Luther, Martin (1483-1546)

  Réformateur religieux allemand, Luther  a d’abord été reçu en tant que maître en philosophie de l’Université d’Erfurt, puis il entra chez les augustins en 1505. Il devint professeur à l’université de Wittenberg. En 1517, il afficha sur les portes du château de Wittenberg ses « 95 thèses » où il dénonçait la vente des indulgences et qui marquèrent le véritable début de la Réforme luthérienne.

Jamais il ne se rétracta. Bien au contraire, il publia en 1520 trois manifestes dans lesquels il affirmait l’autorité de la seule Ecriture sainte. Il fut donc excommunié et mis au ban de l’Empire par la diète de Worms en 1521. Protégé par Frédéric de Saxe, il entreprit la traduction en allemand de la Bible. Il se maria en 1525 avec Katharina von Bora. Dès cette époque, l’Eglise luthérienne commenàça à s’organiser et Luther s’occupa de régler le culte et la liturgie. Grand réformateur, Luther fut également l’un des premiers grands écrivains en langue allemande.

Son disciple, Philippe Melanchton, rédigea la Confession d’Augsbourg sur la base des premiers textes de Luther sur la foi. Le texte fut présenté le 25 juin 1530 à Charles Quint à la diète d’Augsbourg que l’empereur avait décidé de réunir afin de mettre un terme aux dissensions religieuses créées par la Réforme. Le texte fut rejeté par les théologiens catholiques allemands.


Luther, avant la révolte…

– Souvenir de l’Université d’Erfurt

« Jusqu’à ma vingtième année je n’avais jamais vu de Bible. Je ne croyais pas qu’il y eût d’autres évangiles et d’autres épîtres [= lettres des Apôtres] que ce que j’en avais lu dans les lectionnaires [= recueil de résumés ou morceaux choisis]. Enfin je trouvai une Bible complète à la bibliothèque d’Erfurt; je la parcourus avec ardeur et avec le plus grand étonnement. « 

– Souvenir du couvent.

« Quand j’étais à Erfurt, la vie monacale me paraissait l’expression la plus élevée de la piété chrétienne. Dans l’église des Augustins, je vis un tableau qui me frappa vivement. La sainte Église y était représentée sous la figure d’un vaisseau dans l’intérieur duquel il n’y avait nul profane, ni rois ni princes; on n’y voyait que le pape, les cardinaux et les évêques avec le Saint-Esprit; des deux côtés étaient rangés en ligne les prêtres et les moines, maniant les rames, naviguant ainsi vers le ciel. Quant aux laïcs, ils nageaient autour du vaisseau, s’y accrochant pour ne pas se noyer; quelques-uns se tenaient par le moyen de cordes que les révérends pères leur jetaient par grâce et par communication de leurs œuvres, les préservant ainsi d’une mort certaine, pour les traîner après eux dans le ciel. Il n’y avait dans l’eau ni pape ni cardinal, ni évêque, ni prêtre, ni moine; rien que des laïcs. »

(dans Luther d’après Luther, fragments extraits de ses œuvres par G. A. Hoff, Lausanne, 1887, p. 201-202).


Luther et la crise de confiance en l’autorité catholique

« Avant la lumière de l’Évangile, j’ai été attaché avec zèle aux lois papistiques et aux traditions des Pères autant que n’importe qui et je les ai défendues avec grand sérieux comme saintes et nécessaires au salut. Avec tout le soin dont j’étais capable, je me suis efforcé de les observer par le jeûne, les veilles, les oraisons et autres exercices, en macérant mon corps plus que tout ceux qui aujourd’hui me haïssent si violemment et me persécutent, parce que je leur enlève la gloire de se justifier. »

Luther, Commentaire sur l’Épître aux Galates, 1531, dans Stauffer, La Réforme, PUF, collection « Que sais-je ? », 1970, p. 11-12.


La crise spirituelle de Luther

« Cette année [en 1513], j’avais entrepris pour la seconde fois l’interprétation des psaumes, et je pensais y être mieux préparé, après avoir traité entre temps les Epîtres aux Romains, aux Galates et aux Hébreux dans mes cours. J’avais brûlé du désir de bien comprendre un terme employé dans l’Épître aux Romains au premier chapitre, là où il est dit :  » La justice de Dieu est révélée dans l’Évangile « * ; car, jusqu’alors, j’y songeais en frémissant. Ce terme de « justice de Dieu », je le haïssais, car l’usage courant et l’emploi qu’en font habituellement tous les docteurs m’avaient enseigné à le comprendre au sens philosophique. J’entendais par là la justice « formelle » ou « active », une qualité divine qui pousse Dieu à punir les pécheurs et les coupables. Malgré ma vie irréprochable de moine, je me sentais pécheur aux yeux de Dieu ; ma conscience était extrêmement inquiète et je n’avais aucune certitude que Dieu fût apaisé par mes satisfactions. Aussi je n’aimais pas ce Dieu juste et vengeur. Je le haïssais et, si je ne blasphémais pas en secret, certainement je m’indignais et murmurais violemment contre lui, disant : N’est-il pas suffisant qu’il nous condamne à la mort éternelle à cause du péché de nos pères et qu’il nous fasse subir toute la sévérité de sa loi ? Faut-il qu’il augmente encore nos tourments par l’Évangile et que, même là, il nous fasse annoncer sa justice et sa colère ?…

Enfin, Dieu me prit en pitié. Pendant que je méditais jour et nuit et que j’examinais l’enchaînement de ces mots : « La justice de Dieu est révélée dans l’Évangile » comme il est écrit : « le juste vivra par la foi », je commençais à comprendre que « la justice de Dieu » signifie la justice que Dieu donne et par laquelle le juste vit, s’il a la foi… Aussitôt, je me sentis renaître, et il me sembla être entré par des portes largement ouvertes au paradis même. Dès lors, l’Écriture tout entière prit à mes yeux uns aspect nouveau. Je parcourus les textes comme ma mémoire me les présentait et notai d’autres termes qu’il fallait expliquer de façon analogue… la puissance de Dieu par laquelle il nous donne la force, la sagesse, par laquelle il nous rend sages, le salut, la gloire de Dieu. « 

Luther, Autobiographie, I, 15.

*

« Car je n’ai point honte de l’Évangile : c’est une puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif premièrement, puis du Grec, parce qu’en lui est révélée la justice de Dieu par la foi et pour la foi, selon qu’il est écrit : Le juste vivra par la foi. » (Ep. aux Romains, 1, 16-17.)
« …afin de gagner Christ et d’être trouvé en lui, non avec ma justice, celle qui vient de la loi, mais avec celle qui s’obtient par la foi en Christ, la justice qui vient de Dieu par la foi. » (Ep. aux Philippiens, 3, 9.)

Idem plus court

Luther et la Grâce divine

« Pendant que je méditais, jour et nuit, et que j’examinai l’enchaînement de ces mots : « La justice de Dieu est révélée dans l’Évangile », comme il est écrit : « Le juste vivra par la foi », je commençai à comprendre que la justice de Dieu signifie ici la justice que Dieu donne et par laquelle le juste vit s’il a la foi. Le sens de la phrase est donc celui-ci : L’Évangile nous révèle la justice de Dieu, mais la justice passive, par laquelle Dieu, dans sa miséricorde, nous justifie au moyen de la foi… Aussitôt, je me sentis renaître, et il me sembla être entré par des portes largement ouvertes au Paradis même. »

Luther, Œuvres latines, préface, 1545, dans Stauffer, La Réforme, PUF, collection « Que sais-je ? », 1970, p. 13.


La révolte

Dans la religion catholique, les peines liées aux péchés peuvent être effacées par des indulgences, dispenses accordées par l’Église aux pénitents ayant effectué des actes pieux. À partir de 1515, le pape les vend pour achever la basilique Saint-Pierre de Rome.

– Lettre de Luther à Albert, archevêque de Mayence, le 31 octobre 1517, quand Luther affiche ses 95 thèses.

« Père vénérable en Dieu, prince très illustre, veuille votre grâce jeter un œil favorable sur moi qui ne suis que terre et cendre, et recevoir favorablement ma demande avec la douceur épiscopale. On porte par tout le pays, au nom de votre grâce et seigneurie, l’indulgence papale pour la construction de la cathédrale de Saint-Pierre de Rome. Je ne blâme pas tant les grandes clameurs des prédicateurs de l’indulgence, lesquels je n’ai point entendus, que le faux sens adopté par le pauvre, simple et grossier peuple, qui publie [= dit] partout hautement les imaginations qu’il a conçues à ce sujet.
Cela me fait mal et me rend malade.
Ils croient que les âmes seront tirées du purgatoire dès qu’ils auront mis l’argent dans les coffres. Ils croient que l’indulgence est assez puissante pour sauver le plus grand pêcheur […]. »

(Luther d’après Luther, fragments extraits de ses œuvres par G. A. Hoff, Lausanne, 1887, p. 34-35).

