Le 1er août 1936, la cérémonie d’ouverture de la 11ème olympiade se déroule à Berlin dans un cadre fastueux qui, pour autant, n’hypnotise pas complètement le journaliste Géo André chargé du compte-rendu des JO pour l’hebdomadaire Le Miroir des sports, et pour cause …

Portrait de Géo André, août 1920, Agence Rol

Georges Yvan André,  le  à Paris, grandit en Suisse dans un pensionnat situé sur les bords du lac Léman. L’établissement pratique l’enseignement à l’anglo-saxonne et donc, le sport. En 1902, ses parents reviennent à Paris et  l’inscrivent au lycée Janson-de-Sailly. Géo y pratique de nombreux sports : football, athlétisme, rugby à XV (puis plus tard l’aviation)… et se révèle très vite comme une graine de champion, ce qu’il confirme en s’imposant lors des championnats de France d’athlétisme de 1908. La même année, il participe aux Jeux olympiques à Londres et obtient la médaille d’argent au saut en hauteur. En 1914, il se voit décerner le titre de meilleur athlète complet.

Combattant de la Grande Guerre, il en sort vivant mais gravement blessé à la jambe en septembre 1914. Cela ne l’empêche pas de renouer avec le haut niveau dans les années 1920, sur tous les stades d’Europe, en athlétisme et au rugby, et notamment aux Jeux interalliés de 1919, aux J.O. d’Anvers 1920 et aux J.O. de Paris 1924 dont il est une des figures centrales, le Comité exécutif des Jeux l’ayant sélectionné pour prêter le serment olympique. Véritable idole des foules et athlète complet surnommé « Le Bison » (il mesure 1,88 m pour 85 kilos), Géo André se distingue aussi par ses activités parallèles qui lui assurent une seconde carrière dans les années 30.

Engagé politiquement à gauche, Géo André est nommé sous le Front populaire membre du Conseil supérieur de l’éducation physique et de la Commission sports et compétitions au sein du ministère de la Santé publique et de l’Éducation. Lors des législatives d’, Géo André se présente sous l’étiquette de l’Union socialiste dans la deuxième circonscription du 14ème arrondissement de Paris. Mais il ne transforme pas l’essai.

Enfin, Géo André est également journaliste sportif à La Vie au grand air (jusqu’en 1920), à L’Excelsior, à L’Intransigeant et au Miroir des sports où il est chef de la rubrique consacrée à l’athlétisme, de 1920 à 


Depuis le matin, dès la première heure, tout Berlin est sur pied. Plus de 100.000 jeunes gens et jeunes filles défilent à travers la ville, aux sons des tambours, en chantant des hymnes hitlériens. Sur l’avenue Unter den Linden défilent des équipes nationales, drapeaux déployés, cela pour offrir à la population berlinoise un spectacle auquel elle ne pourra pas assister de sitôt.
Cette journée est déclarée exceptionnelle. Quatre grands concerts et spectacles de danses, où s’exhiberont les meilleurs artistes, sont offerts gratuitement par l’organisation Force à travers Joie [Kraft durch Freude]. Des bataillons de Feldgrau en armes scandent le pas de l’oie sous les regards admiratifs d’une foule extraordinairement dense. Sur le parcours qui mène aux « Champs de Sport du Reich », les 100.000 jeunes gens prennent leurs dispositions pour aller se joindre aux innombrables troupes d’assaut nazies, costumées de noir, et autres troupes brunes qui feront une haie continue sur les 15 kilomètres que parcourra Hitler pour se rendre au stade. Tout Berlin est sur le pied de guerre. Tous les habitants sont dans la rue et massés le long des grandes artères qui conduisent vers le Stade Olympique le cortège officiel.

De très bonne heure, les 100.000 places du stade sont occupées. Le dirigeable Hindenburg croise lentement au-dessus du stade, à 500 mètres d’altitude. Tous les bras se tendent vers lui et s’agitent. Un gros trimoteur, qui certainement doit prendre un film des moindres péripéties de la réunion, fait entendre son ronron accentué. Il y a foule au dehors. Les organisateurs n’ont donc pas vu trop grand. Pourtant, le stade est énorme et ses dépendances plus impressionnantes encore. Les bâtisses sont simples, massives et remarquablement agencées. Les moindres choses ont été étudiées en détail et exécutées de telle façon que la preuve du génie organisateur allemand s’est une fois de plus affirmée. Mais ce génie ne veut pas s’en tenir à des jongleries administratives, il entend faire revivre aujourd’hui la plus belle époque de la civilisation grecque. On peut même affirmer, sans erreur, qu’il a ambitionné de faire mieux encore. Il veut mêler en un tout unique la plus belle jeunesse du monde moderne, l’art sous toutes ses formes, l’esprit vainqueur de la matière, la force physique sans laquelle l’esprit ne peut rien, et la science.

