L’Hygiène au XVIIe siècle.

Un texte très court qui montre bien le manque d’hygiène élémentaire à cette période.
Ce texte est cité dans plusieurs manuels du secondaire, en France. Il pourrait, je crois, illustrer parfaitement un tel thème !!!

Louis XIII est né le 27 septembre 1601

« Le 11 novembre 1601 on lui a frotté la tête la première fois.

Le 17 novembre 1601 on lui a frotté le front et le visage avec du beurre frais et de l’huile d’amandes douces pour la crasse qui paraissait y vouloir venir.

Le 4 juillet 1602, il a été peigné pour la première fois, y prend plaisir, et accommode sa tête selon les endroits qui lui démangeaient.

Le 3 octobre 1606. On lui a lavé les jambes dans l’eau tiède […]. C’est la première fois.

Le 2 août 1608, baigné pour la première fois. »

Extraits de J. HEROARD, « Journal sur l’enfance et la jeunesse de Louis XIII« , 1601-1628.

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Une société d’ordres

« Il faut qu’il y ait de l’ordre en toutes choses, et pour la bienséance, et pour la direction d’icelles, car nous ne pourrions pas vivre en égalité de condition, mais il faut par nécessité que les uns commandent et que les autres obéissent. Ceux qui commandent ont plusieurs degrés : les souverains seigneurs commandent à tous ceux de leur État, adressant leur commandement aux grands, les grands aux médiocres, les médiocres aux petits et les petits au peuple. Et le peuple qui obéit à tous ceux-là est encore séparé en plusieurs ordres et rangs. Ainsi par le moyen de ces divisions et subdivisions multipliées, il se fait de plusieurs ordres un ordre général auquel il y a une bonne harmonie et consonnance et une correspondance et rapport du plus bas au plus haut : de sorte qu’enfin un nombre innombrable aboutit à son unité.

Les uns sont dédiés particulièrement au service de Dieu ; les autres à conserver l’État par les armes ; les autres à le nourrir et maintenir par les exercices de la paix. Ce sont nos trois ordres ou États généraux de France, le Clergé, la Noblesse et les Tiers États. Mais chacun de ces trois ordres est encore subdivisé en degrés subordonnés à l’exemple de la hiérarchie céleste. »

In Charles Loyseau, Traité des ordres et simples dignités, 1613.

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Les malheurs du temps

« Il s’est vu depuis quelque temps une seule compagnie de gens d’armes avoir ravagé quasi la moitié de la France; et, après avoir tout réquisitionné, s’en retourner, chacun en sa maison, enrichi de la substance du pauvre peuple, sans avoir donné un seul coup d’épée… Qui remédiera à ces désordres ? Sire, il faut que ce soit vous. C’est un coup de Majesté. Vous avez assez les moyens de la faire. »

Pétition adressée au roi par les représentants du Tiers-Etat, aux Etats Généraux de 1614.

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Le choix d’un mari au temps de Louis XIII

« Mon père, qui ne songeait qu’à mon établissement par un mariage, commença à écouter plusieurs partis qui se présentèrent; car chacun sait que quand on a du bien, l’on ne manque pas de prétendants. Il me fit assez de propositions différentes sur ce sujet, et voulait bien me donner la connaissance de tous ceux qui me faisaient l’honneur de me rechercher, afin d’en dire mon petit sentiment, qui était toujours fort éloigné du sien; et quand on me parlait de mariage, on me faisait un sensible déplaisir. Je suppliai donc mon père et ma mère de ne m’en plus parler ; ce qu’ils eurent la bonté de m’accorder, jugeant bien que rien ne pressait, puisque j’étais encore fort jeune. Je demeurai contente et satisfaite, continuant la même sorte de vie, qui n’était pas des moins agréables; mais un jour que ma mère alla rendre ses respects à madame d’Angoulême, je vis dans la chambre de cette princesse un homme fort bien fait, qui me regarda beaucoup. Cela me donna la curiosité de m’informer qui il était. Ma soeur m’apprit que c’était un gentilhomme que monsieur d’Angoulême aimait, et dont quantité de gens faisaient cas. Je m’en retournai chez mon père, mais non pas si libre que j’en étais sortie, parce que cet homme si bien fait me flattait toujours l’idée et me donnait de l’inquiétude sans savoir pourquoi. Je l’ai su depuis; car je l’aimai assez pour en faire mon mari, comme l’on verra dans la suite. La rencontre fut pareille de son côté; les regards si fréquents qu’il me faisait formèrent dans son âme une idée si avantageuse pour moi, qu’il n’y a eu que la mort qui l’ait pu détruire, il fut donc question de me déclarer ses sentiments, et ce fut pour parvenir à son dessein qu’il fit amitié avec mon beau-frère, afin de s’introduire chez nous. Il y vint rendre visite, et mon père le reçut fort agréablement, parce que tous les gens d’honneur y étaient les bienvenus. Je laisse à penser dans qu’elle émotion je pouvais être de voir cette personne que j’estimais beaucoup. Hors le salut, il ne me dit rien ce jour-là. L’amour agissait fortement pour tous deux; ses visites devinrent fréquentes; et il fut assez heureux pour rencontrer une heure favorable pour me déclarer sa passion; ce qu’il fit de la manière la plus obligeante du monde. Il avait beaucoup d’esprit, beaucoup d’amour et était fort éloquent, ce qui m’embarrassait assez, ne pouvant repartir juste à tout ce qu’il me dit dans ce moment; mais je lui fis bien connaître que l’approuvais son dessein et que je me tiendrais heureuse si mon père le voulait approuver aussi, parce que j’y étais absolument résolue; et même je lui dis qu’il se pouvait assurer de ma constance, qui lui serait toujours favorable, quoi qu’il pût arriver. Il était si transporté de joie qu’il ne se sentait presque plus. Il me dit les paroles du monde les plus reconnaissantes, et m’assura de sa foi et de sa fidélité, qui fut inviolable. Il se passa quelque temps sans qu’il en parlât à mon père; et même il s’en retourna à l’armée, ne jugeant pas à propos de lui en parler pour cette fois. Il m’aimait beaucoup ; mais la guerre était son attache principale, et tous ceux qui l’ont vu dans les occasions, en peuvent rendre témoignage; car l’on parlait assez souvent du sieur de La Guette, qui était son nom. Le roi Louis treizième lui donna la compagnie de chevau-légers de feu monsieur le marquis de La Luzerne, qui était de ces belles compagnies d’ordonnance en ce temps-là; et le roi Louis quatorzième le gratifia ensuite pour ses bons services d’une place de maître d’hôtel ordinaire du roi, d’une d’aide de camp dans ses armées et de maréchal de bataille. Je dis ces choses afin que l’on voie que je ne m’étais point trompée dans mon choix, puisque deux si grands rois ont eu de la considération pour lui. »

