«La dépopulation !… ça devient une jérémiade à la mode. Les pleins de truffes nous clabaudent aux oreilles ou bien gribouillent dans leurs sales canards : « le pays se dépeuple ! le nombre des naissances décroît !… qué que nous allons devenir ?… » et patati et patata – on nous sert un tas de rengaines de la même tinette.
II parait que les Françaises de notre fin de siècle en pincent un tantinet pour être fin-de-race : quand avec un gasGars. qui leur a tapé dans l’œil, elles s’amusent à faire la bête à deux dos, elles prennent tellement de précautions qu’il est bien rare qu’il en résulte une enflure avec polichinelle au tiroir.
Ça ne fait pas le joint des capitales qui ont le trac qu’à ce jeu – un de ces quatre matins – la chair humaine se fasse rare sur le marché du travail.
Pensez donc ! Si les filles du peuple se mettent à imiter les bourgeoises, – à restreindre la production des gosses […]
Non seulement il pourrait arriver que les turbineurs tirent profit de leur rareté pour se faire plus canulants qu’un boisseau de puces et exiger des tas de choses de leurs patrons ; mais encore le recrutement des troubades serait rendu cotonneux.
Et ce n’est fichtre pas tout ! Les gosselines que les vieux porcs de la haute aiment tant flairer se feraient rares […]
Que faire pour enrayer ce danger ?
Voilà ce qui tourneboule les chameaucrates ! […]
Ce qu’ils ont trouvé de moins andouillards, c’est de seriner d’un air patriotard : ils nous ont raconté […] que les Allemandes mettent les bouchées doubles et accouchent d’une telle ribambelle de momignards qu’il y a débordement de la chair à turbin, de chair à mitraille, de chair à plaisir.
II s’en suit que si les Françaises, par patriotisme, ne se fichent pas à faire concurrence sur ce terrain aux pondeuses de Guillaume le Teigneux, d’ici peu, nous serons inondés par les Germains. Ohé les chameaucrates, tachez de dégotter une couleuvre un peu moins gondolante! […] il y a des limites.
Puis, savez-vous, au lieu de jérémier, pourquoi ne prêchez-vous pas l’exemple ? Pourquoi vos guenons ne commencent-elles pas le repeuplement ?
Ce serait à elles, qui ont un patrimoine à défendre, plutôt qu’à nous, qui ne possédons rien… à alimenter les casernes.
Mais voilà, les richardes ont les pieds plats […] elles veulent conserver leur ventre idem !
C’est donc toujours la vieille balançoire que les pleins de truffes nous serinent : « faites ce que je dis, et non ce que je fais ».
Et bien tristes birbes, je veux être chouette avec vous : puisque vous semblez désorientés, je vais vous servir un remède contre le dépopulage.
Et il est moins cruche que votre montage de coup patriotocard.
Voici : ce qui fait que les bonnes bougresses refoulent à la maternité c’est qu’elles songent avec terreur que les gosses sont rudement difficiles à nourrir. Or, il n’y a rien qui fende davantage le cœur que d’entendre geindre un enfantelet et n’avoir rien pour freiner sa fringale.
D’autre part, savez-vous bien qu’en prenant les gosselines toutes jeunettes et en les enfournant dans vos bagnes industriels, vous leur entravez la maternité ; si vous étiez moins rapiats, si vous vous contentiez d’exploiter les hommes sans encore prendre les femmes et les enfants, vous n’auriez pas à chialer contre le dépopulage.
Autre chose encore : vous faites mille misères aux pauvrettes qui, ne sachant encore rien de l’existence, se laissent aller à la bagatelle et font des gosses sans vous demander la permission. Leur en faites-vous endurer à ces malheureuses !
Vous êtes plus furieux de leur désobéissance que joyeux de voir naître un môme qui deviendra votre proie !
Tas de crétins !
Si vous en pincez réellement pour que le populo repeuple, voici : Faites risette aux filles-mères !… supprimez la misère !… […]
Heu, heu ! Je vous vois hocher la tête. Ce n’est pas dans vos cordes. Je m’en doutais nom de dieu !
Au remède, vous préférez la conservation du mal. Pour lors, taisez vos gueules !
Et, sachez-le, ce mal : le dépopulage ! continuera à exister jusqu’au jour où le populo aura le nez assez creux pour appliquer mon remède !»
cité dans Claire Fredj, Histoire sociale du XIXe siècle, Hachette supérieur, 2001, p. 26-27.
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