Le parcage des bêtes à laine
Les notes qui suivent sont extraites des instructions qui furent publiées, en Languedoc, en 1785, à propos du parcage des moutons et de son intérêt pour l’agriculture.
Si l’usage de faire parquer les bêtes à laines sur les terres destinées à la culture du froment, et même de beaucoup d’autres plantes, est avantageuse dans les années ordinaires, il devient indispensable cette année, pour suppléer à la disette des pailles, et pour empêcher que les désastres de la sécheresse n’influent sur les récoltes suivantes. C’est dans la vue de répandre de plus en plus cette pratique importante, de l’introduire dans les Provinces ou elle n’a pas lieu, d’engager dans les autres les cultivateurs à mettre plus de bêtes à laine au parc; enfin pour leur donner des principes certains qui puissent leur servir de règle, que la présente instruction a été rédigée.
1) De l’étendue du parc et de la manière de le former:
Faire parquer les moutons, c’est les renfermer dans une enceinte de claies, sur la porion de terrein qu’on veut fertiliser. Une bête à laine peut fumer dans un parc environ 10 pieds quarrés de surface; un troupeau de 300 bêtes fécondroit par conséquent 3000 pieds quarrés en un seul parc, et si on le change de place 3 fois dans les 24 heures, il ne faudra guère plus de 5 jour pour fumer 1 arpent, mesure du Roi; c’est-à-dire un espace de 100 perches quarrés, de 22 pieds chacune: on fumera donc avec 300 bêtes, environ 6 arpents par mois, et comme le parc peut durer 3 à 4 mois, un fermier qui a 300 bêtes à laine fumera facilement 20 arpents.
Les claies qui forment le parc, doivent réunir 2 qualités:
– il faut qu’elles soient assez hautespour que les loups ne puissent pas sauter par-dessus,
– qu’elles soient assez légères pour que le berger puisse les transporter facilement.
La proportion la plus ordinaire est de 4 pieds 1/2 à 5 pieds de hauteur, et de 7, 8 ou 9 de longueur. On les construit de baguettes de coudrier ou de tout autre bois léger et flexible, entrelacées entre des montans un peu plus gros que les baguettes. On en fait aussi avec des voliges assemblées ou clouées sur des montans.
On laisse aux claies faites avec le coudrier 3 ouvertures placées à la hauteur de 4 pieds; l’une au milieu de 6 pouces de large sur 1 pied de longueur, les 2 autres aux 2 bouts (ces 2 dernières, de 3 pouces seulement de largeur sur 1 pied de longueur, servent à passer le bout des crosses destinées à soutenir les claies).
On donne le nom de crosses à des batons de 7, 8 ou 9 pieds de longueur, ayant au gros bout un courbure qui forme patte, qui est percée d’un trou, et qu’on fixe en terre avec un piquet; le bout le plus menu destiné à passer dans les ouvertures des claies, est percé de 2 trous où l’on place des chevilles de 9 à 10 pouces de long. Ces chevilles sont espacées et disposées de manière qu’en faisant anticiper 2 claies une sur l’autre, au point que l’ouverture, de la droite de l’un corresponde à celle de la gauche de l’autre, les 2 claies se trouvent serrées l’une sur l’autre par les 2 chevilles lorsque le gros bout de la crosse touche à terre.
Lorsqu’un berger veut former un parc, il le commence communément au coin du champ; il y dispose ses claies quarrément, en attachant celles de l’angles avec des ficelles; il soutient toutes les autres par le moyen des crosses. La croose entre aisément toute armée de ses chevilles dans les ouvertures correspondantes des 2 claies, en présentant les chevilles selon la longueur; on ne fait passer que la première cheville et retournant la crosse à l’équerre, on tient les 2 claies prises entre les 2 chevilles qui débordent de 3 à 4 pouces de chaque côté les 2 montans, l’ouverture étant moins large que longue: l’une de ces chevilles se trouve ainsi derrière le montant et l’autre devant; ensuite on abaisse contre terre le gros bout de la crosse et on l’enfonce avec un maillet la clé ou le piquet qui, traversant la patte de la cosse, assure tout l’édifice.