– Quelques thèses affichées le 31 octobre 1517 à la porte de l’église du château électoral de Wittenberg.

« 6. Le pape ne peut pardonner les péchés qu’au nom de Dieu.
27. C’est une invention humaine de prêcher que, sitôt que l’argent résonne dans la caisse, l’âme s’envole du purgatoire.
28. Assurément, sitôt que l’argent résonne dans la caisse, le gain et la cupidité augmentent. Mais le salut que peut accorder l’Église consiste dans la grâce de Dieu.
32. Tous ceux qui pensent gagner le ciel moyennant les lettres de pardon délivrées par les hommes s’en iront en enfer avec ceux qui les endoctrinent ainsi.
43. On doit enseigner aux chrétiens que celui qui fait du bien aux pauvres est à préférer à celui qui achète des indulgences.
62. Le vrai trésor de L’Église, c’est le saint Évangile de la gloire et de la grâce de Dieu.
83. Pourquoi le pape, dans sa très sainte charité, ne vide-t-il pas le purgatoire, où tant d’âmes sont en peine ? Ce serait là exercer plus dignement son pouvoir que de délivrer les âmes à prix d’argent. »

(Luther d’après Luther, fragments extraits de ses œuvres par G. A. Hoff, Lausanne, 1887, p. 67-69).

Autres extraits des 95 thèses

« À tout chrétien vraiment repentant, la rémission plénière de la pénitence et même du péché est due sans lettres d’indulgence. Il faut enseigner aux chrétiens que celui qui voit un nécessiteux et qui, sans avoir souci de lui, donne pour la rémission de ses propres fautes, celui-là s’attire non les indulgences du pape, mais l’indignation de Dieu.

C’est pourquoi les prédicateurs de l’indulgence sont dans l’erreur quand ils disent que les indulgences du pape délivrent l’homme de toutes les peines et le sauvent.

Pourquoi le pape, dont le sac est aujourd’hui plus gros que celui des plus riches, n’édifie-t-il pas au moins cette basilique de Saint-Pierre avec ses propres deniers, plutôt qu’avec l’argent des pauvres fidèles ?

Tout vrai chrétien, vivant ou défunt, participe à tous les biens du Christ et de l’Église, par la grâce de Dieu, et sans lettres d’indulgence.

Les indulgences, dont les prédicateurs prônent à grands cris les mérites, n’en ont qu’un, celui de rapporter de l’argent […].

Le véritable trésor de l’Église, c’est le sacro-saint Évangile de la gloire et la grâce de Dieu. »

Extraits de Martin Luther, 95 thèses, 1517.


Le sacerdoce universel

« On a inventé que le Pape, les Évêques, les Prêtres, les gens des Monastères seraient appelés état ecclésiastique, les Princes, les Seigneurs, les artisans et les paysans l’état laïc, ce qui est certes une fine subtilité et une belle hypocrisie. Mais personne ne doit se laisser intimider par cette distinction, pour cette bonne raison que tous les Chrétiens appartiennent vraiment à l’état ecclésiastique, il n’existe entre eux aucune différence, si ce n’est celle de la fonction, comme le montre Paul en disant (I Cor. 12 [12 ss.]) que nous sommes tous un seul corps, mais que chaque membre a sa fonction propre, par laquelle il sert les autres, ce qui provient de ce que nous avons un même baptême, un même Évangile et une même foi et sommes de la même manière Chrétiens, car ce sont le baptême, l’Évangile et la foi qui seuls forment l’état ecclésiastique et le peuple chrétien […]

Et, pour dire la chose plus clairement encore : si une petite troupe de pieux laïcs chrétiens était faite prisonnière et déportée dans un lieu désert, s’ils n’avaient pas auprès d’eux un prêtre consacré par un évêque et s’ils se trouvaient à ce moment d’accord à ce sujet, ils choisiraient l’un d’entre eux, qu’il soit ou non marié, et lui confieraient la charge de baptiser, de célébrer la messe, d’absoudre et de prêcher, comme si tous les Evêques et les Papes l’avaient consacré. »

In Martin Luther, A la noblesse chrétienne de la nation allemande : sur l’amendement de l’état chrétien, 1520, dans Luther, Les grands écrits réformateurs, trad. Maurice Gravier, Paris, Flammarion, 992, p. 107-109.

« Tous les chrétiens appartiennent vraiment à l’état ecclésiastique […]. Si le pape agit contre l’Écriture, nous avons le devoir de porter assistance à l’Écriture, de le réprimander et de l’obliger à obéir. »

In Luther, A la noblesse chrétienne de la nation allemande, 1520.

Autres citations (plus complètes) du même passage.


La contestation de l’Église romaine par Luther (1520)

« Avec une grande adresse, les Romanistes se sont entourés de trois murailles grâce à quoi ils se sont jusqu’ici protégés et ils ont empêché que quiconque puisse les réformer, si bien que la Chrétienté tout entière a, de ce fait, atteint un état d’effroyable décadence […]

On a inventé que le Pape, les Évêques, les gens des monastères seraient appelés état ecclésiastique, les Princes, les Seigneurs, les artisans et les paysans l’état laïque, ce qui est certes une fine subtilité et une belle hypocrisie. Mais personne ne doit se laisser intimider par cette distinction, pour cette bonne raison que tous les Chrétiens appartiennent vraiment à l’état ecclésiastique, il n’existe entre eux aucune différence, si ce n’est celle de la fonction, comme le montre Paul en disant (I Cor. 12), que nous sommes tous un seul corps, mais que chaque membre a sa fonction propre, par laquelle il sert les autres, ce qui provient de ce que nous avons un même baptême, un même Évangile et une même foi et sommes de la même manière Chrétiens, car ce sont le baptême, l’Évangile et la foi qui seuls forment l’état ecclésiastique et le peuple chrétien. Ce que fait le Pape ou l’Évêque, l’onction, la tonsure, l’ordination, la consécration, le costume, différent de la tenue laïque, peuvent transformer un homme en cagot, ou en idole barbouillée d’huile, mais ils ne font pas le moins du monde un membre du sacerdoce ou un chrétien […]

Ils prétendent être seuls maîtres de l’Écriture, encore que, leur vie durant, ils ne l’étudient jamais, ils s’arrogent l’autorité exclusive et nous font accroire par des paroles impudentes que le Pape ne peut se tromper dans le domaine de la foi, qu’il soit méchant ou bon, mais ils ne peuvent pas apporter à ceci le moindre commencement de preuve. De là vient que le droit canon renferme tant de lois hérétiques et antichrétiennes, voire antinaturelles, il n’est pas besoin d’en faire mention, car du moment qu’ils croient que le Saint-Esprit ne les abandonnera pas, aussi ignorants et mauvais qu’ils puissent être, ils s’enhardissent au point de transformer en articles de loi leurs moindres caprices. Et dans ces conditions, en quoi la Sainte Écriture serait-elle nécessaire et même utile ? Brûlons-là et contentons-nous des seigneurs ignares de Rome qui possèdent l’Esprit Saint, alors que seuls les cœurs purs peuvent le posséder […]

Si le Pape agit contre l’Écriture, nous avons le devoir de porter assistance à l’Écriture, de le réprimander et de l’obliger à obéir […]. C’est pourquoi, quand la nécessité l’impose et que le Pape est une source de scandale pour la Chrétienté, le premier qui se trouve capable de le faire doit, en tant que membre fidèle de tout le corps, travailler à la réunion d’un véritable concile libre, et nul ne le peut aussi bien que ceux qui ont en main le glaive temporel, surtout du moment qu’ils sont, comme les autres, Chrétiens, prêtres, gens d’Église, qu’ils participent avec eux à tout le pouvoir et que leur fonction et leur activité qu’ils tiennent de Dieu doit s’exercer librement sur quiconque, quand il est nécessaire et utile qu’elle s’exerce […] ».

Martin Luther, A la noblesse chrétienne de nation allemande » (1520), dans Écrits réformateurs, Paris, Garnier-Flammarion, 1992, p. 106 – 117.


Les raisons du sacerdoce universel : Luther rejette le clergé catholique et sa hiérarchie

« Nous avons tous le même baptême, le même Évangile, la même foi, et nous sommes tous égaux comme chrétiens […]. Il devrait en être du curé comme du bailli ; que pendant ses fonctions il soit au-dessus des autres ; déposé, qu’il redevienne ce qu’il a été, simple bourgeois. Les caractères indélébiles ne sont qu’une chimère […]. Le pouvoir séculier étant institué de Dieu afin de punir les méchants et de protéger les bons, son ministère devrait s’étendre sur toute la chrétienté, sans considération de personne, pape, évêque, moine, religieux ou autre, n’importe […]. Un prêtre a-t-il été tué : tout le pays est frappé d’interdit. Pourquoi n’en est-il pas de même après le meurtre d’un paysan ? D’où vient une telle différence entre des chrétiens que Jésus-Christ appelle égaux ? Uniquement des lois et des inventions humaines.