Contrairement aux attentes des deux amoureux, le père s’oppose à leur mariage, interdiction dont la transgression est un crime grave dont le châtiment peut aller jusqu’à la peine de mort. Le couple n’en décide pas moins de passer outre et de se marier clandestinement. Le père et son beau-fils mettront du temps à se réconcilier, le premier n’accordant finalement son pardon que sous la pression d’une voisine de haute noblesse. De son côté, Mme de la Guette regrettera toujours un peu de n’avoir pas obéi à son père, ce qui ne l’empêchera pas de vivre un bonheur parfait avec son mari, jusqu’à la mort de celui-ci, disparition qui manqua lui faire perdre la raison. Réaction qui en dit long sur l’intensité de leurs sentiments réciproques.

Mémoire de Mme de La Guette 1613 – 1676 écrits par elle-même. Paris, Le Mercure de France, 1982, pp. 50 – 51.

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La mort d’un enfant au milieu du XVIIe siècle

Dans ses Mémoires, Mme de La Guette raconte les circonstances de la mort de l’un de ses fils et le chagrin qu’elle ressentit. Ailleurs, elle ne cache pas avoir manqué devenir folle à la mort de son mari et d’un autre de ses fils. L’événement se situe pendant la Fronde alors que, fidèle à la reine et au roi, elle est restée sur les terres de son mari rangé, lui, du côté du prince de Conti.

« Il m’arriva, deux jours après, un déplaisir sensible par la mort d’un de mes fils, âgé de sept ans, qui était le plus joli du monde et qui promettait quelque chose de bon; je l’aimais fort et y prenais un plaisir non pareil. Ce fut un ma1heureux Lorrain qui fut cause de sa perte : car comme mon enfant se promenait dans la basse-cour de Grosbois, sa petite canne à la main, où il y avait une pomme d’argent, ce misérable la lui vint arracher de furie, croyant faire un grand butin ; car ils volaient extraordinairement ; et de plus, ils étaient faits comme des hiboux. Ce pauvre enfant eut une si grande frayeur qu’il en prit une pleurésie qui le mit au tombeau. Il mourut entre mes bras dans mon lit, car ce jour-là je ne pouvais me soutenir sur ma jambe, à cause de ma morsure de chien. Je me trouvai seule dans mon affliction, tous mes gens étaient allés à droite et à gauche. J’avais assez de loisir pour contempler ce cher enfant et l’arroser de mes larmes, puisque je fus plus de deux heures sans qu’il revînt ni valet ni servante. Enfin ils parurent, et furent avertir ma soeur et M.de Vibrac, qui accoururent pour me consoler et ôter mon enfant d’auprès de moi. Incontinent après, toute ma chambre fut pleine d’honnêtes gens qui étaient réfugiés dans le château, pour divertir ma douleur, qui ne fut pas petite et qui dura assez de temps. Il fallut le faire enterrer deux jours après sans cérémonie, ayant seulement pris un homme d’église et quelques paysans pour faire la fosse, avec deux gardes pour m’accompagner à Sucy où est notre sépulture. Aussitôt que je fus entrée dans l’église, j’y vis un désordre épouvantable, les paysans y ayant apporté quantité de choses, croyant qu’elles y seraient en assurance et que les Lorrains auraient du respect pour les lieux saints; mais ils se trouvèrent, bien loin de leur compte, car tout y était pillé, les coffres et armoires brisés. L’on y marchait dans la plume jusqu’à moitié de la jambe ; ils avaient été assez impies pour tourner le crucifix sens dessus dessous; cela me fit frémir d’horreur, car il fallait être diable pour cela, ou du moins, athée. »

Mémoire de Madame de La Guette (1613 – 1676) écrits par elle-même. Paris, Mercure de France, 1982/2003, pp.114 – 115.