Pour transporter chaque claie, le berger passe le bout de sa houlette, ou souvent même le bout d’une crosse lorsqu’elles sont assez fortes, dans l’ouverture qui est au milieu de la claie; il appuie son dos contre cette claie, il la soulève et la porte en faisant passer la houlette sur son épaule, et en la tenant ferme avec les 2 mains; l’on peut aussi transporter les claies en passant le bras droit à travers la voie du milieu.
Lorsque le parc a été une fois commencé au coin du champ, on le continue de proche en proche dans toute son étendue, en ne relevant jamais à chaque changement que 3 côtés de claies, le 4ème sert pour le nouveau parc. Le berger doit toujours avoir soin de tracer son parc pendant le jour, et d’en marquer les extrémités avec des piquets garnis de chiffons blancs, afin qu’il les puisse apercevoir pendant la nuit lorsqu’il changera de parc, et qu’ils lui servent de guide.
La grandeur du parc doit être proportionnée à la quantité de bêtes à laine que l’on veut parquer, et à la quantité de terre que chaque bête fertilise: on a vu plus haut que chaque bête à laine pouvoit fertiliser une étendue de 10 pieds quarrées; ce calcul est relatif au parc du soir. Il est aisé d’après celà de proportionner le nombre de claies à la force du troupeau: par exemple, il faut pour un parc de 50 bêtes 12 claies de 7 à 8 pieds de long, ou de 9 à 10 pieds; et pour un parc de 90 bêtes, 12 claies de 10 pieds; il en faut 2 de plus si les claies n’ont que 9 pieds, et 4 de plus si elle n’en ont que 8.
Il est aisé de calculer de même ce qu’il faut de claies pour un parc double, quand on veut éviter au berger la peine de le changer pendant la nuit. Ces calculs sont encore susceptibles de quelques variations, selon la taille et la force des bêtes à laines; il faut un plus grand espace pour la haute et longue espèce angloise et flamande; il en faut une moindre pour la petite espèce berrichone ou espagnole.
Le parc le plus petit que l’on puisse faire est de 50 bêtes; autrement la dépense nécessaire pour l’entretien du berger excéderoit le bénéfice; mais plusieurs cultivateurs peuvent réunir leurs troupeaux pour les faire parquer ensemble sous la conduite d’un même berger; de même un cultivateur industrieux peut louer des moutons pour le temps d’un parc seulement et réunir plusieurs petits troupeaux pour former un parc plus considérable.
2) De la manière de gouverner un parc:
La manière de gouverner un parc n’est pas la même dans toutes les saisons: dans les longs jours, on y fait entrer le troupeau une heure après le Soleil couché, c’est-à-dire vers 9 heures; alors, comme les herbes ont beaucoup de suc, comme la fiente et les urines sont très abondantes, un parc de 4 heures suffit pour amender la terre, et on le change 3 fois depuis le soir jusqu’au matin; la première à 1 heure du matin, la seconde à 5 heures et la troisième à 9 heures du matin.
Le dernier parc se fait de jour, et on peut même se dispenser de l’enfermer de claies, parce qu’on n’a point également à craindre d’être surpris par le loup: il suffit de placer des chiens de manière qu’ils contiennent les moutons dans l’espace destiné au parc, c’est ce que l’on nomme « parquer en blanc ».
On peut au surplus avancer ou reculer le changement du parc lorsqu’on le juge à propos; mais il faut alors les faire de grandeurs inégales, et leur donner d’autant plus d’étendue que les bêtes doivent y séjourner plus longtemps.
Lorsque le mois de Septembre arrive, les nuits sont plus longues, les bêtes à laine ont moins de temps pour pâturer, les herbes ont moins de suc, les urines et la fiente sont moins abondante; il faut alors ne faire que 2 parc par nuit, et si l’on continuoit à parquer pendant l’hiver, on n’en feroit qu’un par 24 heures.
La cabane du berger doit toujours être à côté du parc, afin qu’en ouvrant l’une des 2 portes, il puisse voir le troupeau; elle doit à cet effet être très légère et posée sur des roues pour être d’un transport facile: on la construit en bois, et il sufit qu’elle ait 6 pieds de long, 3 1/2 de large, et qu’elle soit couverte en paille ou en bardeau; elle doit contenir un matelas, des draps, une couverture et une placette pour placer quelques hardes et des provisions de bouche: les portes en doivent fermer à clé.