Toute cette cérémonie olympique se passe comme au théâtre, dans un ordre minutieusement établi. Elle a la même majesté, la même grandeur, la même noblesse des célèbres spectacles de Weimar. Nous assistons à une des plus nobles et une des plus grandioses manifestations que l’on puisse imaginer : le scénario conçu en 1896 à Athènes s’est, depuis, considérablement amélioré. Cette fois-ci, il s’est enrichi d’un faste nouveau. Au lâcher des 30.000 pigeons, aux trompettes antiques, au serment de l’athlète, aux hissers de drapeaux, se sont ajoutés des salves d’artillerie, la cérémonie du feu allumé par un des nombreux athlètes qui se sont relayés pour apporter d’Olympie même une torche allumée par les rayons du soleil, celle d’un hymne olympique écrit par Richard Strauss, qui a été admis comme étant dorénavant l’hymne officiel.

Les figurants se sont groupés sur le « Champ de Mai », que domine, à côté du stade, la haute tour où s’accroche la cloche olympique qui « appelle la jeunesse du monde ».

Tout va s’écouler comme prévu, c’est-à-dire de minute en minute, et même de demi-minute en demi-minute, si nous en jugeons selon un programme tout spécialement édité pour les 1.200 journalistes présents — premier record olympique de ces Jeux, comme le lit si justement remarquer notre confrère belge Bouin, président de l’Association internationale des Journalistes sportifs au ministre de la Propagande allemande Gœbbels, qui nous avait invités en un fastueux banquet.

Le tout s’exécute avec la ponctualité d’un chronomètre. À la seconde envisagée, Hitler et sa suite, debout dans une grosse torpédo noire, passe en bolide entre ses nombreux cordons de troupe.

A 15 h. 48′ il arrive sous la tour de la cloche. A 15 h. 51′ il passe en revue un bataillon d’honneur.

A 15 h. 55′, le voici au « Champ de Mai », où il est accueilli par le président du C. O. I. Du haut de l’une des tours du Stade, je le vois évoluer sans perdre de temps. Il salue.

A 15 h. 56 retentissent les trompettes de la fanfare olympique, dirigée par le major Winter — ne pas confondre avec notre représentant du disque.

A 16 heures, le Führer pénètre entre les deux tours qui encadrent la porte de Marathon, située à une des extrémités du stade.

A 16 h. 5, Hitler traverse le stade et se dirige avec une majesté calculée vers sa loge en avancée.

Cette ponctualité et cette précision se continuent jusqu’à la fin, jusqu’au moment où, après le défilé des nations, après l’ Alléluia de Haendel, et les fanfares finales des trompettes de Winter, le Führer, à 18 heures précises, quitte le stade.

Aussi, avons-nous l’impression que nous sommes devenus les marionnettes d’une colossale horloge moyenâgeuse de Nuremberg, où s’agitent de menus personnages qui doivent inexorablement et mécaniquement obéir à la cadence de rouages minutieusement montés au cours des quatre années qui ont précédé.

Le moment le plus pathétique est certainement celui où le Führer gravit, avec une majesté d’empereur, les marches qui le conduisent à sa place, au cœur du stade. De l’autre côté de la pelouse et de la piste sont situés l’orchestre et le chœur des 2.500 jeunes filles, tout de blanc vêtues, qui sont comme un champ de pâquerettes sur le versant de la colline formée par les hauts gradins d’en face. A ce moment, la foule exulte, trépigne, pousse des « Heil ! » à se briser les cordes vocales. Hitler, habillé de brun, ne sourcille pas, son masque est fixe comme celui d’une statue. Le Deutchland uber Alles et le Horst Wessel est entonné par 100.000 bouches, qui s’ouvrent sous une forêt de bras tendus en avant. La cloche olympique sonne pour la première fois. 50 groupes représentant 50 nations différentes — autre record — pénètrent tour à tour sur le stade par la porte de Marathon, qui fait communiquer le « Champ de Mai » avec l’intérieur du stade. La Grèce ouvre le cortège et l’Allemagne le ferme. Au cours de ce défilé, la foule manifeste sur les tonalités les plus différentes. Il est à remarquer que le ton est le plus élevé lorsque les représentants des nations adoptent le salut olympique, qui peut prêter à confusion avec le salut nazi. C’est ainsi que les Bulgares sont tout particulièrement applaudis. A cela, rien d’extraordinaire, étant donné que les représentants de cette nation abordent la piste le bras tendu et dans un impeccable pas de l’oie. Les Autrichiens sont également accueillis avec frénésie ; sur leur passage, on chante le Deutchland über alles et on pousse des « Heil » retentissants.
L’équipe française, qui se présente sous un jour excellent, est aussi accueillie par des ovations renouvelées. Elles se poursuivent d’autant plus longtemps que nos représentants gardent la position du salut olympique très au delà de la tribune d’où Hitler suit avec attention et une apparente impassibilité les moindres gestes de tous. Il est assez curieux de noter que le salut fait par toutes les nations est loin d’être le même. La majorité d’entre elles, 26 sur les 50 présentes, remplacent le salut olympique en retirant soit leurs casquettes, soit leurs chapeaux de paille raide ou de panama, soit en tournant la tête vers la tribune présidentielle. Au nombre de celles-ci, nous notons les nations britanniques et le Japon, qui défilent avec une dignité particulière.

