Pour l’établissement de pepinieres en Limousin (1733)


« Jardiniers à l’œuvre dans l’orangerie de Versailles », dans La Quintinie, J.-B. de, Instruction pour les jardins fruitiers et potagers, Paris, C. Barbin, 1690.
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L’édit que nous rapportons ci-dessous a été donné par l’intendant du Limousin Aubert de Tourny le 3 novembre 1733. Ce dernier veut inciter, chez les propriétaires terriens, l’implantation de pépinières pour le développement des plants d’arbres fruitiers et de chênes, suite aux nombreux manques dont souffre la généralité de Limoges, et ce depuis le fameux hiver 1709:

DE PAR LE ROY. Louis-Urbain Aubert de Tourny, chevalier, marquis de Tourny, baron de Nully, seigneur de Pressaigny, Laquedaix, Thil et autres lieux, conseiller du Roy en ses conseils, maître des Requêtes ordinaires en son hôtel, Intendant de Justice, Police et Finances en la Généralité de Limoges.

La plantation des arbres de toutes les espèces, étant un des plus utiles moyens pour tirer du sein de la terre une partie des productions dont la providence l’a rendue capable, nous voyons avec grande peine que la négligence sur cet objet est portée dans tout notre département au point qu’il n’y a pas de replanté le vingtième des châtaigniers, noyers et autres arbres fruitiers détruits par l’hiver de 1709, non plus que des chesnes qui depuis quinze années ont été coupés dans les hayes des domaines pour faire du merrain ou du bois de construction. Cependant, c’est de ces châtaigniers que le peuple attend le principal de sa nourriture, dans prés des trois quarts de cette généralité, et non seulement il se trouve en avoir moins qu’il ne luy en faut pour ses besoins, lorsque ces arbres rendent peu, mais même il est à craindre que cet aliment ne luy manque bien tôt, en considérant le mauvais état de ceux qui produisent actuellement. Las plus part sont de vieux troncs qui ayant été frapés de l’hiver de 1709, dans être totalement gelez, ont été coupés à la naissance des branches et en ont poussé de nouvelles, lesquelles se sentant de l’altération de la tige, et y tenant beaucoup moins que si elles étoient de la première pousse, éclatent et se brisent pour peu qu’un vent violent les agite; de là les dégats dans les chataigneraies, dont depuis quelques tems on se plaint si souvent, et qui se renouvellant bien des fois les détruiront à la fin.

A l’égard des noyers, chaque domaine dans la plus grande partie de la généralité en avoit une certaine quantité avant l’hiver de 1709. C’étoit un objet de revenu, même considérable pour plusieurs cantons. Il en est presque plus question présentement, tant parce qu’on n’a point eu soin de faire de nouveaux plants de ces arbres, qu’à cause que les vieux troncs qu’on y a pû conserver éprouvent très souvent les mêmes accidens dont il vient d’être parlé au sujet des châtaigniers. Quant aux chesnes, le prix escessif auquel le merrain est monté depuis un certain nombre d’années, en a occasionné la plus grande destruction; chacun en coupant ces arbres, tantôt d’un côté tantôt d’un autre, n’a été frappé que de la valeur qu’il en recevroit, sans songer qu’il se privoit insensiblement d’une glandée d’autant plus nécessaire aux cochons qu’il restoit peu de chataigneirs pour y suppléer; au moyen de quoy le commerce considérable qui se faisoit dans la Province sur ce bétail est beaucoup tombé; enfin, les pommiers, poiriers et autres arbres fruitiers, quoyque d’un produit moins avantageux apportoient aussi beaucoup d’utilité aux domaines où il y en avoit, soit pour en vendre la dépouille dans les villes, soit pour la faire venir pendant quelques mois de l’année à une partie de la nourriture des gens de la campagne, et à l’engrais de leurs bestiaux.

