Un jeune prodigue : Wolfgang Amadeus Mozart

 

Les Mozart arrivent à Paris le 18 novembre 1763…
Le baron Grimm, homme de lettres bavarois, écrit un article sur la famille et les introduit à la cour.

« Le 1er décembre 1763. Les vrais prodiges sont assez rares pour qu’on n’oublie pas des les signaler lorsqu’on a l’occasion d’en voir un. Un maître de chapelle de Salzbourg, nommé Mozart, vient d’arriver ici avec deux enfants de la plus jolie figure du monde. Sa fille âgée de onze ans, touche le clavecin de la manière la plus brillante ; elle exécute les plus grandes pièces et les plus difficiles avec une précision à étonner. Son frère, qui aura sept ans au mois de janvier prochain, est un phénomène si extraordinaire qu’on a de la peine à croire ce qu’on voit de ses yeux et ce qu’on entend de ses oreilles. C’est peu pour cet enfant d’exécuter avec la plus grande précision les morceaux les plus difficiles avec des mains qui peuvent à peine atteindre la sixte ; ce qui est incroyable, c’est de le voir jouer de tête pendant une heure de suite, et là s’abandonner à l’inspiration de son génie et à une foule d’idées ravissantes qu’il sait encore faire succéder les unes aux autres avec goût et sans confusion. Le maître de chapelle le plus consommé ne saurait être plus profond que lui dans la science de l’harmonie et des modulations, qu’il sait conduire par les routes les moins connues mais toujours exactes. Il a un si grand usage du clavier qu’on le lui dérobe par une serviette qu’on étend dessus, et il joue sur la serviette avec la même vitesse et la même précision. C’est peu pour lui de déchiffrer tout ce qu’on lui présente : il écrit et compose avec une facilité merveilleuse, sans avoir besoin d’approcher du clavecin et de chercher ses accords. Je lui ai écrit de ma main un menuet et l’ai prié de me mettre la basse dessous ; l’enfant a pris la plume, et sans approcher du clavecin, il a mis la basse à mon menuet. Vous jugez bien qu’il ne lui coûte rien de transposer et de jouer l’air qu’on lui présente, dans le temps qu’on exige ; mais voici ce que j’ai encore vu, et qui n’en est pas moins incompréhensible. Une femme lui demande l’autre jour s’il accompagnerait bien d’oreilles, sans la voir, une cavatine italienne qu’elle savait par cœur ; elle se mit à chanter. L’enfant essaya une basse qui n’était pas absolument exacte, parce qu’il est impossible de préparer d’avance l’accompagnement d’un chant qu’on ne connaît pas ; mais l’air fini, il pria la dame de recommencer, et à cette reprise, il joua non seulement de la main droite le chant de l’air, mais il mit, de l’autre, la basse sans embarras. Après quoi, il pria dix fois de suite de recommencer, et à chaque reprise, il changea le caractère de son accompagnement ; il l’aurait fait répéter vingt fois si on ne l’avait fait cesser. Je ne désespère pas que cet enfant ne me fasse tourner la tête, si je l’entends encore souvent ; il me fait concevoir qu’il est difficile de se garantir de la folie en voyant des prodiges. Je ne suis plus étonné que saint Paul ait eu la tête perdue après son étrange vision. Les enfants de M. Mozart ont excité l’admiration de tous ceux qui les ont vus. L’Empereur et l’Impératrice les ont comblés de bonté ; ils ont reçu le même accueil à la Cour de Munich et à la Cour de Manheim. C’est dommage qu’on se connaisse si peu en musique en ce pays-ci. Le père se propose de passer d’ici en Angleterre et de ramener ensuite ses enfants par la partie inférieure de l’Allemagne. »

Frédéric-Melchior Grimm
Cité par Jean et Brigitte Massin, Wolfgang Amadeus Mozart, Paris, 1983, p. 32.


Mozart annonce son mariage à son père

« Je me marie ! Vous êtes effrayé de cette pensée ? Je vous en prie, père chéri, excellent père, écoutez-moi !
J’ai été contraint de vous découvrir mes souhaits, per-mettez-moi également de vous faire part de mes raisons, raisons tout à fait fondées.
La nature parle en moi aussi fort que chez tout autre, et peut-être plus fort que chez bien des rustres grands et forts. Il m’est impossible de vivre comme la plupart des jeunes gens actuels. D’abord, j’ai trop de religion, deuxièmement, j’aime trop mon prochain et suis trop honnête pour duper une jeune fille innocente, et troisièmement, j’ai trop de répugnance et de dégoût, de crainte et d’appréhension des maladies et trop d’attachement à ma santé pour m’amuser avec des putains.
C’est d’ailleurs pourquoi je peux jurer n’avoir encore jamais eu de relations de cette sorte avec aucune femme. Si ça avait été le cas, je ne vous le cacherai pas, car faillir est toujours assez naturel à l’homme, et faillir une seule fois ne serait qu’une faiblesse, encore que je n’oserais promettre d’en rester à cette seule faiblesse si j’avais failli une fois sur ce point.
Mais je peux le jurer sur ma vie et sur ma mort.
Je sais bien que cette raison (si forte soit-elle) ne saurait suffire. Mais étant par mon tempérament plus attiré par la vie calme et familiale que par le bruit je n’ai jamais été habitué – depuis ma tendre jeunesse – à veiller à mes affaires, en ce qui concerne mon linge et mes vêtements, etc… Et je ne peux penser à rien de plus utile pour moi qu’à une femme.
Je vous l’assure, il y a bien des dépenses inutiles qui m’incombent parce que je ne prends garde à rien. Je suis tout à fait persuadé qu’avec une femme (et avec les revenus que j’ai moi seul), je m’en sortirais mieux que maintenant.
Combien de dépenses inutiles ne disparaîtraient elles pas? On en a d’autres à la place, c’est vrai, mais on les connaît, on compte dessus, et, en un mot, on mène une vie ordonnée. À mes yeux, un célibataire ne vit qu’à moitié. Mes yeux sont ainsi, je n’y peux rien. J’ai suffisamment réfléchi, et tout pesé je ne peux penser autrement.
Maintenant, qui est donc l’objet de mon amour ? Ne vous alarmez pas, là non plus, je vous en prie; quand même pas une Weber ? Si, une Weber.
Pas Josepha, pas Sophie mais Constanza, celle du milieu. C’est-à-dire ma bonne et chère Constanze, celle qui a le meilleur cœur, la plus habile, en un mot, la meilleure. Elle s’occupe de tout à la maison.
Oh, mon excellent père ! Je pourrais écrire des pages entières si je voulais vous décrire toutes les scènes qui nous ont été faites à tous deux dans cette maison. Mais avant de vous délivrer de mon bavardage, il faut que je vous familiarise un peu mieux avec le caractère de ma Constanze bien-aimée.
Elle n’est pas laide, mais elle n’est toutefois rien moins que belle. Toute sa beauté réside en deux petits yeux noirs et une belle taille. Elle n’a pas de vivacité d’esprit, mais suffisamment de sain entendement pour remplir ses devoirs d’épouse et de mère. Elle n’est pas portée à la dépense, c’est absolument faux. Elle est en mesure de se faire la plupart des choses dont une femme a besoin; et elle se coiffe elle-même tous les jours. Elle sait tenir un ménage et a le meilleur cœur du monde.
Je l’aime et elle m’aime de tout cœur! Dites-moi si je peux souhaiter une meilleure femme ? »

Lettre de Mozart à son père, Vienne (?), 15 décembre 1781, écrite dans l’espoir de le convaincre de consentir à ce mariage.