Nous sommes tous prêtres. L’Apôtre ne dit-il pas : « Un homme spirituel juge toutes choses et n’est jugé par personne » ? Nous avons tous un même esprit dans la foi, dit encore l’Évangile, pourquoi ne sentirions-nous pas, aussi bien que les papes qui sont souvent des mécréants, ce qui est conforme ou contraire à la foi ?

Tous les chrétiens appartiennent vraiment à l’état ecclésiastique. Il n’existe entre eux aucune différence. Ce sont le baptême, l’Évangile et la Foi qui seuls forment l’état ecclésiastique. »

Luther, A la noblesse chrétienne de la nation allemande, 1520.


Recommandations de Luther à la noblesse chrétienne de la nation allemande

« Voici donc mon conseil : puisque ces bouffonneries ne sont pas abolies, il faut que tous les bons Chrétiens ouvrent leurs yeux, qu’ils ne se laissent pas induire en erreur par les bulles, les cachets et leur fausse dévotion, qu’ils restent chez eux dans leur église et se contentent parfaitement de leur baptême, de l’Évangile, de la foi, du Christ et de Dieu qui sont les mêmes en tous lieux, sans se soucier du Pape, aveugle chef des aveugles […].

Tenez ceci pour une règle sûre : ce qu’il vous faut acheter au Pape n’est pas bon et ne vient pas de Dieu, car non seulement ce qui vient de Dieu est donné gratuitement, mais tout le monde est puni et damné de n’avoir pas voulu l’accepter gratuitement, comme on doit faire pour l’Évangile et les œuvres divines. »

Luther, A la noblesse chrétienne de la nation allemande, 1520.


La prédication de Luther et son succès en Allemagne (1520)

« S’ensuit l’an 1520, année durant laquelle la paix étant maintenue en Italie pour les mêmes raisons qui avaient fait qu’elle s’y était maintenue l’année précédente, certaines doctrines nouvelles commencèrent à se répandre, dirigées d’abord contre l’autorité de l’Église romaine, puis contre l’autorité de la religion chrétienne. Ce poison pestifère trouva son origine en Allemagne, dans la province de Saxe, avec les prédications de Martin Luther, frère profès de l’ordre de saint Augustin ; celui-ci reprit à son compte, à ses débuts, les anciennes erreurs des Bohémiens qui, après que le concile universel célébré à Constance les eut condamnés et eut fait brûler les deux principaux chefs de cette hérésie – Jean Hus et Jérôme de Prague – étaient restés longtemps confinées à l’intérieur de la Bohême. Mais ce fut l’autorité du Siège apostolique, dont Léon (1) usa avec trop de licence, qui donna l’occasion de les faire renaître nouvellement en Germanie : suivant les conseils de Lorenzo Pucci (2), cardinal des Quatre-Saints, à propos des grâces que Rome concède pour les affaires spirituelles et les bénéfices, le pape, sans distinction de temps et de lieux, avait distribué dans le monde entier de très amples indulgences qui pouvaient non seulement être utiles à ceux qui sont encore en vie, mais offraient la possibilité de libérer des peines du purgatoire les âmes des défunts. Tout cela n’avait en soi ni la moindre vraisemblance ni la moindre autorité, car il était notoire qu’on ne les accordait que pour extorquer de l’argent aux hommes qui abondent davantage en simplicité qu’en prudence. En outre, comme les commissaires dépêchés pour percevoir cet argent – dont la plupart achetaient à la curie le droit de le faire – exerçaient leur charge avec impudence, ils avaient, en bien des lieux, provoqué indignation et scandale, surtout en Germanie où l’on voyait nombre de ces envoyés vendre à vil prix ou jouer dans les tavernes la possibilité de libérer du purgatoire les âmes des morts.

[L’indignation] s’accrut parce que le pape, dont le naturel désinvolte lui faisait, en bien des affaires, remplir sans grande majesté ses devoirs pontificaux, donna les gains et les revenus des indulgences de bonne part de la Germanie à sa sœur Maddalena (3) ; celle-ci avait fait envoyer comme commissaire l’évêque Arcimboldi (4), ministre fort digne d’une telle commission et qui l’exécutait en extorquant les fonds avec une grande avidité, et toute la Germanie savait bien que l’argent qu’on tirait des indulgences n’allait ni au pape ni au trésor apostolique (qui auraient peut-être pu faire bon usage d’au moins une partie de ces sommes) mais était destiné à assouvir l’avidité d’une femme : tout cela avait rendu détestable non seulement la perception de l’argent et les gens envoyés à cet effet, mais le nom même et l’autorité de celui qui accordait les indulgences aussi inconsidérément. Luther saisit cette occasion pour montrer son mépris envers la concession de ces indulgences et pour critiquer à ce propos l’autorité du pape et, le nombre de ceux qui venaient l’écouter grandissant sans cesse, car en la matière les peuples lui prêtaient une oreille favorable, il commença chaque jour un peu plus à nier ouvertement l’autorité du souverain pontife.

Après ces débuts, peut-être honnêtes ou du moins excusables par la juste occasion qui lui avait été donnée, poussé par son ambition, son prestige auprès du peuple et la faveur du duc de Saxe, non seulement il s’éleva sans aucune mesure contre le pouvoir des papes et l’autorité de l’Église romaine, mais, retombant ainsi dans les erreurs des Bohémiens, il commença peu à peu à ôter les images des églises, à dépouiller de leurs biens les domaines ecclésiastiques, à permettre aux moines et aux moniales ayant prononcé leurs vœux de se marier, en étayant cette opinion non seulement par l’autorité et les arguments, mais aussi par son propre exemple (5) ; il niait aussi que le pouvoir du pape s’étendît hors de l’évêché de Rome et affirmait que tout évêque avait dans son diocèse la même autorité que le pape dans celui de Rome ; il méprisait toutes les décisions des conciles, tous les écrits de ceux que l’on nomme les docteurs de l’Église, tous les canons et les décrets des papes, et s’en tenait à l’Ancien Testament, au livre des Évangiles, aux Actes des Apôtres, à tout ce que l’on comprend sous le nom de Nouveau testament et aux Epîtres de saint Paul, mais en donnant à ces écrits un sens nouveau et dangereux grâce à des interprétations inouïes. Et la folie de cet homme et de ses partisans ne s’arrêta pas là, mais suivi – peut-on dire – par presque toute la Germanie et tombant chaque jour dans des erreurs plus détestables et plus pernicieuses, il alla jusqu’à s’attaquer aux sacrements de l’Église, à mépriser jeûnes, pénitences et confessions ; certains de ses sectateurs, qui s’étaient déjà détachés quelque peu de son autorité, poussèrent même jusqu’à inventer des choses pestifères et diaboliques à propos de l’eucharistie (6). Ces choses, qui étaient fondées sur le refus de l’autorité des conciles et des saints docteurs, ont ouvert la voie à toute sorte d’inventions et interprétations nouvelles et perverses. Cette doctrine se répandit en bien des lieux, même hors de Germanie, parce qu’elle libérait les hommes de nombreuses règles, établies pour le salut de tous par les conciles universels de l’Église, les décrets des papes, l’autorité des canons et les saines interprétations des saints docteurs, et permettait donc à tous une forme de vie presque libre, qui faisait de chacun son propre arbitre. »

Francesco Guicciardini, Histoire d’Italie (1492-1534), livre XIII, chapitre XV [1520], Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1996 t. II, p. 149-153.

1) Léon X, né Giovanni de Médicis à Florence en 1475, second fils de Laurent le Magnifique, avait été élu pape le 9 mars 1513. Il mourut le 1er décembre 1521.
2) Lorenzo Pucci, professeur de droit, et conseiller de Laurent le Magnifique, fut nommé cardinal par Léon X en 1513. Il occupait à la curie la fonction de dataire ; la daterie apostolique est le service qui accorde les dispenses, sources de grands revenus pour le trésor pontifical.
3) Maddalena, fille de Laurent le Magnifique.
4) Giovanni Angelo Arcimboldi (1485-1555) fut nommé en 1514 commissaire pour les indulgences en Allemagne. Le bref de nomination lui accordait 25 % de ce qu’il y recueillerait.
5) Allusion au mariage de Martin Luther en 1525 avec Katarina von Bora, qui avait été religieuse.
6) Allusion au réformateur suisse Ulrich Zwingli, qui niait la présence réelle dans l’eucharistie.