Sa Majesté, informée il y a quelques années de la triste situation de cette généralité sur ces différents objets, et voulant y remédier, auroit alors donné ses ordres pour former au centre de chaque Election une pépinière Royale qui contint un grand nombre de toute sorte d’arbres, où ce qui en manqueroient pussent se fournir; mais cet établissement, dont l’utilité devroit être très grande, n’ayant point été suivi, les défradations auroient depuis augmentée chaque année, et se trouvent aujourd’huy avoir absolument besoin de précautions qui y pourvoient;

Nous avons pensé que les circonstances des tems ne permettant plus de revenir aux pépinières Royales, couteuses d’ailleurs à la Province par l’imposition à laquelle elles devoient donner lieu pour la dépense de les planter et entretenir, il ny avoit pas actuellement de moyen plus simple et plus naturel que d’obliger tous propriétaires de corps de domaines, d’y semer au plutôt une certaine quantité de noix, chataignes, glands, pépins de pommes et de poires, etc., afin de former par la suite dans ces mêmes domaines des pépinières en état de fournir aux plantes qui y seront nécessaires. Ces différentes semences étant presque toute dans la main de chacun des propriétaires desdits domaines, ou ne leur pouvant couter que peu de chose, et ce qui sera ordonné à ce sujet ne demandant qu’un très petit espace de terre, personne ne pourra, sans mauvaise volonté et sans aller contre ses propres intérêts, se donner un prétexte d’impuissance pour y contrevenir. A ces causes,

Article Premier
Nous ordonnons aux propriétaires de domaines de deux paires de boeufs et au dessus, situez en notre généralité, de semer, aussit tôt après la publication de la présente ordonnance, ou faire semer dans une terre bonne de sa nature, et bien labourée à la bêche, 300 noix, 400 chataignes, 500 glands, 200 noyaux de prunes, six à 700 pépins de pommes et de poires. Le tout étant espacé d’environ 3 à 4 pouces dans des rayons tirés au cordeau à un pied l’un de l’autre, ne tiendra pas 4 toises en quarré faisant 16 toises de superficie, que lesdits propriétaires seront tenus de faire clore d’un fossé, avec une haye seiche sur la crête pour empécher le bétail d’y entrer.

Article II
Afin que ces semences profitent de façon à former des plans enracinez, qui après deux années puissent être mis en pépinières, les propriétaires desdits domaines auront soin de leur faire donner chaque année deux sarclages (* le sarclage consiste à déraciner avec une serfoüette les herbes qui peuvent surmonter le plant et l’étouffer) et labours légers à la petite pioche, l’un au printems, l’autre à l’entrée de l’automne, et au bout dudit tems ces plants enracinés seront transplantés dans une autre bonne terre bien amadée, et seront rangez au cordeau à un pied l’un de l’autre, les rangs à la distance de deux pieds, avec cette attention qu’un des bouts des rangs donne au midy et l’autre au septentrion.

Article III
Y ayant lieu de penser qu’il ne viendra à bien qu’environ les trois cinquièmes desdites semences, ce qui ne fera que 12 à 1300 plants enracinez, il ne faudra pour les contenir, compassez comme il vient d’être dit, qu’une petite pièce de terre d’environ dix toises en quarré, faisant cent toises de superficie, laquelle pièce de terre nous ordonnons ausdits prorpiétaires de faire entourer pendant le courant de l’année 1734 d’un grand fossé planté de haye vive, pour mettre en sureté lesdits plants contre le bétail, dés l’instant qu’ils y auront été transplantez. Et sera ladite pièce de terre choisie de façon qu’elle ait, s’il se peut, ainsi que celle pour lesdites semences portées au premier article, deux pieds de fond, qu’elle ne soit ny trop sèche, ni trop humide, ny entourée de grands arbres, dont les racines et l’ombrage puissent nuire aux jeunes plants.

Article IV
Pendant les 7 à 8 années que lesdits plants auront besoin de rester dans les pépinières pour s’élever de grosseur et grandeur à être plantez dans les lieux de leur destination, les propriétaires leur donneront ou feront donner les rois premières années deux sarclages et labours légers à la pioche, comme cy-dessus au printems et à l’entrée de l’automne. Et chacune des autres années, deux labours à la bèche dans les mêmes saisons, en prenant garde que par ces sarclages ou labours, les racines de ces jeunes plants ne soient endommagées. Aussi-tôt après les sarclages et labours prescrits pendant les trois premières années, il sera répandu sur les pépinières de la fougère et de la paille, non encore convertie en fumier, pour empêcher que l’ardeur du soleil ne brule les racines des jeunes plants.