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Répression d’une révolte populaire en Bretagne en 1675.

« 30-10-75, – Voulez-vous savoir des nouvelles de Rennes ? Il y a toujours 5’000 soldats, On a fait une taxe de cent mille écus sur le bourgeois ; et si on ne les trouve pas dans les 24 heures, elle sera doublée et exigible par les soldats, On ci chassé et banni toute une grande rue, et défendu de les recueillir sous peine de la vie, de sorte qu’on voyait tous ces misérables errer en pleurs au sortir de la ville, sans savoir où ciller, sans avoir de nourriture, ni de quoi se coucher. Un violoniste qui avait commencé la danse et la pillerie du papier timbré a été écartelé après sa mort et ses quatre quartiers exposés aux quatre coins de la ville… On a pris 60 bourgeois, on commence demain à pendre.

5-1-76, – Pour nos soldats, ils s’amusent à voler ; ils mirent l’autre jour un petit enfant à la broche. »

In Lettres de Madame de SÉVIGNÉ.

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Jean de La Bruyère (1645-1696), avocat au Parlement de Paris, observa de près les moeurs de son temps. Voici quelques passages extraits de son livre intitulé Caractères (série de portrait de moeurs) , paru en 1688.

 » Si certains morts revenaient au monde, et s’ils voyaient leurs grands noms porté, et leurs terres les mieux titrées [donnant le droit de porter un titre de noblesse], avec leurs châteaux et leurs maisons antiques, possédées par des gens dont les pères étaient peut-être leurs métayers, quelle opinion pourraient-ils avoir de notre siècle ?

Sylvain, de ses deniers, a acquis de la naissance et un autre nom; il est seigneur de la paroisse où ses aïeuls payaient la taille; il n’aurait pu autrefois entrer page chez Cléobule, et il est son gendre. (…) [Sylvain et Cléobule sont des noms inventés]

Il y a des âmes sales, pétries de boue et d’ordure, éprises du gain et de l’intérêt, comme les belles âmes le sont de la gloire et de la vertu ; capables d’une seule volupté, qui est celle d’acquérir ou de ne point perdre.

De telles gens ne sont ni parents, ni amis, ni citoyens, ni chrétiens, ni peut-être des hommes : ils ont de l’argent. »

Autre passage

« Ce garçon si frais, si fleuri, et d’une si belle santé est seigneur d’une abbaye et de dix autres bénéfices : tous ensemble lui rapportent six vingt mille livres de revenu dont il n’est payé qu’en médailles d’or. Il y a ailleurs six vingt familles indigentes qui ne se chauffent point pendant l’hiver, qui n’ont point d’habits pour se couvrir et qui souvent manquent de pain : leur pauvreté est extrême et honteuse. Quel partage ! Et cela ne prouve-t-il pas clairement un avenir ?

Si le financier manque son coup, les courtisans [noblesse vivant à Versailles] disent de lui : « c’est un bourgeois, un homme de rien, un malotru »; s’il réussit, ils lui demandent sa fille.

Pendant que les grands négligent de rien connaître, je ne dis pas seulement aux intérêts des princes et aux affaires publiques, mais à leurs propres affaires, qu’ils ignorent l’économie et la science d’un père de famille, et qu’ils se louent eux-mêmes de cette ignorance ; qu’ils se laissent appauvrir et maîtriser par des intendants [charger de gérer leurs biens](…) des citoyens s’instruisent du dedans et du dehors d’un royaume, étudient le gouvernement, deviennent fins et politiques, savent le fort et le faible de tout un état, songent à se mieux placer, se placent, s’élèvent, deviennent puissants, soulagent le prince d’une partie des soins publics. Les grands qui les dédaignaient les révèrent : heureux s’ils deviennent leurs gendres. »

(Cité dans Jacques Dupâquier et Marcel Lachiver, Les Temps modernes, classe de 4e, nouvelle collection d’histoire Bordas, Paris, 1970, p. 153)

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Les impôts royaux sous Louis XIV

Impôts directs :

La taille : impôt sur les personnes ou les biens payé par les roturiers,
La capitation : impôt par tête créé en 1695, payé en théorie par tous,
Le dixième : 10 % des revenus de chacun, en principe.

Impôts indirects :

Les aides : taxe sur les boissons,
La gabelle : taxe sur le sel,
Les traites : taxe sur les marchandises aux frontières du royaume et entre certaines provinces.

