La période du Front populaire est marquée par une activité politique intense dans l’espace public, le plus souvent en lien avec le développement des ligues. Cette activité s’effectue à proximité des établissements scolaires qui deviennent vite une cible recherchée. Tandis que les ligues d’extrême droite sont interdites le 10 janvier 1936 (la loi devient effective en juin, Jean Zay prend l’initiative de rédiger une circulaire ministérielle consacrée à « l’interdiction du port d’insignes politiques ». Datée du 1er juillet 1936, elle est vite dépassée dès la rentrée par la multiplication des actions de propagande prenant pour cible la jeunesse en général et, de fait, les lycées et les collèges. C’est dans ce contexte tendu que Jean Zay qui veut faire de l’école «  »un asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètre pas » rédige une seconde circulaire diffusée le 31 décembre 1936. Une troisième le 15 mai 1937 s’étendant aux signes religieux vient compléter les deux premières.

Ces circulaires sont confirmées par le Conseil d’État le 21 octobre 1938 (arrêt Lote).


Première circulaire du 1er juillet 1936

Circulaire du 1er juillet 1936

 Je vous prie d’inviter les chefs d’établissements secondaires à veiller à ce que soient respectées les instructions interdisant tout port d’insignes.

Il est évident qu’il ne s’agit d’atteindre ne aucune façon le respect dû aux couleurs nationales et qu’au contraire il convient de les soustraire, comme les élèves, aux luttes partisanes.

Vous voudrez bien considérer comme un signe politique tout objet dont le port constitue une manifestation susceptible de provoquer une manifestation en sens contraire.

L’ordre et la paix doivent être maintenus à l’intérieur des établissements scolaires, mais en même temps, vous veillerez à ce que les chefs d’établissements évitent les incidents et les éclats et que l’on procède, dans toute la mesure possible, par la persuasion plutôt que par la contrainte. »

 


Deuxième circulaire du 31 décembre 1936

Circulaire du Ministre de l’Éducation nationale du 31 décembre 1936

Monsieur le Recteur,

Mes prédécesseurs et moi-même avons appelé déjà à plusieurs reprises votre attention sur les mesures à prendre en vue d’éviter et de réprimer toute agitation de source et de buts politiques dans les lycées et collèges.

Un certain nombre d’incidents récents m’obligent à revenir encore sur ce sujet d’importance capitale pour la tenue des établissements d’enseignement du second degré et d’insister d’autant plus que les modes coutumiers d’infraction font place à des manœuvres d’un genre nouveau.

Ici, le tract politique se mêle aux fournitures scolaires. L’intérieur d’un buvard d’apparence inoffensive étale le programme d’un parti. Ailleurs, des recruteurs politiques en viennent à convoquer dans une “permanence” un grand nombre d’enfants de toute origine scolaire pour leur remettre des papillons et des tracts à l’insu, bien entendu, de leurs parents et les envoyer ensuite les répandre parmi leurs condisciples.

Certes, les vrais coupables ne sont pas les enfants ou les jeunes gens, souvent encore peu conscients des risques encourus et dont l’inexpérience et la faculté d’enthousiasme sont exploitées par un esprit de parti sans mesure et sans scrupule. Il importe de protéger nos élèves contre cette audacieuse exploitation. À cet effet, toute l’action désirable devra être aussitôt entreprise auprès des autorités de police par MM. les Chefs d’établissements, les Inspecteurs d’Académie et vous-mêmes.

On devra poursuivre énergiquement la répression de toute tentative politique s’adressant aux élèves ou les employant comme instruments, qu’il s’agisse d’enrôlements directs ou de sollicitations aux abords des locaux scolaires. Je vous rappelle que les lois et règlements généraux de police permettent sans conteste aux autorités locales d’interdire les distributions de tracts dans leur voisinage lorsqu’elles sont de nature à troubler l’ordre, tout spécialement quand le colportage est l’œuvre de mineurs non autorisés. Une circulaire de M. le Ministre de l’Intérieur, en date du 20 mai 1936, a précisé en cette matière les pouvoirs de l’autorité administrative. Il conviendra, le cas échéant, d’appeler sur ce texte, l’attention de MM. les Préfets.

Éventuellement aussi, on indiquera aux parents qu’un recours leur est ouvert contre les personnes se trouvant, par leur intervention, à la source des sanctions prises contre leurs enfants.

Quant aux élèves, il faut qu’un avertissement collectif et solennel leur soit encore donné, et que ceux d’entre eux qui, malgré cet avertissement, troubleraient l’ordre des établissements d’instruction publique en se faisant, à un titre quelconque, les auxiliaires de propagandistes politiques, soient l’objet de sanctions sans indulgence. L’intérêt supérieur de la paix à l’intérieur de nos établissements d’enseignement passera avant toute autre considération. Toute infraction caractérisée et sans excuse sera punie de l’exclusion immédiate de tous les établissements du lieu où elle aura été commise. Dans les cas les plus graves, cette exclusion pourra s’étendre à tous les établissements d’enseignement public.

Tout a été fait dans ces dernières années pour mettre à la portée de ceux qui s’en montrent dignes les moyens de s’élever intellectuellement. Il convient qu’une expérience d’un si puissant intérêt social se développe dans la sérénité. Ceux qui voudraient la troubler n’ont pas leur place dans les écoles qui doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas.

Jean Zay


Troisième circulaire du 15 mai 1937

Circulaire du Ministre de l’Éducation nationale du 15 mai 1937

Monsieur le Recteur,

Ma circulaire du 31 décembre 1936 a attiré l’attention de l’Administration et des Chefs d’établissements sur la nécessité de maintenir l’enseignement public de tous les degrés à l’abri des propagandes politiques. Il va de soi que les mêmes prescriptions s’appliquent aux propagandes confessionnelles. L’enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. Je vous demande d’y veiller avec une fermeté sans défaillance.

 

 

Pour aller plus loin :

  • LOUBES Olivier. « L’interdiction des propagandes politique et confessionnelle dans les établissements scolaires Deux circulaires de Jean Zay en 1936 et 1937″. Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2004/1 n° 81, p.131-136. Disponible ICI