualités du meilleur époux, du plus tendre père, du maître le plus indulgent et, quand on songe à tant de vertus, les années qui se sont écoulées depuis la barbarie des factieux et le malheur des Français sont insuffisantes pour se persuader que le crime soit parvenu à l’accomplissement du forfait le plus inouï.

Le roi montrait malheureusement un goût trop vif pour les arts mécaniques. La maçonnerie, la serrurerie lui plaisaient au point qu’il admettait dans son intérieur un garçon serrurier avec lequel il forgeait des clefs, des serrures; et ses mains noircies par ce travail furent plusieurs fois, en ma présence, un sujet de représentations et mêmes de reproches assez vifs de la part de la reine, qui aurait désiré pour le roi d’autres délassements.

Austère et sévère pour lui seul, le roi remplissait exactement les lois de l’Église, jeûnait et faisait maigre tout le carême. Il trouvait bon que la reine n’observât point ces usages avec la même rigueur; pieux dans le coeur, les lumières du siècle avaient cependant disposé son esprit à la tolérance; modeste et simple, Turgot (4), Malesherbes (5) et Necker (6) avaient jugé qu’un prince de ce caractère sacrifierait volontiers les prérogatives royales à la solide grandeur de son peuple; son coeur le portait, à la vérité, vers des idées de réforme; mais ses principes, ses préjugés, ses craintes, les clameurs des gens pieux et des privilégiés l’intimidaient et lui faisaient abandonner des plans que son amour pour le peuple lui avait fait adopter.”

Mémoires de Madame Campan, première femme de chambre de Marie-Antoinette. Paris, Mercure de France, 1988/99, pp. 110-112.

Note :
1. Le comte de Provence, frère du roi et futur Louis XVIII.
2. John Milton, poète anglais (1608-1674). Il eut une grande influence sur les romantiques anglais et français.
3. Château royal racheté par Louis XV en 1739. Il était très apprécié de ce dernier qui y séjourna régulièrement, entre autres pour la beauté de ses jardins.
4. (1727-1781) Homme politique et économiste, proche des philosophes (il collabore à l’Encyclopédie de Diderot. Ministre des Finances (1774-1776) après avoir été intendant du Limousin (1761-1774), il tente une réforme et une modernisation de la fiscalité et de l’économie du royaume mais se heurte à l’hostilité des privilégiés qui obtiennent son renvoi.
5. (1721-1794) Juriste proche des philosophes, il occupe diverses charges dans l’entourage du roi et dans l’ordre judiciaire du royaume. Il émigre au début de la Révolution mais revient à Paris pour prendre la défense de Louis XVI lors de son procès. Il fut exécuté sous la Terreur.
6. (1732-1804) Financier et homme d’État d’origine genevoise. Installé comme banquier à Paris depuis 1763, il se fait connaître par plusieurs publications consacrées à l’économie alors que sa femme tient un salon très fréquenté. Appelé à diriger le trésor royal puis les Finances, il tente diverses réformes (1776) mais doit démissionner (1781). Rappelé en 1788, il tente de canaliser les réformes nécessaires face à l’était désastreux des finances mais le roi le renvoie à nouveau, le 11 juillet 1789, ce qui contribue au soulèvement de Paris le 14 juillet. Un dernier passage au Ministère de l’été 1789 à 1790 ne change plus rien et il se retire à Coppet avec sa fille, Mme de Staël.

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Portrait de la reine Marie-Antoinette par le comte Alexandre de Tilly (1764-1816)

« Marie-Antoinette d’Autriche, reine de France, traitait avec une bonté particulière tout ce qui lui était attaché ; elle était adorée de son service intérieur ; c’était même là qu’étaient les puissances qui la gouvernaient, sans projet et sans plan, car elle ne s’en était fait aucun que de s’affranchir des coutumes et des gênes de son rang, dont elle avait toute la dignité et le maintien quand elle voulait souvent ne pas l’avoir.