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De la pauvreté des Français

« Près de la dixième partie du peuple est réduite à la mendicité ; des neuf autres parties, il y en a cinq qui ne sont pas en état de faire l’aumône à celle-là, parce qu’eux-mêmes sont réduits, à très peu de chose près, à cette malheureuse condition ; que des quatre autres parties qui restent, les trois sont fort malaisées et embarrassées de dettes ; et que dans la dixième où je mets tous les Gens d’Epée, de Robe, Ecclésiastiques et Laïques, toute la Noblesse haute, la Noblesse distinguée, et les Gens en Charge Militaire et Civile, les bons Marchands, les Bourgeois rentés et plus accommodés, il n’y en a pas (un dixième) qu’on puisse dire être fort à leur aise. »

Vauban, La Dîme royale, 1709, cité dans Documents d’Histoire Vivante, Editions Sociales [sans date].

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Privilèges accordés par Louis XIV à un drapier hollandais, en 1664.

« Voulant favorablement traiter ledit Van Robais et attirer par son exemple ceux qui excellent, parmi les étrangers, dans quelque sorte de manufacture, enjoignons aux maires et échevins (d’Abbeville) de lui faire fournir des logements commodes à la dite fabrique. (…) Nous voulons que lui et ses associés et ouvriers étrangers soient censés et réputés véritables Français et naturalisés, et que, comme tels, Ils puissent disposer de leurs biens, et leurs héritiers recueillir leurs successions, (…) Ils seront aussi exempts de tous subsides, impositions, logements de gens de guerre, charges de ville, corvées et autres charges publiques pendant le temps de la présente concession. (…) Nous permettons audit entrepreneur et à ses associés et ouvriers de continuer de faire profession de la religion prétendue réformée, (…) Leur avons accordé huit minots [environ 400 kg] de sel par chaque on, en payant seulement le prix de marchand, (…).

Nous avons fait défense (…) d’établir dans ladite ville et à dix lieues aux environs d’icelle pareils métiers à draper (…). Permettons [à Van Robais] d’associer à ladite manufacture telles personnes que bon lui semblera, sans que, pour cette raison, ses associés soient censés ni réputés avoir dérogé à noblesse, sous prétexte de commerce ou de marchandise. »

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Scène de la vie quotidienne en province sous Louis XIV: recevoir l’intendant

Il s’agit de M. de la Barre, intendant venu à Bourges pour faire le « répartiment des tailles » et que l’abbé de Choisy reçoit dans sa propriété. La scène, non datée avec précision, se passe vers 1672.

« Il arriva à midi, avec le lieutenant général, sa femme et sa fille ; dès que je vis son carrosse dans l’avenue, je descendis en bas pour le recevoir ; les intendants sont les rois des provinces, on ne saurait leur faire trop honneur.

Il parut surpris de la beauté de la maison et de la propreté des meubles. Je lui proposai d’aller faire un tour au jardin en attendant qu’on servît. M. le curé et M. le chevalier d’Hanecourt m’aidèrent à faire les honneurs.

Une demi-heure après nous retournâmes à la maison, et nous vîmes arriver madame et mademoiselle de La Grise, avec l’abbé de Saint-Siphorien. On se mit à table, la chère fut grande et délicate, tout était bon.

Nous passâmes dans mon cabinet, où la musique était toute prête. J’avais fait venir les musiciens de Bourges, et je me mis au clavecin pour accompagner.
(…) Le concert commença.

Il était composé d’un dessus et d’une basse de viole, d’un théorbe, d’un violon et de mon clavecin ; nous ne jouâmes que des pièces que nous avions bien concertées. L’intendant paru charmé ; le concert dura jusqu’à six heures du soir.

On proposa la promenade ; nous n’avions été qu’à l’entrée du parc, nous allâmes jusques à la grille et nous vîmes sur la petite rivière une berge que j’avais fait faire depuis peu. Il y avait des sièges bien matelassés, au milieu une table longue couverte de tous les fruits de la saison ; les demoiselles, qui ne s’y attendaient pas, furent ravies, et mangèrent bien des pêches.

Nous nous promenâmes pendant plus d’une heure et demie, et quand on eut fait collation, je proposai de donner la comédie à M. l’intendant ; j’avais appris à mademoiselle de La Grise une scène de Polyeucte. (…)

La petite de La Grise ne joua pas mal. La nuit approchait, on rentra dans le parc, il y avait encore du chemin, les carrosses étaient prêts ; la compagnie s’en alla fort contente de la réception que je lui avais faite, et ma paroisse ne s’en trouva pas mal ; M. le curé n’oublia pas de la recommander à M. l’intendant. »

Mémoires de l’abbé de Choisy. Paris, Mercure de France, 1966/2000, pp. 498-499.

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En 1731, Jean-Jacques Rousseau, âgé de 19 ans se rend de Paris à Lyon. Voyageant à pied, il s’égara dans la campagne.
Signalons que Rousseau ayant grandi à Genève, fils d’un horloger, n’est pas très au courant de la réalité française, ce qui explique sa naïveté.