Dans Berlin

Jamais les Jeux Olympiques n’ont été organisés avec une telle ampleur. Jamais ils n’ont encore accaparé à un tel degré tout un peuple. Les Allemands ont voulu réaliser une chose colossale : ils ont réussi. Pour cela, ils ont mis en ligne toutes leurs énergies, leurs hommes d’Etat, leurs architectes, leurs artistes, leurs ingénieurs, leurs organisateurs, leurs services de toutes sortes, leur armée ; principalement leur armée. Ils ont mobilisé un peuples de 60 millions d’habitants, car je ne crois pas être en dehors de la vérité en disant qu’il n’y a guère d’Allemands, dans le territoire du Reich, qui se désintéresse des Jeux Olympiques de 1936.

Dès que vous franchissez la frontière, vous êtes accueilli par des banderolles de bienvenue ; des anneaux olympiques couvrent les quais des moindres gares ; les habitants qui saisissent les moindres motifs pour manifester leurs gestes d’accueil aux trains qui viennent de l’étranger. Les moindres détails semblent avoir été étudiés. Ne m’a-t-on pas dit que, depuis une dizaine de jours, on apprend aux écoliers ce qu’ils devront répondre aux étrangers qui les questionneront. L’ordre a été donné d’illuminer sans arrêt et sans réserve. La ville de Berlin est noyée sous les drapeaux rouges, sur lesquels se détache la Svastika noire, dessinée sur cercle blanc.

Les blancs drapeaux olympiques, ornés des cinq anneaux classiques, apparaissent également en grand nombre. Il faut pavoiser, on pavoise sans retenue. […]

De toutes les gares débordent des foules provinciales qui se trouvent emportées par l’organisation nationale de « Kraft durch Freude » et n’auront de repos que lorsqu’elles reviendront dans leurs paisibles foyers. Elles retourneront chez elles imbues plus que jamais de la grandeur de leur pays qui a mis de nouveau en évidence son génie incontesté de l’organisation.
Aussi lorsqu’elles se trouvèrent au stade gigantesque de plus de 100.000 places pour assister à l’inauguration fastueuse du stade ; lorsque le docteur Lewald,
dans son discours d’ouverture, distribué la veille à la presse, déclara que :
Le sanctuaire des Grecs, fondé il y a près de quatre millénaires par des migrateurs venus du Nord et de notre patrie allemande, et parla du village olympique dont nous devons la création à l’armée allemande. Oui, l’armée allemande a puissamment contribué par cette création, au succès de nos Jeux pacifiques, et c’est là une belle image de son véritable caractère ;
… ces foules furent hypnotisées à un degré qu’il est bien difficile de décrire.

Géo André «Une nouvelle inauguration des jeux de la 11ème olympiade au pays qui a le goût du colossal et le génie de l’organisation», Revue le Miroir des sports, 4 août 1936, pages 13-14 extraits. L’article complet est disponible ICI 

Fritz Schilgen le dernier relayeur de la flamme olympique et qui procéda à l’allumage de la vasque.

 

Pour aller plus loin :

  • Johann Chapoutot, Le national-socialisme et l’Antiquité, Paris, PUF, 2008, 532 p.
  • Johann Chapoutot « Comment meurt un Empire : le nazisme, l’Antiquité et le mythe », Revue historique, vol. 647, no. 3, 2008, pp. 657-676. Disponible ICI