J’ai beaucoup entendu parler de la beauté de cette princesse ; et j’avoue que je n’ai jamais absolument partagé cette opinion : mais elle avait ce qui vaut mieux sur le trône que la beauté parfaite, la figure d’une reine de France, même dans les instants où elle cherchait le plus à ne paraître qu’une jolie femme. Elle avait des yeux qui n’étaient pas beaux, mais qui prenaient tous les caractères ; la bienveillance ou l’aversion se peignaient dans ce regard plus singulièrement que je ne l’ai rencontré ailleurs ; je ne suis pas bien sûr que son nez fût celui de son visage. Sa bouche était décidément désagréable ; cette lèvre épaisse, avancée, et quelquefois tombante, a été citée comme donnant à sa physionomie un signe noble et distinctif ; elle n’eût pu servir qu’à peindre la colère et l’indignation, et ce n’est pas là l’expression habituelle de la beauté ; sa peau était admirable, ses épaules et son cou l’étaient aussi ; la poitrine un peu trop pleine, et la taille eût pu être plus élégante : je n’ai plus revu d’aussi beaux bras et d’aussi belles mains. Elle avait deux espèces de démarches, l’une ferme, un peu pressée, l’autre plus molle et plus balancée, je dirais presque caressante, mais n’inspirant pourtant pas l’oubli du respect. On n’a jamais fait la révérence avec tant de grâce, saluant dix personnes en se ployant une seule fois, et donnant, de la tête et du regard, à chacun ce qui lui revenait… Et un mot, si je ne me trompe, comme on offre une chaise aux autres femmes, on aurait presque toujours voulu lui approcher un trône.

Quant aux traits distinctifs de son caractère, dont, je le répète, je ne veux pas m’occuper de suite, j’en citerai seulement deux, parce qu’ils sont très prononcés et qu’ils se retrouvent sans cesse dans l’habitude de sa vie privée et publique ; ils sont d’ailleurs la source de ses erreurs, et de ses infortunes sans mesure et sans exemple chez les nations civilisées ; je veux parler de son dégoût pour les formes environnantes de la royauté, plus nécessaires en France qu’en aucun lieu que je connaisse, et de son incurable prévention (quoique, en général, elle fût d’un naturel incertain et hésitant) pour ou contre ceux qui étaient signalés à ses bontés ou à sa haine, ou qu’elle-même y avait souvent désignés sans réflexion. »

Mémoires du comte Alexandre de Tilly pour servir à l’histoire des moeurs de la fin du XVIIIe siècle. Paris, Mercure de France, 1986, pp. 71-72.

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Témoignage de l’abbé de Véri

On reproche à la reine son manque d’égards pour le roi. En témoigne l’abbé de Véri, confident de Maurepas et sagace observateur des mœurs de la famille royale et de la cour.

« 1776,
La Reine ne cherche point à l’amuser [le roi] dans ses moments de dissipation. Elle n’a pas même pour lui les attentions ordinaires qu’on voit dans les ménages entre femme et mari (…).
Comme la personne du Roi n’a pas les qualités qui rendent agréable aux yeux des jeunes femmes, elle le néglige souvent et n’arrange pas ses heures sur celles de son mari. Celui-ci s’en accommode assez parce qu’il n’est pas exigeant.

Novembre 1779,
Cette princesse acquiert tous les jours du crédit sur son mari (…) quoiqu’elle paraisse faire le contraire de ce qui devrait le lui assurer. On ne peut pas, en effet , montrer en public moins d’égards pour son mari. On sait d’ailleurs qu’il y a fort peu d’empressement pour la voir comme femme (sans que ce soit pour des maîtresses) et qu’il la voit rarement sur ce pied-là.
Dans le mois dernier, elle devait aller souper à Saint-Huber [rendez-vous de chasse à cinq lieues de Versailles]. Le Roi avait même dit, le matin, avec son ton de gaieté maussade : « ce soir, nous aurons des dames à souper ». En conséquence, les relais avaient été placés sur la route et les gardes du corps avaient été mis en marche pour relever ceux qui accompagneraient la Reine au sortir de Versailles.