« (…) Après plusieurs heures de course inutile, las et mourant de soif et de faim, j’entrai chez un paysan dont la maison n’avait pas belle apparence, mais c’était la seule que je visse aux environs. (…) Je priai celui-ci [le paysan] de me donner à dîner en payant. Il m’offrit du lait écrémé et du gros pain d’orge, en me disant que c’était tout ce qu’il avait.(…) Ce paysan qui m’examinait, jugea la vérité de mon histoire par celle de mon appétit.

Tout de suite, après m’avoir dit qu’il voyait bien que j’étais un bon jeune honnête homme qui n’étais pas là pour le vendre [= trahir], il ouvrit une petite trappe à côté de sa cuisine, descendit, et revint un moment après avec un bon pain bis de pur froment, un jambon très appetissant, quoique entamé, et une bouteille de vin (…) et je fis un dîner tel qu’autre piéton n’en connut jamais. Quand ce vint à payer, voilà son inquiétude et ses craintes qui le reprennent; il ne voulait point de mon argent, il le repoussait avec un trouble extraordinaire ; et ce qu’il y avait de plaisant était que je ne pouvais imaginer de quoi il avait peur. Enfin, il prononça en frémissant ces mots terribles de Commis [employé du fisc] et de Rats-de-Cave [ils visitaient les caves pour empêcher les fraudes]. Il me fit entendre qu’il cachait son pain à cause de la taille, et qu’il serait un homme perdu si l’on pouvait se douter qu’il ne mourût pas de faim. Tout ce qu’il me dit à ce sujet, et dont je n’avais pas la moindre idée, me fit une impression qui ne s’effacera jamais.

Ce fut là le germe de cette haine inextinguible qui se développa depuis dans mon coeur contre les vexations qu’éprouve le malheureux peuple et contre ses oppresseurs. Cet homme, quoique aisé, n’osait manger le pain qu’il avait gagné à la sueur de son front, et ne pouvait éviter sa ruine qu’en montrant la même misère qui régnait autour de lui.(…) »

Jean-Jacques Rousseau, Confessions. (livre IV)

(Cité par Maurice Rat et Pierre Richard, Textes sur la civilisation des Temps modernes, classe de 4e, collection nouvelle d’humanités françaises, Fernand Nathan, Paris, 1950, pp. 120-121)

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Les impôts, exemple de la paroisse de Fleys

« La paroisse de Fleys est composée d’environ cent dix habitants. Son territoire est d’une très petite étendue, il consiste en un tiers de mauvaises terres labourables, un tiers de vignes et un tiers en terrains vagues et bois. Les bois et les meilleures terres et vignes appartiennent au Seigneur (sic) de Fleys ; il y a encore des prés en très petite quantité, dont la majeure partie appartient audit seigneur.

Les terres, vignes et prés sont chargés de cinq sols par arpent (1) de cens envers le Seigneur (sic) (…). Il est dû au curé (…) la vingt et unième gerbe des grains.

Les habitants doivent la banalité à leur Seigneur (sic), du moulin, du four public et des pressoirs. Le droit du moulin est la vingt-quatrième, le droit du four est la vingt et unième livre de pain, et le droit de pressoir est le vingtième du vin pressuré.

Les habitants de Fleys sont très surchargés en taille et vingtièmes, et les impositions se trouvent supportées par les habitants, qui possèdent chacun en particulier, peu de propriétés, les plus grosses propriétés étant possédées par des privilégiés exempts de taille. »

(1) arpent : surface variant entre 20 et 50 ares.

Cité dans : JADOULLE, J.-L. et TIHON, A., Racines du futur, t. III : Du XVIIIème siècle à 1918, Bruxelles, Didier Hatier, 1992, p. 16.

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Le marquis d’Argenson (1694-1757), membre du gouvernement, ministre des Affaires étrangères de Louis XV en 1744 , a laissé des « Mémoires » dont voici un extrait se rapportant à l’année 1739 qui connut un très mauvais climat.

« La disette vient d’occasionner trois soulèvements dans les provinces à Ruffec en Angoumois, à Caen et à Chinon. On a assassiné sur les chemins des femmes qui portaient des pains. Cette simple nourriture y est plus enviée aujourd’hui qu’une bourse en or en d’autres temps, et, en effet, la faim pressante et l’envie de conserver ses jours excuse plus le crime que l’avarice d’avoir des moyens accumulés pour les besoins à venir. La Normandie, cet excellent pays, succombe sous les excès des impôts et sous la pression des traitants [les financiers qui traitaient avec l’Etat pour affermer les impôts]. La race des fermiers [ceux qui louent une terre] y est perdue ; (…)tout périt, tout succombe. M. le duc d’Orléans porta l’autre jour au Conseil un morçeau de pain de fougère ; à l’ouverture de la séance, il le mit devant la table du Roi et dit : »Sire, voilà de quel pain se nourrissent aujourd’hui vos sujets ! » (…)
L’évêque de Chartres a tenu des discours singulièrement hardis au lever du Roi [cérémonie publique] et au dîner de la Reine; tout le monde le poussa à les redoubler. Le Roi l’interrogeant sur l’état de ses peuples, il a répondu que la famine et la mortalité y étaient; que les hommes mangeaient l’herbe comme les moutons et crevaient comme des mouches, et que bientôt on allait y voir la peste, ce qui était pour tout le monde (et il y comprenait Sa Majesté). »

Le marquis d’Argenson , Mémoires.