Luther et l’autorité du pape

« Garde-toi, ô Léon, mon Père, de prêter l’oreille à ces sirènes qui font de toi quelque chose de plus qu’un homme ordinaire : presque un Dieu, qui puisse tout ordonner et tout exiger… Ils errent, ceux qui t’exaltent au-dessus du concile et de l’Église universelle. »

Luther, Lettre à Léon X, octobre 1520. En réponse de la bulle émise par le pape, excommuniant Luther, Exsurge Domine. Extrait publié dans Stauffer, La Réforme, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1970, p. 25.


Discours de Martin Luther à la Diète de Worms (18 avril 1521) devant l’empereur Charles Quint et les princes

Alors que ses écrits ont déjà été condamnés par la bulle Exsurge Domine, Marin Luther est convoqué à la Diète impériale sur les instances de son protecteur, le prince-électeur Frédéric le Sage. Arrivé à Worms sous la garantie d’un sauf-conduit impérial, Luther comparaît devant la Diète au soir du 17 avril 1521 ; il est invité à reconnaître ses ouvrages, rassemblés par le nonce Aléandre en guise de pièces à conviction, et à déclarer s’il les rétracte en totalité ou en partie. Luther reconnaît les livres comme siens, mais demande un temps de réflexion. Le 18 avril en fin de journée, il comparaît à nouveau devant l’Empereur et les princes et y prononce le discours suivant, en latin.

« Sérénissime Seigneur Empereur, très illustres Princes, très gracieux Seigneurs,

A l’heure qui m’a été fixée hier soir, je comparais, obéissant, suppliant Votre Majesté sérénissime ainsi que Vos Seigneuries très illustres de daigner prêter une oreille clémente à cette cause qui, je l’espère, est celle de la justice et de la vérité. Et si, faute d’expérience, je mésuse des titres, et que j’omette ainsi de rendre à quelqu’un l’honneur qui lui est dû, ou si, par mon attitude, je pêche de quelque manière à l’encontre des usages de la cour, que votre bienveillance me pardonne : je n’ai pas vécu dans les palais princiers mais dans les retraites des moines. Je n’ai pas d’autre témoignage à me rendre sinon que, jusqu’à ce jour, mon seul souci, en enseignant et en écrivant, a été de rechercher la gloire de Dieu et la pure instruction des fidèles.

Sérénissime Empereur, très illustres Princes, deux points m’ont été proposés hier par votre S. Majesté. Il m’a été demandé si je reconnaissais comme miens les livres que l’on a énumérés et qui ont été publiés sous mon nom ; si j’entendais les défendre encore ou les rétracter. Sur le premier point, ma réponse était prête : je l’ai donnée dans ambages ; je m’y tiens encore et ne je cesserai de le faire : il s’agit bien de mes livres, que j’ai publiés moi-même sous mon nom, à la réserve près des changements ou des interprétations malheureuse qui pourraient être dus, depuis lors, à la ruse ou à la sagesse mal venue de mes adversaires. Je ne reconnais en tout cas rien qui ne soit de moi seul et que je n’aie été seul à écrire, à l’exclusion de toute interprétation.

Pour réponde sur le deuxième point, je prie votre S. Majesté et vos Seigneuries de daigner remarquer que mes livres ne sont pas tous de la même sorte.

Il en est certains où j’ai traité de la foi et des moeurs en des termes si simples et si évangéliques que mes adversaires mêmes se voient contraints de reconnaître leur utilité et leur innocuité, et qu’ils sont dignes d’un lecteur chrétien. La bulle pontificale elle-même (1), tout impitoyable et cruelle qu’elle soit, admet que certains de ces livres sont inoffensifs, bien que, par un jugement plus qu’étrange, elle ne laisse pas de les condamner. Si donc je me mettais à les rétracter, que ferais-je d’autre, je vous prie, que de condamner, moi seul parmi tous les mortels, la vérité qu’amis et ennemis confessent d’un commun accord ? Il n’y aurait que moi pour résister à l’unanimité de cette confession.

Une seconde catégorie d’écrits est celle qui met en cause la papauté et les entreprise papistes dans la mesure où, par les pires des enseignements et des exemples, elles ont opéré dans les mondes chrétien une double dévastation : celle des esprits et celle du corps. Car nul ne peut le nier ni le dissimuler, alors que l’expérience générale et la plainte universelle en témoignent : les lois des papes et leurs doctrines humaines enlacent misérablement les consciences des fidèles, elles les tourmentent et les torturent ; les biens et les ressources, surtout dans notre illustre nation allemande, ont été dévorés indignement et le sont encore, sans que la fin de tout cela soit en vue. Avec cela, contre ceux qui les tiendraient pour une erreur condamnable, leurs propres décrets assurent la défense des lois et des enseignements du pape opposés à l’Évangile et aux déclarations des Pères. Si donc je rétractais aussi ces livres, je ne ferais rien d’autre que fortifier leur tyrannie et d’ouvrir à une si grande impiété non seulement les fenêtres mais aussi les portes, pour qu’elle se répande plus librement qu’elle n’a jamais osé le faire jusqu’à présent. Ma rétractation serait un témoignage propre à rendre encore beaucoup plus intolérable pour le pauvre peuple le règne de leur malice toute licencieuse et impunie ; elle ne rendrait néanmoins ce règne que plus fort et plus stable, surtout si l’on pouvait faire valoir que j’ai fait cela sur l’ordre de votre S. Majesté sérénissime et de tout l’Empire romain. Grand Dieu ! Combien je servirais alors de manteau à la malice et à la tyrannie !

La troisième catégorie est celle des livres que j’ai écrits à l’adresse de certaines personnes privées, qui se mettent en avant pour prendre sous leur protection la tyrannie romaine et qui ont entrepris de renverser ce que j’enseigne sur la foi. Je confesse qu’à leur endroit j’ai été plus acerbe qu’il ne convient à un homme qui a fait profession de religion. J’ajoute que je ne me présente pas comme un saint : ce n’est pas la vie [du chrétien] que je mets en discussion, mais ce qu’on enseigne de Jésus-Christ. Pas plus qu’auparavant, il ne m’est possible de rétracter mes écrits, car si je le faisais, c’est sous mon patronage que la tyrannie et l’impiété règneraient et se déchaîneraient contre le peuple de Dieu, avec plus de violence que jamais auparavant.

Je ne suis qu’un homme, cependant, et non pas Dieu, et je ne puis défendre mes traités autrement que Jésus-Christ Notre-Seigneur n’a lui-même défendu son enseignement devant Anne. Alors qu’on l’interrogeait et qu’un serviteur l’avait souffleté : « Si j’ai mal parlé, dit-il, fais connaître ce que j’ai dit de mal ». Si le Seigneur même, qui se savait incapable d’erreur, ne refuse quand même pas d’entendre contester son enseignement, à combien plus forte raison moi, lie du peuple, sans cesse exposé à l’erreur, ne doisèje pas désirer et demander que l’on veuille contester mon enseignement ! C’est pourquoi, par la miséricorde de Dieu, je prie votre S. majesté, vos illustres Seigneuries et quiconque le pourrait, le plus grand ou le moindre, de contester, de me convaincre de mes erreurs, de me réfuter par les écrits prophétiques et évangéliques ; si je devais alors être mieux instruit, nul ne serait plus disposé que moi à rétracter quelque erreur que ce soit et je serais le tout premier à jeter mes écrits au feu.

Ce que je viens de dire montre à l’évidence que j’ai assez considéré et pesé les dangers, les passions et les dissensions qui devaient surgir dans le monde à l’occasion de mon enseignement et qui m’ont valu hier de graves et d’abondants reproches. Pour moi, l’aspect le plus réjouissant de tous, en ces choses, est de voir que des passions et des dissensions surgissent au sujet de la Parole de Dieu. Car telle est bien la carrière du Verbe de Dieu sur terre, par les abîmes et par les sommets : « Je ne suis pas venu apporter la paix, dit-il, mais l’épée ; je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, etc. » [Matthieu, 10, 34 et suiv.]. Il ne faut pas qu’en tentant de faire quelque chose pour apaiser les passions, l’on commence par rejeter la parole de Dieu, de peur que cette tentative ne tourne à un déluge de malheurs intolérables. Nous devons veiller à ce que le règne impérial de notre jeune prince Charles (sur qui, après Dieu, un grand espoir repose) ne soit pas malheureux et ne commence pas sous des auspices funestes. Je pourrais illustrer cela à l’aide de nombreux exemples de l’Écriture, qui touchent au Pharaon, au roi de Babylone et aux rois d’Israël, personnages qui connurent les plus grands désastres justement alors que leurs plus sages desseins tendaient à établir la paix et à affermir leur règne. C’est [Dieu] lui-même, en effet, qui surprend les habiles dans leur habileté et qui renverse les montagnes avant qu’elles s’en aperçoivent [Job, 5, 13 et 9, 5]. Il faut donc craindre Dieu. Si je dis ces choses, ce n’est pas que je pense que de si hautes sommités aient besoin de mon enseignement ou de mes avertissements. Mais je n’ai pas le droit de dérober à mon Allemagne le service que je lui dois. Et par ces paroles, je me recommande à votre S. Majesté ainsi qu’à vos Seigneuries, les suppliant humblement de ne pas tolérer que les passions de mes adversaires me rendent justement détestables à leurs yeux.

