Charles Seignobos (1854-1942), professeur à la Sorbonne, a été l’un des historiens les plus influents de la troisième République avant 1914. On lui doit l’élaboration avec Charles-Victor Langlois d’une véritable méthode scientifique de l’histoire reposant sur l’étude critique minutieuse des documents. Ses ouvrages Introduction aux études historiques publié en 1897 en collaboration avec C-V Langlois suivi en 1901 de La méthode historique appliquée aux sciences sociales ont marqué plusieurs générations d’historiens, avant l’avènement de l’école dite des Annales, à la fin des années 20.
Charles Seignobos a également marqué l’enseignement secondaire français par la publication de toute une série de précis ou de manuels d’histoire des civilisations.
Le texte ci-dessous est un extrait d’une conférence prononcée par Charles Seignobos en  1907 sur «L’enseignement de l’histoire comme instrument politique». Il y défend l’importance pour la formation du futur citoyen  de l’enseignement de l’histoire,  qu’il définit comme une science sociale   « partie de la culture générale par ce qu’il fait comprendre à l’élève la société où il vivra et le rendra capable de prendre part à la vie sociale ».
Cette définition de la finalité de l’enseignement de l’histoire reste largement d’actualité.
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La finalité de l’enseignement de l’histoire selon Charles Seignobos

Si de l’histoire on a fait une matière commune à tous les élèves de l’enseignement secondaire, c’est qu’on l’a crue capable d’améliorer un genre d’intelligence et d’activité utile non à une partie seulement des élèves mais à toute la nation…

Le monde qu’il s’agit de comprendre est complexe : il y faut plusieurs espèces d’enseignements. Les mathématiques introduisent l’élève dans le monde des formes et des mouvements. Les sciences physiques et biologiques lui font comprendre le monde de la nature matérielle. L’histoire lui montre le monde social. Ainsi l’enseignement historique est une partie de la culture générale par ce qu’il fait comprendre à l’élève la société où il vivra et le rendra capable de prendre part à la vie sociale.

L’histoire étudie des événements humains, où sont engagés des hommes vivant en société. Comment l’étude des sociétés peut‑elle être un instrument d’éducation politique ? Voilà une première question. ‑ L’histoire étudie la succession des temps de façon à faire percevoir les états successifs des sociétés, et par conséquent leurs transformations ? Comment l’étude des transformations des sociétés peut‑elle servir à l’éducation politique ? C’est la deuxième question. ‑ L’histoire étudie des faits passés qu’on n’a plus les moyens d’observer directement, elle les étudie par une méthode indirecte qui lui est propre, la méthode critique. Comment l’habitude de la méthode critique peut‑elle être appliquée à l’éducation politique ? Voilà la troisième question…

Ce que l’élève verra le mieux, ce sont les transformations brusques, les conquêtes, les révolutions. Mais il dépend du professeur de lui faire apercevoir aussi les transformations graduelles, moins apparentes. Il suffira de retirer de la masse des faits une catégorie spéciale d’usages, d’institutions, de conditions sociales, de les montrer à différents moments successifs, de faire comparer entre eux ces moments pour en faire apercevoir nettement la différence (par exemple la différence d’armement des chevaliers au Xe, au XVe, XVIIe, XIXe siècles). On aura montré à l’élève un cas d’évolution graduelle.

Ainsi l’histoire aura donné les moyens de faire acquérir à l’élève, sous la forme frappante d’exemples, les notions fondamentales d’événement, de transformation sociale, et même d’évolution.

Charles Seignobos, «L’enseignement de l’histoire comme instrument politique», Conférence au Musée pédagogique, 1907.