(Cité par Maurice Rat et Pierre Richard, Textes sur la civilisation des Temps modernes, classe de 4e, collection nouvelle d’humanités françaises, Fernand Nathan, Paris, 1950, pp. 121-122).

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Fiche de famille du XVIIIème

Voici, parmi des milliers d’autres, une fiche de famille reconstituée. Cette famille vivait au 18ème siècle dans une petite paroisse rurale de l’Ouest de la France, peuplée partie d’agriculteurs, partie de tisserands, la Chapelle-du-Genêt, près de la petite ville de Beaupréau en Anjou :

– François Brunetière, 29 ans, tisserand de cette paroisse, veuf de Marie Minault (décédée le 4 décembre 1758), fils de défunt Jean Brunetière, tisserand, et de défunte Jeanne Grasset ;

– Marguerite Morinière, 26 ans, de Saint-Martin de Beaupréau, fille de défunt Joseph Morinière, tisserand, et de défunte Anne Mary,

mariés le 27 novembre 1759 (ni l’un ni l’autre ne signe l’acte).

– François, né le 28 janvier 1761, décédé le 23 février 1761.

– Joseph, né le 31 mars 1762 (encore vivant en 1800).

– François, né le 30 mars 1764 (encore vivant en 1800).

– Marie-Marguerite, née le 22 mars 1768, décédée le 13 février 1791.

– « anonyme », né le 21 mai 1770, décédé le 21 mai 1770.

– Renée, née le 11 mai 1772, décédée le 28 octobre 1773.

François Brunetière meurt le 27 octobre 1784.

Marguerite Morinière meurt le 11 octobre 1788.

Cité dans « Histoire Seconde« , sous la direction de R. Frank, éditions Belin, 1987, p. 40.

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La vie d’un « manouvrier »

Extraits du journal d’André-Hubert Dameras, manoeuvrier dans un village des Ardennes :

1774. « 11 juin : mariage de Louis XVI, roy de France. On vend le blé 20 livres. On fait sécher les seigles sur des draps pour faire du pain. »

« 14 novembre : on a fait un procès au seigneur pour les trèfles qu’il avait plantés sur une terre du village ; cela coûtera beaucoup à la paroisse. »

1775. « février : la petite vérole est à Hannogne ; il meurt beaucoup d’enfants. On bâtit une belle grange dans la ferme du seigneur. »

« Aujourd’huy 11 juin, Louis XVI, roy de France, est venu se faire sacrer à Reims en grande cérémonie. »

« La moisson a commencé le 3 août ; bonne récolte, le blé coûte 17 livres, le vin coûte 45 livres. »

1776.  » Août : on vend le blé 18 livres et le vin 30 livres. »

1781. « La moisson a commencé le 17 juillet, fini le 4 août ; bon blé, on le vend 12 livres ; le vin 60. Nous les manouvriers, on mange, mais les fermiers se plaignent. »

1782. « Le blé coûte de moins en moins, 9 livres. On dit qu’il y a trop de vin. »

1784.  » On a commencé cette année à scier les blés à la faux. Le blé coûte 12 livres, le vin 30. »

1785. « Moisson du 8 au 29 août. Le blé est à huit livres, le vin à 30. »

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Agriculture : différences entre la France et l’Angleterre

« Dans plus des sept huitièmes du royaume de France, les bois et les vignes exceptés, toutes les spéculations, tous les efforts du cultivateur ont pour objet de recueillir du blé. C’est la vente du blé qui lui fait rentrer les fonds nécessaires pour satisfaire au payement de l’impôt, à la redevance due au propriétaire, à tous les frais d’exploitation. La culture des mars produit que de quoi nourrir les chevaux et bestiaux ; tout est consommé dans la ferme. Enfin les terres restent en jachère pendant la troisième année. L’agriculture de la plus grande partie des provinces de France, telles que la Beauce, peut donc être considérée comme une grande fabrique de blé ; les bestiaux ne sont que les instruments employés pour cultiver et pour fumer, et le bénéfice qu’ils procurent n’est qu’un léger accessoire.

Le système de culture anglaise est presque l’inverse de celui que nous venons d’exposer : dans la plupart des fermes, on ne cultive presque de blé que ce qui est nécessaire à la nourriture de ceux qui les exploitent, et parce que d’ailleurs on ne peut se passer de paille dans une ferme ; mais ce n’est pas sur cette culture qu’est fondé principalement le bénéfice de l’exploitation. On cultive pour élever et nourrir des bestiaux, et c’est vers leur vente et leur commerce que se dirige tout le plan de culture. Une seule année sur trois, quelquefois sur quatre et même davantage, est consacrée à la nourriture des hommes ; toutes les autres sont destinées à la nourriture des animaux. Dans toutes les provinces où l’agriculture est parvenue à un très grand degré de prospérité, c’est-à-dire dans le plus grand nombre, les terres ne se reposent jamais, et ce que nous appelons année de jachères est destiné à la culture du trèfle, des turneps ou gros navets, et cette récolte, qui est un objet très considérable, est en pur bénéfice, puisqu’elle est recueillie sur un sol qui ailleurs ne produit rien.»