J’ai dit.

(Après que j’eus parlé, le porte-parole impérial eut l’air de vouloir me reprendre vertement et dit que je ne m’étais pas tenu à l’affaire et qu’il ne fallait pas remettre en question les points qui avaient été autrefois condamnés et définis dans les conciles. Il me demandait donc une réponse simple et sans cornes : voulais-je rétracter [mes écrits] ou non ?)

Voici ce que je dis alors :

Puisque Votre S. Majesté et Vos Seigneuries demandent une réponse simple, je vous la donnerai sans cornes ni dents. Voici : à moins qu’on ne me convainque par des attestations de l’Écriture ou par d’évidentes raisons – car je n’ajoute foi ni au pape ni aux conciles seuls, puisqu’il est clair qu’ils se sont souvent trompés et qu’ils se sont contredits eux-mêmes – je suis lié par les textes scripturaires que j’ai cités et ma conscience est captive des paroles de Dieu ; je ne puis ni ne veux me rétracter en rien, car il n’est ni sûr ni honnête d’agir contre sa propre conscience. Je ne puis autrement, me voici, que Dieu me soit en aide. »

Dans Martin Luther, Œuvres, publiées sous les auspices de Alliance nationale des Églises luthériennes de France et de la revue « Positions luthériennes », t. II, Genève, Labor et Fides, 1966, p. 313-316.

1) Il s’agit de la bulle Exsurge Domine, du 15 juin 1520.


Charles Quint à la Diète de Worms (19 – 20 avril 1521)

L’original français du discours de Charles Quint :

« Vous savez que je suis descendu des empereurs très chrétiens de la noble nation germanique, des rois catholiques d’Espagne, des archiducs d’Autriche, des ducs de Bourgogne, lesquels tous ont été jusques à la mort fils fidèles de l’Église Romaine, ayant toujours été défenseurs de la foi catholique, des sacrées cérémonies, décrets, ordonnances et saintes coutumes à l’honneur de Dieu, augmentation de la foi et salut des âmes, après le trépas desquels par droit naturel et héritage nous ont laissé lesdites saintes observations catholiques, pour y vivre et mourir à leur exemple, auxquelles comme vrai imitateurs d’iceux nos prédécesseurs avons par la grâce de Dieu jusques à ici vécu.

A cette cause je suis délibéré d’entretenir tout ce que mesdits prédécesseurs et moi avons entretenu jusques à présent et par espécial ce que a été ordonné par lesdits mes prédécesseurs, tant au concile de Constance que autres ; car il est certain que un seul frère erre en son opinion, laquelle est contre toute la chrétienté, tant du temps passé mille ans et plus que du présent, selon laquelle opinion toute ladite chrétienté serait et aurait toujours été en erreur ; parquoi je suis déterminé toutellement y employer mes royaumes et seigneuries, mes amis, mon corps, mon sang, ma vie et mon âme. Car ce serait grande honte à moi et à vous, qui êtes la noble et renommé nation de Germanie, qui sommes par privilège et prééminence singulière institués défenseurs et protecteurs de la foi catholique que en notre temps son seulement hérésie, mais suspicion d’hérésie ou diminution de la religion chrétienne par notre négligence demeure après nous aux courages [dans les cœurs] des hommes à notre perpétuel déshonneur et de nos successeurs.

Et ouïe la réponse pertinace que Luther donna hier [18 avril] en la présence de nous tous, je vous déclare que je me repens d’avoir tant délayé à procéder contre ledit Luther et sa fausse doctrine, et ne suis délibéré de plus outre l’ouïr parler, mais j’entends que incontinent selon la forme du mandat qu’il soit ramené, en gardant la teneur de son sauf-conduit, sans prêcher ni admonester le peuple de sa mauvaise doctrine et sans procurer que aucune émotion se fasse. Et, comme ci-dessus ai dit, suis délibéré me conduire et procéder à l’encontre de lui comme contre notoire hérétique, vous requérant que vous vous déclariez en cette affaire comme bons Chrétiens et êtes tenus de le faire et m’avez promis.
Fait de ma main ce 19e d’avril de 1521.

Signé : Carolus. »

Original français des dossiers de la diète, VII, n° 82, p. 595 – 596, dans Hugo Soly (dir.), Charles Quint (1500-1558). L’empereur et son temps, Arles, Actes Sud, 2000, p. 518.

 

La version de l’historien Fray Prudencio de Sandoval :

« L’Empereur, voulant faire comprendre à quel point il désirait que la foi chrétienne soit conservée intacte, et que le monde ne soit pas troublé par l’opinion et par le défi d’un unique religieux, après avoir dîné, mécontent, s’enferma seul dans son appartement et, sans que personne ne le voie, écrivit en langue allemande une lettre et protestation de la foi, dont la substance traduite de cette langue est la suivante :

« Comme vous le savez, je descends des empereurs très chrétiens de la noble nation allemande, des Rois Catholiques d’Espagne, des archiducs d’Autriche, des ducs de Bourgogne, qui tous, jusqu’à leur mort, ont été les fidèles fils de l’Eglise de Rome ; toujours ils ont été les défenseurs de la foi catholique, des saints canons, des lois, des instructions et des saintes coutumes, pour l’honneur de Dieu, l’augmentation de la foi et le salut des âmes. Après leur mort, ils nous ont, par droit naturel et héréditaire, laissé en héritage ces saintes obligations catholiques, pour vivre et mourir selon leur exemple. Conformément à eux nous les avons respectées jusqu’à ce jour, en véritable imitateur de nos prédécesseurs et avec la grâce de Dieu.

Pour cette raison, je suis fermement déterminé à respecter tout ce que mes ancêtres et moi avons respecté jusqu’à cette heure ; tout particulièrement, ce que mes prédécesseurs ont ordonné tant au concile de Constance qu’aux autres [conciles]. Car elles sont certaines, et c’est une grande honte et un grand affront pour nous qu’un religieux, seul contre Dieu, dans l’erreur, avec son opinion qui s’oppose à celle que la chrétienté entière a tenu durant plus de mille ans et par le passé, veuille nous pervertir et nous convaincre que, à son avis, toute la chrétienté est et aurait toujours été dans l’erreur.

Ainsi, je suis résolu à tout mettre en oeuvre dans cette affaire : mes royaumes et seigneuries, mes amis, ma vie, mon sang et mon âme. Car ce serait un grand déshonneur pour moi et pour vous, qui êtes la noble et glorieuse nation allemande, nous qui avons été institués, par un privilège et une prééminence singulière, comme les défenseurs et les protecteurs de la foi catholique, si, à notre époque, non seulement l’hérésie, mais même le soupçon d’hérésie ou une diminution de la religion chrétienne s’introduisait à cause de notre négligence, et après nous s’installait durablement dans les coeurs des hommes, pour notre honte perpétuelle et celle de nos successeurs.

Et maintenant que vous avez entendu la réponse obstinée que Luther a prononcée hier en votre présence à tous, je vous déclare que je me repens d’avoir si longtemps tardé à m’opposer au dénommé Luther et à ses faux enseignements. Je suis entièrement résolu à ne plus l’entendre désormais, et je veux aussi ordonner qu’il soit ensuite reconduit, conformément à la teneur de son sauf-conduit, sans rien lui demander ni l’admonester sur sa maudite doctrine, et sans chercher à le faire changer d’avis, et je suis fermement décidé à m’opposer à lui et à le poursuivre comme hérétique notoire. Quant à vous, je vous demande de vous comporter, dans cette affaire, en bons chrétiens, comme il vous incombe de le faire et comme vous me l’avez promis.

Écrit de ma main à Worms le 19 avril 1521.