Dans la journée, elle apprit que la comtesse Jules de Polignac, sa favorite encore dominante, était arrivée à Paris de son voyage des eaux. Le désir de la voir prévalut sur toute autre considération. On lui représenta vainement que les relais de garde et de chevaux ne pouvaient plus se transporter sur la route de Paris. « J’irai, dit-elle, sans relais et sans gardes ». Personne n’osa lui dire ce que la décense lui dictait par rapport au Roi et ce motif ne l’arrêta nullement. Elle oublia tout pour sa favorite et ne fut pas à Saint-Hubert

Ce petit trait n’a place ici que comme échantillon d’une conduite assez habituelle envers son mari qui ne paraît pas s’en apercevoir et qui n’en a pas moins de déférence pour elle. Les soupçons que le public avait eux sur des goûts supposés pour quelque amant sont maintenant dissipés, on est désabusé à cet égard. La malignité sait toutefois se retourner : on lui attribue des goûts du même genre pour des personnes de son sexe.

Les esprits enclins à tout croire sur ce fait de galanterie trouvent des vraisemblances à ces suppositions, mais les esprits plus judicieux sur de pareilles calomnies trouvent des raisons plausibles pour les rejeter toutes.»

Joseph-Alphone, abbé de Véri, Journal, 1776 et novembre 1779.

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Joseph II sermonne sa sœur Marie-Antoinette

La reine Marie-Antoinette a épousé le roi Louis XVI. Au début de son règne elle se conduit avec légèreté, et sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, charge son frère Joseph II de lui faire la morale.

« De quoi vous mêlez-vous, ma chère sœur, de déplacer des ministres, d’en faire envoyer un autre sur ses terres, de faire donner tel département à celui-ci ou à celui-là, de faire gagner un procès à l’un, de créer une nouvelle charge dispendieuse à votre cour, enfin de parler d’affaires, de vous servir même de termes très peu convenables à votre situation ? Vous êtes-vous demandé une fois par quel droit vous vous mêlez des affaires du gouvernement et de la monarchie française ? Quelles études avez-vous faites ? Quelles connaissances avez-vous acquises pour oser imaginer que votre avis ou opinion dût être bonne à quelque chose, surtout dans des affaires qui exigent des connaissances aussi étendues ? Vous, aimable jeune personne qui ne pensez qu’à la frivolité, qu’à votre toilette, qu’à vos amusements toute la journée ; qui ne lisez ni n’entendez parler raison un quart d’heure par mois ; qui ne réfléchissez ni ne méditez, j’en suis sûr, jamais… »

In PERRAULT Gilles, Le secret du roi, La revanche américaine, t. III, Paris, Librairie Arthème Fayard (Le Livre de Poche), 1996, pp. 155-156.

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Un accouchement à la cour de France