Extrait, Lavoisier, Mémoires présentés à l’Assemblée de l’Orléanais, 1787 , p. 259-260
sur http://histsciences.univ-paris1.fr/i-corpus/lavoisier/index.php (de nombreux textes de Lavoisier très intéressants)

Dans la même veine, on trouve les textes d’Arthur Young sur http://abu.cnam.fr/BIB/auteurs/younga.html

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L’ÉTAT D’ESPRIT DU PAYSAN FRANÇAIS AVANT 1789 selon Alexis de Tocqueville

« Imaginez, je vous prie, le paysan français du XVIIIe siècle, ou plutôt celui que vous connaissez ; car c’est toujours le même : sa condition a changé, mais non son humeur. Voyez-le (…) si passionnément épris de la terre qu’il consacre à l’acheter toutes ses épargnes et l’achète à tout prix. Pour l’acquérir, il lui faut d’abord payer un droit, non au gouvernement, mais à d’autres propriétaires du voisinage, aussi étrangers que lui à l’administration des affaires publiques, presque aussi impuissants que lui. Il la possède enfin ; il y enterre son coeur avec son grain. Ce petit coin de sol qui lui appartient en propre dans ce vaste univers le remplit d’orgueil et d’indépendance. Surviennent pourtant les mêmes voisins qui l’arrachent à son champ et l’obligent à venir travailler ailleurs sans salaire. Veut-il défendre sa semence contre leur gibier : les mêmes l’en empêchent ; les mêmes l’attendent au passage de la rivière pour lui demander un droit de péage. Il les retrouve au marché, où ils lui vendent le droit de vendre ses propres denrées ; et quand, rentré au logis, il veut employer à son usage le reste de son blé, de ce blé qui a crû sous ses yeux et par ses mains, il ne peut le faire qu’après l’avoir envoyé moudre dans le moulin et cuire dans le four de ces mêmes hommes. C’est à leur faire des rentes que passe une partie du revenu de son petit domaine, et ces rentes sont imprescriptibles et irrachetables.

Quoi qu’il fasse, il rencontre partout sur son chemin ces voisins incommodes, pour troubler son plaisir, gêner son travail, manger ses produits : et quand il a fini avec ceux-ci, d’autres, vêtus de noir, se présentent, qui lui prennent le plus clair de sa récolte. Figurez-vous la condition, les besoins, le caractère, les passions de cet homme, et calculez, si vous le pouvez, les trésors de haine et d’envie qui se sont amassés dans son cœur. »

Alexis de TOCQUEVILLE, « L’Ancien Régime et la Révolution » [1856], Livre II, chapitre premier, in Alexis de TOCQUEVILLE, « De la démocratie en Amérique. Souvenirs. L’Ancien Régime et la Révolution. » Paris, Robert Laffont, coll.  » Bouquins « , 1986, 1178 p., p. 973.

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Les classes de la noblesse selon le cardinal de Bernis (1715-1794)

« La profession militaire ou législative, premier attribut de la noblesse ; l’ancienneté de la race, second attribut ; l’illustration acquise, soit par la grandeur des emplois exercés, soit par la grandeur des alliances contractées, troisième attribut ; le pouvoir et la domination sur quelque partie de l’Etat, quatrième attribut ; enfin la pureté de la noblesse qui consiste dans la descendance des pères et des mères véritablement nobles, et l’authenticité de la noblesse, qui doit être prouvée principalement par l’opinion publique, par l’histoire et plus particulièrement par des actes de famille non suspects, sont les attributs nécessaires et essentiels de la véritable et grande noblesse. Ainsi plus on compte dans nos familles de grands hommes, plus nos pères ont fait briller de vertus militaires ou civiles, plus ils ont versé de sang pour le salut ou le bien de l’Etat, plus aussi nous sommes fondés à croire que nous appartenons à la première classe de la noblesse. Si à cette succession de vertus héréditaires se joint l’idée de l’ancienneté de la race et que l’origine s’en perd dans la nuit des temps, qu’à ces avantages se joignent encore la possession de grandes charges ou de grandes terres, la pureté du sang et l’authenticité des preuves, la grandeur des alliances ou des dignités, on aura réuni tous les attributs qui remplissent la totalité de l’idée attachée à la haute noblesse. On peut ranger dans cette première classe les descendants des souverains de quelque Etat, ou de quelques provinces, pourvu que cette descendance soit bien prouvée, et que cette race n’ait jamais dérogé.

