Honoré Gabriel Riqueti de Mirabeau [1749 – 1791] est l’une des figures majeures de la Révolution française. À la fois écrivain, diplomate et homme politique français, il se distingue en 1789 en devenant député du tiers état. Défigurée à l’âge de trois ans par une petite vérole mal soignée, il est destiné par son père à une carrière militaire. Mais il accumule les dettes, et son père finit par le faire emprisonner une première fois, via une lettre de cachet, sur l’île de Ré durant 6 mois.

Par la suite, Mirabeau est à nouveau enfermé à plusieurs reprises par son père par lettre de cachet au château d’If, au donjon de Vincennes ou encore au château de Joux, en Franche-Comté. Alors qu’il est emprisonné au donjon de Vincennes de 1777 à 1780, il fait la connaissance du Marquis de Sade enfermé à la même époque et avec lequel il s’entend très mal.

Il tire de cette expérience  un libelle très violent contre l’arbitraire de la justice de son temps intitulé Des lettres de cachet et des prisons d’État, publié une première fois en 1782. Dans ce texte, il dénonce l’arbitraire de la lettre de cachet en s’inspirant de sa propre histoire, mais pas uniquement.


C’est peut-être pour les avoir confondues que quelques personnes regardent l’usage des lettres de cachet comme un exercice légitime de la prérogative royale. Cependant les conséquences naturelles de ce principe suffisent pour en démontrer la fausseté ; car il entraîne l’anéantissement de toute propriété, et par conséquent de toute liberté.

En effet, quelle espèce de propriété peut-on compter à soi, si ce n’est celle de sa personne ? Quelle est la liberté dont on jouit dans un pays, où la propriété personnelle n’est pas garantie par les lois ? Ou l’ordre non motivé d’un ministre, quelquefois délivré à son insu, souvent accordée à la simple sollicitation d’un grand vindicatif, d’un homme accrédité, d’une favorite intrigante, d’un subalterne cupide qui a reçu le prix de sa partialité, suffit pour plonger un citoyen dans une prison, sans que le magistrat puisse venir à son aide, sans que la loi lui prête aucun secours, sans qu’aucun autre terme soit fixé à sa détention, que la volonté de celui-là même qu’il a ordonné plutôt de celui qui l’a obtenu ? N’est-ce pas là le pur despotisme ? [… ]

Extrait de l’introduction pages 3 et 4

[…] Et ce père que les filtres de l’amour et les poisons de la jalousie ont enivré… il se rend partie contre son enfant : une ville courtisane l’égare : il faut la venger, il faut assouvir ses fantaisies et prévenir ses craintes… « mon fils !… Mon fils ingrat ose chérir sa mère ; il ose la plaindre et gémir sur son infortune ! Ah c’en est trop : la mesure et comble : qu’il aille dans un cachot apprendre à respecter ce que j’aime : il ne portera plus un œil téméraire sur ma conduite et sur la gestion. […] Déjà cet homme obsède le ministre. Il expose ses angoisses paternelles : des fautes de jeunesse sont des crimes : l’excès de sensibilité, le feu des passions, ce créateur des grandes choses, sont autant de présages funestes… comment soupçonner un père d’être si cruel et si perfide ? Le ministre signe, il n’a rien examiné ; mais un père peut-il se tromper… oh ! Non, sans doute, pas même se tromper… le malheureux jeune homme est chargé de faire ; il est enseveli tout vivant dans un tombeau, peut-être lui en coûtera-t-il la vie, ce qui est plus cruel, la raison […] oh mes lecteurs ! Les noms des personnages manquaient ses tableaux ; mais vous sentez qu’ils sont tracés d’après nature… et ! Qui de nous ne connaît pas plusieurs exemples de pareilles iniquités ? Qui ne sait avec quelle facilité il s’accorde, ces ordres qui punissent des fautes comme des crimes ; qui enfouissent dans des cachots des générations entières, et quelquefois de grand talent ?

Extraits du chapitre 11 « la prérogative des emprisonnements arbitraires et indéfinis considérés relativement aux particuliers »

 

Source des extraits : Mirabeau Des lettres de cachet et des prisons d’État : ouvrage posthume, composé en 1778, Hambourg, 1782, extraits


Commentaires :

La lettre de cachet est à l’époque et est restée dans l’imaginaire populaire le symbole de l’arbitraire royal. Elle se définit avant tout comme la manifestation discrète et personnalisée de l’autorité royale, en opposition aux lettres « patentes », qui sont des actes souverains publics. Les lettres de cachet sont des lettres fermées signées du roi, souscrites par un secrétaire d’État. Elles sont utilisées pour convoquer un corps judiciaire, pour ordonner une cérémonie. Mais, le plus souvent, la lettre est un ordre individuel d’exil ou d’emprisonnement. En théorie, il ne s’agit pas d’une mesure arbitraire, mais d’une manifestation de la justice personnelle du souverain prise après une enquête et une délibération en Conseil. Une fois signée, la lettre est adressée à un officier qui la remet à la personne visée. L’ordre du roi expédiait ainsi cette dernière à la Bastille ou dans une forteresse désignée à cet effet pour une durée indéterminée. Mais elles étaient aussi un moyen pour les familles nobles et bourgeoises,  de se débarrasser d’un membre de leur famille embarrassant ou non conformiste, qui compromettait  leur honneur et leurs intérêts.

Ce fut le cas de Mirabeau dont le père n’hésita pas à en user.

Bibliographie indicative :

  • Arlette Farge et Michel Foucault Le Désordre des familles, présentation de Lettres de cachet des Archives de la Bastille, Collection Archives, Gallimard Julliard, 1982, 362 p. 
  • Claude QuételDe par le Roy. Essai sur les lettres de cachet, Toulouse, Privat, 1982, 242 p.
  • Jeanne-Marie Jandeaux, Le roi et le déshonneur des familles. Les lettres de cachet pour affaires de famille en Franche-Comté au XVIIIe siècle, Ecole Des Chartes Eds, 2017, 534 pages