« Il n’est pas vrai que les individus possèdent un droit imprescriptible à une liberté absolue dans leur activité économique. Il n’existe aucune convention accordant un privilège éternel à ceux qui possèdent ou à ceux qui acquièrent des biens. Le monde n’est pas ainsi fait, les forces divines qui le mènent ne veillent pas à ce que l’intérêt particulier coïncide toujours avec l’intérêt général. Les forces humaines qui y règnent n’assurent pas davantage que ces intérêts coïncident toujours en pratique et on ne peut déduire avec raison d’aucun des principes d’économie politique que l’intérêt privé, même lorsqu’il est bien compris, assure toujours l’intérêt général. Pas plus qu’il n’est exact de dire que l’intérêt privé soit généralement bien compris; la plupart du temps, les individus qui agissent isolément pour parvenir à leurs propres fins sont trop ignorants ou trop faibles pour y réussir. Et d’après l’expérience, rien ne prouve que les individus rassemblés en un groupement social, soient toujours moins clairvoyants que lorsqu’ils agissent séparément. »

John Maynard Keynes, Essais de persuasion , trad. française, 1931.

« Dans l’économie de marché comme dans la Nature, l’ordre naît du chaos : l’agencement spontané de millions d’informations conduit non au désordre, mais à un ordre supérieur. Le premier, Adam Smith avait su pressentir cela dans La Richesse des nations , il y a deux siècles.
Nul ne peut savoir, précise Hayek, comment planifier la croissance économique, parce que nous n’en connaissons pas véritablement les mécanismes; le marché met en jeu des décisions si nombreuses qu’aucun ordinateur, aussi puissant soit-il, ne pourrait les enregistrer. »

Guy Sorman, Les vrais penseurs de notre temps, Paris, Fayard, 1989, p. 245, entretien avec Friedrich von Hayek, chantre de l’ultralibéralisme.

« Soulever la question, c’est d’abord poser celles de la rationalité des comportements économiques, qu’ils soient individuels ou collectifs. On aurait tort de croire, en effet, que l’économie n’obéit qu’à la logique rigoureuse de l’intérêt. Tort d’imaginer que les agents économiques n’agissent jamais qu’après avoir soigneusement pesé le pour et le contre d’une décision , de sorte que la somme de leurs intérêts individuels puisse se trouver in fine harmonisée par la fameuse main invisible du marché. L’homo conomicus idéal, au comportement mathématique, aux décisions calculées froidement, cet individu rigoureusement logique que citent les théoriciens à l’appui de leurs démonstrations, n’existe pas. Autrement dit, les passions, l’irrationnel, les modes changeantes et les engouements mimétiques gouvernent l’économie bien davantage qu’on ne le croit. Quant aux gouvernements, qui sont démocratiquement désignés, ils ne sauraient s’affranchir des préférences — même déraisonnables — de leurs électeurs. En matière économique comme ailleurs, il ne suffit pas qu’une idée soit bonne en soi, ni même qu’elle ait fait ses preuves. Il faut aussi qu’elle soit politiquement vendable.

Michel Albert, Capitalisme contre Capitalisme , Paris, 1991, p. 218.