« La reine avançait dans sa grossesse ; on faisait chanter des Te Deum en actions de grâce dans toutes les cathédrales. Enfin le 11 décembre 1778, la reine sentit les premières douleurs. La famille royale, les princes du sang et les grandes charges passèrent la nuit dans les pièces qui tenaient à la chambre de la reine. Madame, fille du roi, vint au monde avant midi le 19 décembre. L’étiquette de laisser entrer indistinctement tout ce qui se présentait au moment de l’accouchement des reines fut observée avec une telle exagération qu’à l’instant où l’accoucheur Vermond dit à haute voix : La reine va accoucher, les flots de curieux qui se précipitèrent dans la chambre furent si nombreux et si tumultueux, que ce mouvement pensa faire périr la reine. Le roi avait eu, dans la nuit, la précaution de faire attacher avec des cordes les immenses paravents de tapisserie qui environnaient le lit de Sa Majesté : sans cette précaution ils auraient à coup sûr été renversés sur elle. Il ne fut plus possible de remuer dans la chambre qui se trouva remplie d’une foule si mélangée qu’on pouvait se croire dans une place publique. Deux savoyards montèrent sur des meubles pour voir plus à l’aise la reine placée en face de la cheminée sur un lit dressé pour le moment de ses couches. Ce bruit, le sexe de l’enfant que la reine avait eu le temps de connaître par un signe convenu, dit-on, avec la princesse de Lamballe, ou une faute de l’accoucheur supprimèrent à l’instant les suites naturelles de l’accouchement. Le sang se porta à la tête, la bouche se tourna, l’accoucheur cria : « De l’air, de l’eau chaude, il faut une saignée au pied ! » Les fenêtres avaient été calfeutrées ; le roi les ouvrit avec une force que sa tendresse pour la reine pouvait seule lui donner, ces fenêtres étant d’une très grande hauteur et collées avec des bandes de papier dans toute leur étendue. Le bassin d’eau chaude n’arrivant pas assez vite, l’accoucheur dit au premier chirurgien de la reine de piquer à sec ; il le fit, le sang jaillit avec force, la reine ouvrit les yeux. On eut peine à retenir la joie qui succéda si rapidement aux plus vives alarmes. On avait emporté à travers la foule la princesse de Lamballe sans connaissance. Les valets de chambre, les huissiers prenaient au collet les curieux indiscrets qui ne s’empressaient pas de sortir pour dégager la chambre. Cette cruelle étiquette fut pour toujours abolie. Les princes de la famille, les princes du sang, le chancelier, les ministres suffisent bien pour attester la légitimité d’un prince héréditaire. La reine revint des portes de la mort : elle ne s’était point senti saigner et demanda après avoir été replacée dans son lit pourquoi elle avait une bande de linge à la jambe.

Le bonheur qui succéda à ce moment d’alarmes fut aussi excessif que sincère. On s’embrassa, on pleurait de joie. Le comte d’Esterhazy et le prince de Poix, à qui j’annonçai la première que la reine venait de parler et qu’elle était rappelée à la vie, m’inondèrent de leurs larmes en m’embrassant au milieu du cabinet des nobles… »

Mémoires de Madame de Campan, première femme de chambre de Marie-Antoinette. Paris, Le Mercure de France, 1988/99, pp. 169-171.

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Portrait de Necker par le comte Alexandre de Tilly (1764-1816)

« J’étais bien jeune, inappliqué, volage, bien peu préparé à discuter les talents d’un contrôleur général et ses devoirs. J’étais à la campagne, chez le marquis de V… enthousiaste forcené de l’Homme d’Etat genevois. J’en partis, presque brouillé avec lui et toute la société, pour m’être endormi le soir, pendant qu’on lisait son Eloge de Colbert, que j’avais lu et il y avait longtemps, et leur avoir dit en me réveillant que c’était écrit en style de réfugié, et pensé en charlatan.

Qu’on juge si mon amour s’augmenta à la lecture de son administration des finances de France, où il se constitue la partie adverse du roi, et a l’insolence de demander des juges entre le monarque et lui !! J’avais lu son caractère dans ses livres, et le connaissais comme si j’eusse vécu avec lui. Quand je vis un étranger, un bourgeois de Genève, un calviniste à la tête des finances d’un royaume, et d’un royaume catholique, où il était consulté sur des matières étrangères même à ses talents présumés, je fus dans le secret de sa pernicieuse influence sur nos destinées. Quelques vertus gênées dans des phrases emphatiques ne me rassurèrent pas ; sa candeur, s’il en avait eu, n’eût pas suppléé l’absence de ces grands éléments dont se compose le talent d’un homme d’Etat, et qu’on ne trouve pas sur les bancs poudreux d’un comptoir. Mais quand on l’eut vu convoquer ces funestes Etats Généraux que j’avais passé ma jeunesse à ouïr blâmer par un des premiers hommes d’Etat que la France ait eus , quand on eut entendu ce discours emphatique et présomptueux, où il exposait tout un plan subversif, tout un système de gouvernement dont il espérait concentrer la puissance dans sa main, alors il fallut s’attendrir et trembler, sous peine d’être un factieux ou un sot. »

Mémoire du comte Alexandre de Tilly pour servir à l’histoire des mœurs de la fin du XVIIIe siècle. Paris, Mercure de France, 1986, pp. 506-507.