Voici quelques extraits du Testament Politique de Richelieu, réédité en 2011 aux Editions Perrin.
« La vénalité des offices
« Les désordres qui ont été établis par des nécessités publiques et qui se sont fortifiés par des raisons d’État ne se peuvent réformer qu’avec le temps ; il en faut ramener doucement les esprits et ne point passer d’une extrémité à l’autre. Un architecte qui, par l’excellence de son art, corrige les défauts d’un ancien bâtiment et qui, sans l’abattre, le réduit à quelque symétrie supportable, mérite bien plus de louange que celui qui le ruine tout à fait pour refaire un nouvel édifice parfait et accompli. » (p. 143)
Les réformes
« Le désordre fait, non sans utilité, partie de l’ordre de l’État. » (p. 141).
« Il est quelquefois de la prudence d’affaiblir les remèdes pour qu’ils fassent plus d’effet, et les ordres les plus conformes à la raison ne sont pas toujours les meilleurs parce qu’ils ne sont pas proportionnés à la portée de ceux qui les doivent pratiquer. » (p. 143)
La raison comme arme de gouvernement
« La lumière naturelle fait connaître à un chacun que, l’homme ayant été fait raisonnable, il ne doit rien faire que par raison, puisqu’autrement il ferait contre sa nature, et, par conséquent, contre celui même qui en est l’auteur. Elles enseignent encore que, plus un homme est grand et élevé, plus il doit faire état de ce privilège et que moins il doit abuser du raisonnement qui constitue son être, parce que l’avantage qu’il a sur les autres hommes contraint à conserver ce qui est de la nature et ce qui est de la fin que celui dont il tire son élévation s’est proposé. De ces deux principes il s’ensuit clairement que l’homme doit souverainement faire régner la raison, ce qui ne requiert pas seulement qu’il ne fasse rien sans elle, mais elle l’oblige, de plus, à faire que tous ceux qui sont sous son autorité la révèrent et la suivent religieusement. » (p. 216)
« L’amour est le plus puissant motif qui oblige à obéir et qu’il est impossible que des sujets n’aiment pas un prince s’ils connaissent que la raison soit le guide de toutes ses actions. L’autorité contraint à l’obéissance, mais la raison y persuade et il est bien plus à propos de conduire les hommes par des moyens qui gagnent si insensiblement leurs volontés que par ceux qui, les plus souvent, ne les font agir qu’autant qu’ils les forcent.
S’il est vrai que la raison doit être le flambeau qui éclaire les princes en leur conduite et en celle de leur État, il est encore vrai que, n’y ayant rien au monde qui compatisse moins avec elle que la passion, qui aveugle tellement qu’elle fait quelquefois prendre l’ombre pour le corps, un prince doit surtout éviter d’agir par un tel principe qui le rendrait d’autant plus odieux qu’il est directement contraire à celui qui distingue l’homme d’avec les animaux. On se repent souvent à loisir de ce que la passion fait faire avec précipitations et on n’a jamais lieu de faire de même des choses à quoi l’on est porté par des considérations raisonnables. » (p. 216-217)
« Le gouvernement du Royaume requiert une vertu mâle et une fermeté inébranlable, contraire à la mollesse qui expose ceux en qui elle se trouve aux entreprises de leurs ennemis. Il faut en toutes choses agir avec vigueur, vu principalement que, quand même le succès de ce qu’on entreprend ne serait pas bon, au moins aura-t-on cet avantage que, n’ayant rien omis de ce qui pouvait le faire réussir, on évitera la honte, lorsqu’on ne peut éviter le mal d’un mauvais événement. » (p. 218)
Fermeté à l’égard des criminels
« En matière de crime d’État, il faut fermer la porte à la pitié, mépriser les plaintes des personnes intéressées et les discours d’une populace ignorante qui blâme quelquefois ce qui lui est le plus utile et souvent tout à fait nécessaire. Les chrétiens doivent perdre la mémoire des offenses qu’ils reçoivent en leur particulier, mais les magistrats sont obligés de n’oublier pas celles qui intéressent le public. Et, en effet, les laisser impunies c’est bien plutôt les commettre de nouveau que les pardonner et les remettre. » (p. 229)
Richelieu et les finances
« Les dépenses absolument nécessaires pour la subsistance de l’État étant assurées, le moins qu’on peut lever sur le peuple est le meilleur. Pour n’être pas contraint à faire de grandes levées, il faut peu dépenser et il n’y a pas de meilleurs moyens pour faire des dépenses modérées que de bannir toutes les profusions et condamner tous les moyens qui sont à cette fin.
La France serait trop riche et le peuple trop abondant si elle ne souffrait pas la dissipation des deniers publics que les autres États dépensent avec règle. » (p. 302)
« L’augmentation du revenu du Roi ne se peut faire que par celle de l’impôt qu’on met sur toutes sortes de denrées, et, partant, il est clair que, si on accroît par ce moyen la recette, on accroît aussi la dépense, puisqu’il faut acheter plus cher ce qu’on avait auparavant à meilleur marché. (…) Il y a plus : l’augmentation des impôts est capable de réduire un grand nombre de sujets du Roi à la fainéantise, étant certain que la plus grande partie du pauvre peuple et des artisans employés aux manufactures aimeront mieux demeurer oisifs et les bras croisés que de consommer toute leur vie en un travail ingrat et inutile, si la grandeur des [impôts] les empêche de recevoir [le salaire] de la sueur de leur corps. » (p. 305-306).
« S’ils se servent de leur puissance pour commettre quelque injustice ou quelque violence qu’ils ne peuvent faire comme personnes privées, ils font par commission un péché de prince ou de magistrat dont leur seule autorité est la source et duquel le Roi des Rois leur demandera, au jour du jugement, un compte très particulier. » (p. 325) »