CAROLUS. »

Le lendemain, l’Empereur ne voulut pas paraître au Conseil, mais il y fit lire cette confession, ce qui fut fait. Et autant les bons catholiques l’entendirent avec grande joie et approbation, autant les luthériens manifestèrent leur déception et leur mécontentement. Les catholiques louaient César pour sa constance et sa fermeté envers la véritable religion, et disaient qu’il était bien le fils de tels ancêtres. Les luthériens, au contraire, qu’il était jeune et mal conseillé, que les amis du pape le manipulaient et faisaient de lui ce qu’ils voulaient […]

Et pour qu’en Allemagne on connaisse la volonté et la sainte intention de l’Empereur, et à quel point il abominait les erreurs et les prétentions de Martin Luther et de ses partisans, dans la ville de Worms, le 8 mai 1521, en la deuxième année de son empire et la sixième de son règne, il ordonna de publier une provision et un édit contre les hérésies et les hérétiques, et de les crier dans toutes les villes de l’Empire. »

Fray Prudencio de Sandoval, Historia de la Vida y hechos del Emperador Carlos V, éd. par Carlos Seco Serrano, Madrid, Biblioteca de Autores Españoles, t. 80, p. 470 – 473 (traduction du castillan : I. Poutrin).


La rupture

– Déclaration de Luther à la Diète impériale de Worms, le 18 avril 1521.

« Très gracieux empereur, sérénissimes électeurs, princes et seigneurs !
Je comparais ici pour obéir à l’assignation de la Diète, et je supplie, au nom de la miséricorde divine, Votre majesté impériale [= Charles Quint] de prêter une oreille favorable à la cause juste et sainte que je défends; […]. Or, pour en venir aux deux points sur lesquels Votre majesté impériale m’ordonne de m’expliquer, à savoir si j’avoue mes livres et si je persiste à les défendre, je répète, à l’égard du premier, la déclaration humble et véridique que j’ai faite hier : Oui, ces livres sont les miens; je les avoue tous […]. A l’égard du second point, je prie Votre Altesse impériale […] de bien vouloir considérer que mes livres ne sont pas tous de même nature. Il y en a qui traitent de la foi et des bonnes oeuvres, sans aucune tendance polémique. Mes adversaires reconnaissent qu’ils sont utiles, inoffensifs et dignes d’être médités par des coeurs chrétiens.[…] Il est une autre classe de mes écrits où j’attaque le papisme et ses partisans, pour avoir, par leurs fausses doctrines, leur mauvaise vie et leurs scandaleux exemples, désolé la chrétienté toute entière […]. Peut-on nier qu’avec une incroyable tyrannie il n’épuise et n’engloutisse jusqu’à ce jour les biens et les trésors des peuples,[…], quoique les papistes enseignent, dans leurs propres livres, que toute loi et doctrine du pape contraire à L’Évangile […] doit être rejetée ? Et je rétracterais mes paroles ? Jamais ! « 

Dans Luther d’après Luther, fragments extraits de ses œuvres par G. A. Hoff, Lausanne, 1887, p. 216-219.

 

– Ordonnance de Charles Quint, empereur du Saint-Empire (1531). Syntaxe d’époque.

« Premièrement. Que nul de quelque nation, état ou condition ne se permette dorénavant imprimer ou écrire, vendre ou acheter, distribuer, lire, garder, tenir sous soi ou recevoir, prêcher, instruire, soutenir ou défendre, communiquer ou disputer publiquement, ou secrètement, ou tenir conventicules [= petites assemblées] ou assemblées des livres, écritures ou doctrines, ou aucunes dicelles [= une des choses dites], qu’on fait ou faire pourroient ledit Martin Luther […] ou autres auteurs d’autres sectes [= groupes religieux] hérétiques erronées ou abusives réprouvées de [= condamnées par] l’Église.
A [= Sous] peine ceux qui par ci-devant [= la suite] auroient commis aucunes [= une de ces] erreurs et les auroient abjurées [= y auraient renoncés] et y seroient retombées, d’être exécutés par le feu, et les autres, à savoir les hommes par l’épée, et les femmes par la fosse [= enterrement vivant ?], et nous accordons […] à ceux qui les dénonceront […] la moitié des biens de ceux qu’ils auront accusés […]. »

Dans Jacques Dupâquier et Marcel Lachiver, Les Temps modernes, classe de 4e, Paris, Bordas, « Nouvelle collection d’histoire », 1970, p. 49.


DIFFUSION DE LA RÉFORME

La Réforme s’accompagne d’une crise politique. Les Princes en furent les bénéficiaires (sécularisation des biens de l’Église à leur avantage). Les Eglises devinrent des Églises d’État contrôlées par les Princes. L’Empereur va convoquer des diètes (1529 et 1530 à Augsbourg). Les « Protestants » refusent les décisions prises. En 1547, la guerre civile éclate et, en 1555, l’Empereur accepte la paix religieuse d’Augsbourg. Seuls les Princes sont libres de choisir leur religion. Les sujets doivent accepter la religion de leur prince. Le Saint-Empire est partagé en deux.

La parole de Dieu

Texte de Luther à propos de sa traduction de la Bible qui parut à Wittenberg en 1522.

« Franchement, j’ai été trop téméraire en entreprenant la traduction de l’Ancien Testament. La langue hébraïque a été longtemps négligée. Les Juifs mêmes ne la connaissent guère, […]. Qui ne la connaît point ne comprendra jamais parfaitement les saintes Écritures ; car même le Nouveau testament, écrit en grec, est rempli de locutions hébraïques. Aussi a-t-on raison de dire que les Hébreux boivent à la source, les Grecs dans le ruisseau qui en dérive, et les Latins dans le bourbier […]
Dans ma traduction de la Bible, je me suis efforcé de parler un allemand pur et intelligible. Souvent il nous est arrivé d’être à la quête d’une expression pendant quatre semaines sans être heureux dans nos recherches […] Aussi n’ai-je pas travaillé seul : partout j’ai recruté des auxiliaires. J’ai tâché de parler allemand, non grec ou latin. Or pour parler allemand, ce n’est pas les textes de langue latine qu’il faut interroger. La femme dans son ménage, les enfants dans leurs jeux, les bourgeois sur la place publique, voici les docteurs qu’il faut consulter ; c’est de leur bouche qu’il faut apprendre comment on parle, comment on interprète : après cela ils vous comprendront et ils sauront vous parler leur langue […] Chers amis, vous avez maintenant votre Bible en allemand. Ayez soin d’en faire bon usage après ma mort. Je me suis donné assez de peine pour vous procurer ce livre précieux ; mais, hélas ! il n’est guère estimé par la plupart. « 

(dans Luther d’après Luther, fragments extraits de ses œuvres par G. A. Hoff, Lausanne, 1887, p. 119-123).

– Fragment d’un sermon de Luther prononcé à Wittenberg en mars 1522. Des disciples de Luther se livraient à des actes violents contre le catholicisme.

« Il y a ici, dans le parti opposé, je l’espère plus d’un frère et d’une sœur qui nous appartiennent et qu’il faut attirer à nous par des cordages d’amour. La violence est bonne pour les brutes, mais non pour des chrétiens. C’est le métier d’un brigand, de convertir les gens malgré eux; il faut prêcher la parole de Dieu, qui bénira cette prédication. Aucune puissance de la terre n’a la force de cette parole excellente. Voyez ce que j’ai fait : j’ai résisté au pape, aux indulgences et à tous les papistes; mais sans violence, sans crime, sans tumulte, sans tempête. Je n’ai fait que prêcher la parole de Dieu, voilà tout ! Mais cette parole, pendant mon sommeil ou pendant que je buvais de la bière à Wittenberg […] a tant fait que la papauté est devenue si faible et impuissante, que jamais prince ou empereur ne lui porta un coup aussi fatal. Moi, Martin Luther, je n’y ai rien fait. La seule parole que j’ai prêchée ou écrite a accompli toutes ces choses ! Si j’avais voulu exciter, ô mes chers amis, j’aurais commencé un jeu à la suite duquel toute l’Allemagne aurait été ensanglantée. Que serait-ce ? Ce serait un jeu de fous qui aurait perdu corps et âmes. Je me tenais tranquille, laissant agir la parole. »

(dans Luther d’après Luther, fragments extraits de ses œuvres par G. A. Hoff, Lausanne, 1887, p. 138-139).


La Guerre des paysans

Revendications des paysans de Salerne (Alsace) pendant la guerre des paysans de 1525.

« ART. 1 – Nous exigeons qu’à l’avenir chaque communauté ait le droit de choisir son pasteur et de le destituer s’il ne se conduit pas raisonnablement […]

ART. 3 – Jusqu’à présent, nous avons été considérés comme propriété d’autrui. Ceci est déplorable, car le Christ, en nous rachetant, n’a excepté personne.

ART. 4 – Il a été d’usage jusqu’à présent qu’aucun homme pauvre ne puisse prendre aucun gibier, ni poisson dans les eaux courantes. Ceci est contraire à la parole de Dieu.

ART. 5 – Nous avons à faire des plaintes relativement aux forêts. Les seigneurs se sont approprié toutes les forêts, et quand nous avons besoin de bois, nous devons l’acheter au double de sa valeur.