Les bergers sont dans l’usage de faire coucher les chiens à l’air dans le parc, ou en dehors près de la cabane: ces animaux que la Nature n’a point prémunis comme les moutons contre les intempéries des saisons, en sont quelquefois incommodés, et cet inconvénient devient d’autant plus grand qu’on prolongeroit le parc plus avant dans l’hiver.
On fait sortir les moutons du parc le matin pour les mener au paturage lorsque la rosée est passée, et on les gouverne au surplus de la même manière que s’ils vivoient dans les étables. On doit avoir soin en été de les mettre à l’ombre dans le milieu du jour pour les préserver de la chaleur du Soleil.
3) De la préparation des terres avant et après le parcage:
Comme les terres que l’on se propose de parquer sont en général destinées à recevoir du blé, il faut commencer avant d’y mettre le parc, par leur donner au moins 2 bons labours à plat, afin que l’urine pénètre plus facilement la terre.
Il est important de labourer promptement le champ après que le parc y a passé, afin de mêler la fiente et l’urine avec la terre avnt qu’il y ait évaporation; d’ailleurs pour peu que le terreins soit en pente, s’il vient des averses avant que le champ ait été labouré, une partie du crotin est emporté.
4) Du parcage des prairies naturelles et artificielles:
Le parcage dans les prés hauts esttrès avantageux, surtout pour leur rendre de la vigueur lorsqu’ils sont épuisés; mais il faut que la durée du parc soit beaucoup plus longue sur les près que sur les terres labourables. Dans les temps secs, on peut laisser le troupeau dans le même parc pendant 2 ou 3 nuits; mais dans les temps humides, il faut le changer tous les jours, parce que les excrémens de la veille saliroient les moutons: cette méthode fertilise admirablement les prairies et on peut l’appliquer avec succés aux luzernes, aux raygras, aux trèfles, au fromental; toutes ces plantes conservent leur verdure l’hiver, lorsqu’elles ont été parquées: il n’en est pas de même por le sainfoin, les moutons sont les ennemis de cette plante et le parcage la détruit au lieu de l’améliorer; on doit éviter d’établir le parcage dans les près bas, leur humidité seroit nuisible aux bêtes à laine.
5) Des avantages du parcage dans l’exploitation d’une ferme:
L’avantage du parcage est de fumer les terres sans consommer de pailles, et cet avantage est inappréciable, parce que c’est la paille qui manque presque toujours dans l’exploitation d’une ferme.
En supposant qu’un cultivateur fasse valoir une ferme de 2 charrues, ou de 50 arpens par sole, mesure du Roi; qu’il ait un troupeau de 300 bêtes à laine et 10 à 12 vache, il peut espérer dans une année ordinaire, et dans des terres de fertilité commune, d’obtenir 200 voitures de fumier, chacune de 40 à 50 pieds cubes; cette quantité répandue sur les 50 arpens destinés à être ensemencés en blé, ne donnera pour chacun que 4 voitures de fumier, et avec aussi peut d’engrais, il ne peut espérer que de très médiocre récolte.
Mais si ce même cultivateur envoie son troupeau au parc pendant 4 mois de l’année, d’après les calculs qui ont été présentés ci-dessus, il fumera environ 20 arpens; il ne lui en restera plus par conséquent que 30 à fumer, sur chacun desquels il pourra répandre 6 à 7 voitures de fumier, en sorte que son industrie aura produit sans augmentation de dépense, le même effet que si ses pailles eussent été augmentées de plus d’1/3.
Indépendamment de ces avantages, le parcage a celui de donner aux terres une fumure plus durable, et les avoines qu’on sème la seconde année s’en ressentent ancore sensiblement. Il seroit à souhaiter qu’on pût parquer de nouveau les mêmes terres au bout de 3 ans, et on prétend qu’elles eroient améliorées pour longtemps; mais la plupart des cultivaeurs n’ont pas assez de bestiaux pour parquer ainsi toutes leurs terres, et surtout pour les parquer 2 fois de suite.
6) du parcage de quelques autres animaux domestiques:
Les bêtes à laine ne sont pas les seuls animaux qu’on puisse mettre au parc; on pratique en Angleterre la même méthode pour les vaches et pour les cochons; le terrein où ils ont séjourné se trouve bien amendé et produit de riches récoltes. Comme le parcage de ces animaux n’exige aucune précaution particulière, on entrera dans aucun détail à ce sujet.
Source: Archives Départementales de l’Hérault, Série C, liasse n° 2846.