Cicéron, avocat, philosophe et homme politique a rédigé, à l’intention de son ami Atticus, un petit traité ,L’art de bien vieillir1, sur l’art de bien supporter la vieillesse, et même mieux, d’en mesurer tous les « avantages ». Il fait parler, à cet effet, « le vieux Caton » qui se charge ainsi de présenter le grand âge comme une chose « aimable et douce ».
Dans sa démonstration, Cicéron va se livrer, entre autres, à un vibrant plaidoyer en faveur de la pratique agricole, à la merveille qu’est la vigne et au bonheur de jouir des fruits domestiqués de la nature.
1 : le texte ci-dessous est issu de L’art de bien vieillir, éditions Librio, pp.45-47. Texte traduit et annoté par M. A. Lorquet.
« Je viens maintenant aux jouissances de l’agriculture, auxquelles je trouve un prix incroyable, que l’on peut goûter jusque dans l’extrême vieillesse, et qui me paraissent s’accorder parfaitement avec la vie du sage. Nous devons ces jouissances à la terre qui, toujours soumise à notre légitime empire, rend avec usure ce qu’on lui confie, tantôt plus retenue, tantôt prodigue de ses dons. Et ce n’est pas seulement à recueillir les fruits de la terre que je trouve mes délices, mais à étudier son travail et les merveilles qu’elle produit. D’abord elle reçoit dans son sein amolli, et ouvert par le soc, les grains que la main du laboureur y répand; la herse passe sur les sillons et recouvre les semences, qui, bientôt réchauffées et tiédies par la douce moiteur du sol, se fendent et poussent au dehors une jeune tige verdoyante ; peu à peu les racines se développent, l’herbe grandit, un tuyau noueux s’élève, et la plante, dont la formation s’achève mystérieusement, demeure enveloppée dans sa gaine flexible ; enfin elle en sort, s’élance, et présente à la lumière ses fruits artistement disposés en épi, et que leurs barbes protègent contre les attaques des petits oiseaux. La culture de la vigne, sa naissance, ses progrès, n’offrent pas moins de merveilles. Je ne puis me lasser de les contempler ; et il faut bien que je vous initie à toutes les jouissances et aux délicieux loisirs de ma vieillesse. Je ne dirai rien de la force productive de la terre, qui d’une si petite graine de figuier, d’un pépin de raisin, ou de la semence à peine visible de tant d’autres arbustes, fait sortir des troncs si puissants et des rameaux si étendus. Mais les marcottes, les plants, les sarments, les racines vivaces, les boutures ne méritent-ils pas d’être étudiés, suivis avec le plus grand intérêt, et, pour tout dire, admirés ? Vous voyez la vigne, si faible de sa nature et qui rampe à terre quand elle ne trouve point d’appui, saisir par ses vrilles, comme par des mains tenaces, tout ce qu’elle rencontre, et s’y attacher pour s’élever ; elle court, se replie, et émonde prudemment, pour qu’elle ne se perde pas en une forêt stérile. Au retour du printemps, on voit, sur les sarments que la faucille n’a point retranchés, poindre à l’articulation des rameaux le bourgeon qui bientôt devient la grappe. Celle-ci, nourrie par les sucs de la terre, fécondée par la chaleur du soleil, est d’abord âpre au goût ; mais elle s’adoucit en mûrissant, et, sous le pampre qui la recouvre, elle conserve une tiède chaleur et se défend contre les ardeurs de l’été. Est-il rien de plus divin que le fruit de la vigne, rien de plus beau que ces grappes dorées ? Et ce n’est pas seulement sa liqueur qui me plaît ; mais j’aime, comme je vous l’ai dit, à la cultiver, à la suivre dans son travail ; j’aime à disposer les longues files de supports, à lier les sarments, à recueillir et à propager les boutures, à émonder les ceps trop chargés, à retrancher ou replanter les rameaux. Que dirai-je encore des irrigations habilement pratiquées, des seconds labours qui remuent si profondément les terres et les rendent plus fertiles . Parlerai-je de l’utilité des engrais ? (…) Et ce ne sont pas seulement les moissons, les prés, les vignes, les arbustes qui font l’agrément des campagnes, il faut y joindre les jardins, les vergers, les troupeaux, les abeilles, et l’infinie variété des fleurs. Nous n’avons pas d’ailleurs le seul agrément des plantations, mais encore la ressource des greffes, ce chef-d’œuvre de l’agriculture ».
Cicéron, L’art de bien vieillir, éditions Librio, pp.45-47.