ART. 6 – Nous sommes accablés de services et demandons à ne plus être traités aussi durement […]

ART. 9 – Nous nous plaignons de la malice avec laquelle la justice est rendue. On ne nous punit plus d’après nos actes, mais tantôt avec faveur, tantôt avec haine.

ART. 10 – On s’est emparé des près, de champs appartenant aux communautés, nous voulons les avoir à nouveau parmi les biens de la commune. »

– Message de Luther « aux seigneurs tyranniques et aux paysans révoltés » en 1525

« Chers amis, Dieu veuille que vous vous laissiez guider par l’Evangile. Ne criez pas : Luther est un flatteur des princes, mais voyez si tout ce que je vous dis n’est pas fondé sur la parole de Dieu. Puis donc que ni les uns ni les autres vous ne défendez une chose chrétienne, mais que les deux partis agissent également contre Dieu, renoncez, je vous supplie, à la violence. Autrement vous couvrirez toute l’Allemagne d’un carnage horrible qui n’aura pas de fin. Vous vous perdrez mutuellement, et Dieu frappera un méchant par l’autre.
Vous, seigneurs, vous avez contre vous l’Évangile et l’histoire, qui vous enseignent que la tyrannie a toujours été punie. Voyez tous ces empires des Assyriens, des Perses, des Grecs, des Romains; ils ont tous péri par le glaive. Dieu voulait prouver que c’est lui qui est souverain juge de la terre.
Vous, paysans, vous avez de même contre vous l’Écriture et l’expérience. Jamais la révolte n’a eu une bonne fin. Qui prend l’épée périra par l’épée. Après avoir vaincu les princes, vous vous entre-déchireriez comme les bêtes féroces (…) »

La conciliation ayant échoué, Luther soutiendra les princes.

(dans Luther d’après Luther, fragments extraits de ses œuvres par G. A. Hoff, Lausanne, 1887, p. 45-46).


Luther et les images

« En ce qui concerne les images, le cas est le même : elles ne sont pas nécessaires, mais nous sommes libres d’en avoir ou de ne pas en avoir ; quoiqu’il serait préférable que nous n’eussions pas les dites images, à cause de l’abus funeste et maudit et de l’impiété auxquels elles donnent lieu […].

Mon cher ami, ne place pas ton jugement au-dessus de la haute majesté divine. Si Dieu avait voulu faire de cela un commandement ou une interdiction, il eût bien pu le faire. Mais puisqu’il a laissé la chose libre, pourquoi as-tu l’audace d’en faire un commandement ou une interdiction contre la liberté de Dieu ? »

Dans Luther, Troisième Prédication, 1522.


La justification par la foi selon Martin Luther (1520)

« La foi suffit à un chrétien, il n’a besoin d’aucune oeuvre pour se justifier […]. Des œuvres bonnes et justes ne font jamais un homme bon et juste, mais un homme bon et juste fait de bonnes œuvres […]. Celui qui n’a pas la foi ne peut tirer profit d’aucune bonne oeuvre pour se justifier et assurer son salut. Par contre, ce n’est aucune de ses oeuvres mauvaises qui le rend mauvais ni le damne, mais son manque de foi qui rend la personne et l’arbre mauvais et qui fait les œuvres mauvaises et maudites. »

Dans Luther, La liberté du chrétien, 1520.


Luther et le libre arbitre

« Nous croyons, en effet, que Dieu sait et ordonne tout par avance, et qu’il ne peut faillir ni se laisser arrêter par rien dans […] sa prédestination ; si donc nous croyons que rien n’arrive sans sa volonté, […], il ne peut y avoir de libre arbitre ni chez l’homme, ni chez l’ange, ni chez aucune créature. De même, si nous croyons que Satan est le prince de ce monde et qu’il combat le règne du Christ de toutes ses forces et de toute sa ruse, retenant les hommes actifs aussi longtemps que l’Esprit de Dieu ne les lui arrache pas, il est encore une fois très évident que le libre arbitre ne peut exister. « 

Martin Luther, De servo arbitro, 1525.

Il répond à Érasme, qui a publié De libero Arbitrio en 1524.

Selon Érasme, l’homme dispose d’un libre arbitre, c’est-à-dire :

« le pouvoir qu’a la volonté humaine de s’appliquer à réaliser tout ce qui est requis pour le salut éternel.
– Dieu nous reconnaît comme mérite de ne pas détourner notre esprit de sa grâce.
– Il y a une raison dans tout homme et dans toute raison un effort vers le bien. »

In Érasme, De libero Arbitrio, 1524.


De l’éducation

– Extrait de Luther, Traité sur l’éducation (1524), adressé aux Conseillers des villes allemandes.

« L’éducation domestique est insuffisante. Il faut que les magistrats veillent à l’instruction des enfants. Etablir des écoles est un de leurs principaux soins. Les fonctions publiques ne doivent même être confiées qu’aux plus doctes. Il est important d’étudier les langues : le diable redoute cette étude et cherche à l’éteindre. N’est-ce pas par elle que nous avons retrouvé la vraie doctrine ? La première chose que Christ ait donné à ses apôtres, c’est le don des langues. Dans les monastères on ne sait plus le latin, à peine l’allemand : il faut une meilleure instruction !
Pour moi, si j’ai jamais des enfants, et que ma fortune me le permette, je veux qu’ils deviennent habiles dans les langues et dans l’histoire; qu’ils apprennent même la musique et les mathématiques, et qu’ils prennent goût aux poètes et aux historiens.
Qu’on envoie au moins les enfants une heure ou deux par jour à l’école; qu’ils emploient le reste à soigner la maison et à apprendre quelque métier. Il doit aussi y avoir des écoles pour les filles.
On devrait fonder des bibliothèques publiques. D’abord des livres de théologie, latins, grecs, hébreux, allemands; puis, des livres pour apprendre la langue, tels que les orateurs, les poètes, peu importe qu’ils soient chrétiens ou païens; les livres de jurisprudence et de médecine; les annales, les chroniques, les histoires, dans la langue où elles ont été écrites, doivent tenir la première place dans une bibliothèque […]
L’histoire est d’une grande utilité dans l’instruction. Un récit animé ressemble à un tableau; il s’imprime dans l’âme bien plus profondément qu’une doctrine abstraite. L’histoire est une source inépuisable d’utiles enseignements, elle révèle admirablement la marche des affaires de ce monde et le gouvernement de Dieu. Que de traits qui font toucher comme au doigt les châtiments et les récompenses du Seigneur ! […]
Tout l’or du monde ne saurait suffire à récompenser un bon instituteur. C’est l’avis d’Aristote; et cependant, chez nous, qui nous disons chrétiens, l’instituteur est dédaigné.
Pour moi, si Dieu m’éloignait de mes fonctions pastorales, il n’y a pas de charge sur terre que je remplirais plus volontiers que celle d’instituteur; car, après l’oeuvre du pasteur, pas d’œuvre plus belle ni plus importante que la sienne. Et encore j’hésite à donner la préférence à la première, car n’est-il pas vrai qu’on réussit plus rarement à convertir de vieux pécheurs qu’à faire entrer les enfants dans la bonne voie ? C’est pendant qu’ils sont jeunes et flexibles qu’il faut plier les arbres. »

Dans Luther d’après Luther, fragments extraits de ses œuvres par G. A. Hoff, Lausanne, 1887, p. 144-155.


Du pèlerinage

– Introduction à la traduction du Psaume 117 faite par Luther (août 1530). Dédicace adressée à Jean de Hernberg.

« Heureusement, il y a encore des gens pieux parmi la noblesse. La plupart des nobles sont aujourd’hui si insolents et si dépravés, qu’ils excitent la colère du pauvre homme. S’ils voulaient être respectés, ils devraient avant tout respecter eux-mêmes Dieu et sa Parole. Qu’ils continuent à vivre ainsi dans l’orgueil, dans l’insolence, dans le mépris de toute vertu, et ils ne seront bientôt plus que des paysans; ils le sont déjà quoiqu’ils portent encore le nom de nobles et le chapeau à plumes. Ils devraient cependant se souvenir de Münzer. Je souhaite, honoré seigneur [= Jean de Hernberg], que ce petit livre, et d’autres qui lui ressemblent, touchent votre cœur, et que vous y fassiez un pèlerinage plus utile au salut que celui que vous avez fait autrefois à Jérusalem. Non que je méprise ces pèlerinages ; j’en ferais moi-même bien volontiers, si je pouvais, et j’aime toujours à en entendre parler; mais je veux dire que nous ne les faisions pas dans un bon esprit. Quand j’allai à Rome, je courus comme un fou à travers toutes les églises, tous les couvents; je crus tout ce que les imposteurs y avaient jamais inventé. J’y dis une dizaine de messes […].
Aujourd’hui, Dieu merci, nous avons les évangiles, les psaumes, et autres paroles de Dieu ; nous pouvons y faire des pèlerinages plus utiles, y visiter et contempler la véritable terre promise, la vraie Jérusalem, le vrai paradis. «

Dans Luther d’après Luther, fragments extraits de ses œuvres par G. A. Hoff, Lausanne, 1887, pp. 185-187).


