Première colonne
«
… soit utile à notre intérêt général… Pour moi, quant à cette première objection que, je le prévois, on va surtout me faire, ne vous laissez pas effrayer par l’introduction de cette mesure, comme si elle était entièrement nouvelle, mais considérez plutôt combien de changements ont eu lieu dans cette cité et par combien de formes et de régimes, depuis la fondation même de la ville, notre république a successivement passé.
Autrefois des rois ont gouverné cette ville, et pourtant il ne leur a pas été donné de transmettre le pouvoir à des successeurs de leur maison. Après eux sont venus des gens d’une autre famille, et parfois même des étrangers : ainsi à Romulus a succédé Numa, du pays des Sabins, un voisin sans doute, mais alors un étranger. Ainsi également à Ancus Marcius a succédé Tarquin l’Ancien: comme ce dernier était, dans sa patrie, exclu de la carrière des honneurs, à cause de l’impureté de son sang, car il était né d’un père corinthien, Démarathe, et d’une mère originaire d’une grande famille de Tarquinies, mais pauvre, puisqu’elle fut réduite à subir un tel mari, il émigra à Rome et s’y empara du trône. Et aussi entre ce prince et son fils, ou son petit-fils, car les auteurs varient sur ce point, s’est inséré Servius Tullius, qui était selon nos historiens fils d’une captive nommée Ocrésia, mais, si nous suivons les Etrusques, l’ami le plus fidèle de Caelius Vivenna et le compagnon de toute son aventure : après que, chassé par
l’inconstance de la fortune, il eut quitté l’Etrurie avec tous les restes de l’armée de Caelius, il occupa le mont Caelius et l’appela ainsi du nom de son chef Caelius, et, ayant lui-même changé de nom, car son nom était en étrusque Mastarna, il fut appelé comme je l’ai dit et occupa le trône pour le plus grand bien de la république. Ensuite, le caractère de Tarquin le Superbe étant devenu odieux à notre cité, aussi bien le sien que celui de ses fils, les esprits semblent s’être dégoûtés de la monarchie et l’administration de la république passa à des magistrats annuels, les consuls.
Pourquoi rappellerais-je maintenant la dictature, ce pouvoir plus puissant que le pouvoir consulaire lui-même que nos ancêtres ont inventé pour pouvoir s’en servir dans des guerres particulièrement dures ou dans un mouvement social particulièrement difficile ? ou les tribuns de la plèbe créés pour venir en aide à la plèbe ? pourquoi rappellerais-je le transfert du pouvoir des consuls aux décemvirs, puis son retour aux consuls après l’abolition de la tyrannie des décemvirs ? la division du pouvoir consulaire entre des magistrats plus nombreux appelés tribuns militaires à pouvoir consulaire, qui furent créés au nombre de six et souvent de huit ? Rappellerai-je enfin le partage des honneurs avec la plèbe, non seulement ceux du pouvoir suprême, mais aussi ceux des sacerdoces? À présent, si je racontais toutes les guerres, celles par lesquelles ont commencé nos ancêtres et jusqu’où nous avons
progressé; je craindrais de paraître trop orgueilleux et de chercher à afficher la gloire d’avoir étendu notre empire au-delà de l’Océan. Mais je vais revenir plutôt à mon sujet. La citoyenneté (ou la cité) …»

Deuxième colonne

«… Assurément c’est par un usage nouveau que le dieu Auguste, mon grand-oncle, et mon oncle Tibère César ont voulu que dans tout l’empire la fleur des colonies et des municipes, je veux dire des honnêtes gens et des plus aisés, soit dans cette curie. Quoi donc ? un sénateur italien n’est-il pas préférable à un provincial ? Bientôt, quand je commencerai à vous faire approuver cette partie de ma censure, je vous montrerai concrètement ce que je pense sur ce point ; mais je considère qu’il ne faut pas rejeter même les gens des provinces, du moment qu’ils peuvent faire honneur au sénat.
Voici la très honorable et très puissante colonie des Viennois: comme il y a longtemps déjà qu’elle envoie des sénateurs à cette assemblée !
De cette colonie vient Lucius Vestinus, une des quelques illustrations de l’ordre équestre, pour qui j’ai une affection toute particulière et qu’encore aujourd’hui je retiens au service de mes affaires: que ses fils bénéficient, je vous en prie, du premier degré des sacerdoces, afin que par la suite, avec les années, ils poussent plus haut l’avancement de leur dignité.
Passons sur le nom de ce brigand : il est de mauvais augure et je hais ce prodige de palestre, qui a introduit le consulat dans sa famille avant que sa colonie eût obtenu le bénéfice complet du droit de cité romaine. Autant puis-je en dire de son frère, qui est assurément bien à plaindre et ne méritait absolument pas ce malheur, qui fait de lui un sénateur désormais inutile pour vous.
Il est temps maintenant, Tibère César Germanicus, de dévoiler aux Pères Conscrits quel est le but de ton discours ; car tu es désormais arrivé aux limites extrêmes de la Gaule Narbonnaise.
Voyez ces jeunes gens distingués sur qui je pose mes regards, tous tant qu’ils sont : nous n’avons pas plus à regretter de les avoir comme sénateurs que nous ne regrettons que mon ami Persicus, qui appartient à la plus haute noblesse, lise parmi les portraits de ses ancêtres le nom de vainqueur des Allobroges. Et si vous êtes d’accord avec moi sur ce point, que désirez-vous de plus, sinon que je vous montre du doigt que le sol lui-même au-delà des limites de la province de Narbonnaise vous envoie déjà des sénateurs, puisque nous n’avons pas à regretter d’avoir des membres de notre assemblée qui sont originaires de Lyon. Ce n’est, certes pas sans crainte, Pères Conscrits, que j’ai dépassé les limites provinciales qui vous sont habituelles et familières: mais il faut à présent plaider avec détermination la cause de la Gaule Chevelue. A ce propos, si on rappelle que les Gaulois ont donné du mal au dieu César
en lui faisant la guerre pendant dix ans, il faut pareillement mettre en regard une fidélité invariable
pendant cent ans et une obéissance plus qu’éprouvée dans mille circonstances préoccupantes pour nous.
A mon père Drusus qui soumettait la Germanie, ils ont assuré sur ses arrières la sécurité d’une paix
garantie par leur propre tranquillité, et ce alors même que cette guerre l’avait détourné des opérations du recensement, à cette époque nouvelles et inhabituelles pour les Gaulois. Or la difficulté de ces opérations, bien que l’enquête n’ait d’autre objet que de dresser officiellement l’état de nos ressources, l’expérience ne nous l’apprend que trop, tout particulièrement en ce moment.»

Traduction révisée de la table claudienne par François Bérard (professeur de latin, Lyon III) (d’après Allmer et Dissard, I, p. 78-80, et Ph. Fabia) Rencontres en Gaule romaine , éd In Folio- Département du Rhône, Gollion (Suisse) 2005