Je mettrais à la seconde classe les maisons anciennes qui, n’ayant pas produit de grands hommes, ni possédé de grandes dignités, ni contracté des alliances avec des souverains, ont cependant joui d’un domaine étendu et servi l’Etat dans des emplois honorables.

La troisième classe de la noblesse devrait être composée de ceux qui, ayant été ennoblis depuis trois ou quatre siècles, ont illustré leur origine par de grandes vertus ou de grands services et contracté des alliances avec la haute noblesse.

J’inscris dans la quatrième classe tous ceux qui, ennoblis depuis peu, ont acquis la noblesse par le service militaire.

À la cinquième classe, tous ceux qui ont acquis depuis peu la noblesse par la magistrature, parce qu’après la défense de l’Etat, rien n’est si noble que de rendre la justice.

À la sixième, tous ceux qui ont acquis la noblesse depuis peu par le commerce fait en grand, parce que rien n’est si noble que d’enrichir l’Etat et de le rendre considérable aux yeux des autres nations.

À la septième, tous ceux qui ont acquis la noblesse depuis peu par des ouvrages immortels de prose ou de poésie, parce rien n’est si noble que les talents de l’esprit et que ce qui augmente la gloire de sa nation.

À la huitième, tous ceux qui ont acquis la noblesse depuis peu par des ouvrages supérieurs de peinture, d’architecture, de sculpture, etc., parce que rien n’est si noble que les arts purement libéraux ; ils ennoblissent, en effet, le siècle où ils sont exercés avec gloire.

Je ferais une classe à part pour tous ceux qui auraient acquis depuis peu la noblesse par des ouvrages utiles à la cultivation des terres, à la population, à la conservation des hommes et à la navigation ; il est inutile d’en dire la raison : tout bon citoyen doit la sentir.

Les héros en tout genre, qui ont acquis personnellement la noblesse doivent être élevés à la première classe, parce que la vertu est le principe de la noblesse. Il serait honteux pour elle que Fabert et Catinat fussent comptés parmi les nouveaux nobles, mais il est juste que leurs descendants soient rangés dans la classe qui leur appartient.

Enfin j’inscris, et même à regret, dans la dernière de toutes les classes de la noblesse, ceux qui l’ont acquise depuis un siècle seulement par de l’argent, parce que rien n’est plus ignoble et peut-être plus injuste que d’obtenir le prix de la vertu avec de l’argent qui est souvent le fruit du vice. Je sais qu’il faut réparer les anciennes races par de nouvelles, et que le corps de la noblesse s’épuiserait enfin s’il n’était régénéré ; mais la profession des armes et l’administration de la justice sont des sources assez fécondes pour remédier à l’épuisement des anciennes familles sans être obligé de faire acheter ce qui n’a point de prix. »

Mémoires du cardinal de Bernis. Paris, Mercure de France, 1980. Réimpr. 2000, p. 165-167.

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Vieille noblesse et nouvelle bourgeoisie

« Le reste de cette ancienne noblesse languissait dans la pauvreté et ressemblait à ces chênes antiques mutilés par le temps, dont il ne reste que le tronc dépouillé. N’étant plus convoquée soit pour le service militaire, soit pour les états de provinces ou pour ceux du royaume, elle avait perdu son ancienne hiérarchie. Si les titres honorifiques s’étaient maintenus dans quelques illustres ou anciennes familles, ils étaient aussi le partage d’une multitude de nouveaux nobles qui avaient acquis, par leurs richesses, le droit de s’en revêtir arbitrairement. La plus grande partie des grandes terres titrées était devenue l’apanage des financiers, des négociants ou de leurs descendants. Les fiefs, pour la plupart, étaient entre les mains des bourgeois des villes. La noblesse enfin n’était plus distinguée des autres classes des citoyens, que par les faveurs arbitraires de la cour et par des exemptions d’impôts, moins utiles pour elle-même qu’onéreuses pour l’État et choquantes pour le peuple. Elle n’avait rien conservé de son ancienne dignité et de sa première considération ; il lui restait seulement la haine et la jalousie des plébéiens. (…)

À Paris et dans les grandes villes, la bourgeoisie était supérieure en richesses, en talents et en mérite personnel. Elle avait dans les villes de provinces la même supériorité sur la noblesse des campagnes ; elle sentait cette supériorité, cependant elle était partout humiliée; elle se voyait exclue, par les règlements militaires, des emplois dans l’armée ; elle l’était, en quelque manière, du haut clergé, par le choix des évêques parmi la haute noblesse, et des grands vicaires en général parmi les nobles ; elle l’était de plusieurs chapitres de cathédrale. La haute magistrature la rejetait également, et la plupart des cours souveraines n’admettaient que des nobles dans leur compagnie. Même pour être reçu maître des requêtes, le premier degré dans le conseil d’Etat qui menait aux places éminentes d’intendant, et qui avait conduit les Colbert et les Louvois et tant d’hommes célèbres aux places de ministres d’État, on exigeait dans les derniers temps des preuves de noblesse.  »

In Marquis de Bouillé, Mémoires, Paris, 1821.

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