Le sceau de Luther

– Lettre de Luther (8 juillet 1530)

« Grâce et paix en Jésus-Christ. Cher seigneur [= Lazare Spengler] et ami ! vous me dites que je vous ferai plaisir en vous expliquant le sens de ce qu’on voit sur mon sceau. Je vais donc vous indiquer ce que j’ai voulu y faire graver, comme symbole de ma théologie. D’abord, il y a une croix noire avec un cœur au milieu. Cette croix doit me rappeler que la foi au Crucifié nous sauve: qui croit en lui de toute son âme est justifié. Cette croix est noire pour indiquer […] la douleur par laquelle le chrétien doit passer. Le coeur néanmoins conserve sa couleur naturelle; car la croix n’altère pas la nature, elle ne tue pas, elle vivifie. Le juste vit par la foi, par la foi au Crucifié . Le cœur est placé au milieu d’une rose blanche, qui indique que la foi donne la consolation, la joie, la paix; […] le blanc est la couleur des esprits et de tous les anges. La rose est dans un champ d’azur [= bleu], pour montrer que cette joie dans l’esprit et dans la foi est le commencement de la joie céleste qui nous attend; celle-ci y est déjà comprise, elle existe déjà en espoir, mais le moment de la consommation n’est pas encore venu. Dans ce champ vous voyez aussi un cercle d’or. Il indique que la félicité [= bonheur] dans le ciel durera éternellement, et qu’elle est supérieure à toute autre joie, à tout autre bien, comme l’or est le plus précieux des métaux. Que Jésus-Christ, notre Seigneur, soit avec vous jusque dans la vie éternelle. Amen. « 

Dans Luther d’après Luther, fragments extraits de ses œuvres par G. A. Hoff, Lausanne, 1887, p. 206-208.


La Rédemption

Extrait des articles de Smalcalde rédigé par Luther en 1537 à la demande de l’électeur de Saxe.

« Concernant la Rédemption, l’article premier et fondamental est celui-ci : Jésus-Christ, notre Seigneur et Dieu, est mort pour nos offenses et a été ressuscité pour notre justification. Lui seul est l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde; Dieu a mis sur lui tous nos péchés ; tous les hommes sont pécheurs et ne peuvent obtenir la justification que par la grâce de Dieu, par la Rédemption de Jésus-Christ mort sur la croix ; nous ne devenons participants de cette justification que par la foi ; nulle oeuvre, nul acte, nul mérite ne saurait nous la procurer ; la foi seule nous en donne la possession. De cet article on ne peut rien céder, dussent le ciel et la terre crouler, car il n’y a de salut qu’en Christ […] Avec cet article fondamental se trouve en opposition flagrante la doctrine de nos adversaires sur la messe. Ils enseignent que le prêtre (soit pieux, soit impie) a le pouvoir de racheter, par la célébration de la messe, tous les péchés des hommes. Nous répondons que c’est uniquement l’Agneau de Dieu, immolé pour nous, qui a racheté nos pêchés. Jamais non jamais, je n’accorderai qu’un prêtre opère, par la messe, ce que le Seigneur et Sauveur a seul opéré par sa passion et par sa mort. Ce ne sont ni nos cérémonies, ni notre argent ni le pouvoir papal qui nous rendent participant du pardon acquis par Christ ; mais Dieu accorde ce pardon gratuitement. Nous l’obtenons par la foi, et cette foi nous arrive par la lumière de la parole de Dieu. « 

Rédemption n.f. = Rachat; se dit surtout du rachat du genre humain par Jésus-Christ (en ce sens, prend une majuscule).

Dans Luther d’après Luther, fragments extraits de ses oeuvres par G. A. Hoff, Lausanne, 1887, p. 104-105.


L’expansion de la réforme luthérienne en Allemagne (1532)
Relation de l’ambassadeur vénitien Tiepolo

« En somme, il semble que ces gens, dans certains lieux, aient pris de telles libertés, qu’ils veulent qu’il soit licite à chacun de parler et de prêcher sur la foi, et former de nouvelles sectes, à leur guise, ce qui cause partout une confusion extrême. Et ces séducteurs, pour diffuser leurs opinions plus largement, comme ils ne peuvent pas prêcher partout car cela leur est interdit en de nombreux endroits, ont écrit et fait imprimer toutes leurs opinions en langue vulgaire, de sorte que l’Allemagne en est inondée. Là où ils ne peuvent pas se rendre en personne, on trouve ces livres qui sont lus dans chaque maison, au moins en secret, et chaque personne de condition basse et vile, chaque femme veut disputer de l’Évangile et des lettres de saint Paul et de la foi. Ils ont fait, de cette façon, un tel ouvrage, que, bien que dans de nombreux États l’ancien culte divin et le rite de la vie catholique demeurent intacts et purs grâce au soin et à l’action de nombreux princes catholiques, et qu’il n’y a pas eu de changement sur ce point, néanmoins les peuples se sont mis dans de telles dispositions que la plupart inclinent volontiers, quand cela ne leur est pas interdit, à l’une de ces sectes qui permettent une vie plus libre et conforme à l’inclination de l’appétit de chacun, et la plus grande liberté que chacune concède, et que naturellement, tous désirent. Ce que l’on peut comprendre, lorsqu’on en parle avec plusieurs personnes dans presque toutes les terres qui sont considérées comme catholiques. De sorte que l’on peut raisonnablement douter que, si notre Seigneur Dieu n’y met la main en quelque manière, toute cette province risque de devenir luthérienne d’ici peu de temps, c’est-à-dire qu’elle se séparera d’une façon ou d’une autre de la vie chrétienne habituelle. Et non seulement une ville se séparera de l’autre, mais aussi dans la même maison, les personnes adoptent une foi différente les uns des autres, et les choses allant de mal en pis avec le temps, ils risquent de perdre finalement toute religion et de revenir à l’antique sauvagerie de leur mode de vie, car chaque jour on voit une terre se convertir, et ceux qui ont déjà changé vont plus loin dans l’erreur et s’attachent à des sectes pires et plus énormes encore ; et l’on voit de nombreux princes, non seulement des laïcs mais même aussi des ecclésiastiques, tituber si fort qu’il s’en faut de peu qu’ils ne tombent. Et si l’un d’entre eux commence une fois à le faire, comme déjà on le dit à mots couverts de certains, je me doute que l’on verra tous les autres, aussitôt, se précipiter à leur suite dans une même ruine, ce que, je crois, portera une telle confusion dans la religion chrétienne, et dans les autres Etats et peuples de ce pays, que nous verrons ou que nous apprendront un jour qu’il s’est entièrement retourné. Dieu veuille qu’il ne sorte pas de cette ruine dans un tel état, que cela n’affecte l’un des pays voisins […]

Il ne faut pas croire, d’ailleurs, que cette peste ne touche qu’à la seule religion, laquelle pourtant il faut s’efforcer par-dessus tout qu’elle se conserve pure et indemne chez chaque bon chrétien, et qu’elle ne se confonde pas avec de nouvelles hérésies, spécialement pour cette excellente république qui est née chrétienne et qui s’est toujours, jusqu’à présent, conservée pure de toute tache ; mais il faut savoir que ce mal tend également à la destruction de toute forme de domination, en donnant peu à peu toute liberté aux peuples. Lesquels, comme ils ont commencé un peu à mépriser les lois qui leur étaient concédées par quelque permission, n’en veulent plus sentir le frein, mais prennent le mors aux dents ou s’en débarrassent ; soit il chassent malgré lui celui qui les gouverne, soit ils le renversent et pour finir lui réservent un sort horrible et intolérable, comme j’ai pu le voir dans plusieurs pays d’Allemagne où les peuples, ayant déposé les nobles ou les citoyens qui gouvernaient le pays depuis longtemps, les ont remplacés par des tailleurs, des cordonniers et d’autres artisans de cette sorte, lesquels se faisant toujours plus insolents avec la plèbe, et renversant toute loi et tout bon ordre ancien, ont tout disposé à leur guise dans la plus extrême confusion. « 

E. Alberi, Relazioni degli ambasciatori veneti al Senato durante il secolo XVI, Florence, vol. XV, 1863, p. 128-129, 133 (Società editrice fiorentina, 1839-1863) (traduction de l’italien : I. Poutrin).

Y Sur les causes de la Réforme , voir aussi cet article.