Article V
Les propriétaires des domaines à une paire de boeufs ne seront tenus de semer que les deux tiers de ce qui est ordonné cy-dessus; et ceux des domaines à deux ou quatre vaches que la moitié, toute proportion gardée; au moyen dequoy le terrain que les premiers devront préparer et entourer de fossez pendant le courant de l’année 1734 sera d’un peu plus de huit toise en quarré, faisant environ 67 toises de superficie; et celuy que devront de même préparer les seconds sera de 7 toises en quarré, faisant près de 50 toises de superficie.

Article VI
Si quelques propriétaires desdits domaines n’ont pû par différentes circonstances faire avant le 15 décembre prochain les semences cy-dessus ordonnées, ils s’y prépareront pendant les mois de janvier et février 1734 de façon que lesdites semences soient faites dans le mois de mars suivant, et en cas qu’on s’apperçoive après la pousse du mois de septembre 1734 qu’il y ait une grande quantité de semences manquées, chaque propriétaire au mois de novembre suivant regarnira les plants vuides par de nouvelles semences, de façon que lors qu’il sera tems de lever les plants enracinés, et de les mettre en pépinières, il s’en trouve au moins les trois cinquièmes de ce qui a été ordonné cy-dessus d’être semé.

Article VII
Afin d’engager toutes les paroisses à exécuter plus soigneusement le contenu de la présente ordonnance, ainsi que chaque propriétaire de domaine en particulier, nous déclarons que lors de la répartition des impositions pour les années prochaines, nous aurons attention à soulager, autant qu’il nous sera possible, celles que nous apprendrons être le mieux comportées dans lesdites semences et plantations de pépinières; et s’il se trouve des propriétaires de domaines qui ayent négligé lesdites semences, nous ferons défenses aux collecteurs, au bas des commissions des tailles, de leur donner aucune part des diminutions qui seront accordées ausdites paroisses; même nous les condamnerons à des amendes telles que de droit, applicables au profit des pauvres desdites paroisses. Enjoignons à cet effet aux syndics et collecteurs de chacune, de nous avertir dans le mois de may prochain des contraventions commises à la présente ordonnance, à peine contr’eux d’amende arbitraire.

Article VIII
Comme il y a plusieurs cantons de cette généralité dans lesquels on ne voit point de chataigniers, parce que le terrain n’y est pas propre, ou a paru de voir être employé à des productions plus avantageuses, n’entendons que les dispositions de la présente ordonnance quant aux chataigniers, ayent lieu dans lesdits cantons, enjoignant aux propriétaires des domaines qui y sont situés de remplacer la semence de chataignes par un plus grand nombre de noix, de glands, de pépins, de noyaux, ou autres semences d’arbres utiles et convenables au terrain.

Article IX
En l’absence des propriétaires desdits domaines, ou en cas de négligence de leur part, les receveurs, fermiers, métayers, ou colons seront tenus sous les mêmes peines de l’article VII de faire les semences et pépinières cy-dessus ordonnées, sauf à se faire tenir compte par lesdits propriétaires de ce qui aura été dépensé pour ce sujet. Et afin que personne ne prétende ignorance de la présente ordonnance, elle sera affichée dans toutes les paroisses de notre généralité, lûe et publiée en icelle à la sortie de la messe paroissiale un jour de dimanche par les syndics et collecteurs auxquels trois exemplaires seront envoyés à cet effet.

Fait à Angoulême, le trois novembre mil sept cent trente trois

Signé AUBERT DE TOURNY

Par Monseigneur DUPIN.

Source: Archives Départementales de la Corrèze, Série 6 F 33. Cité par Jean-Robert Pitte, dans « Terres de Castanide. Hommes et paysages du châtaignier de l’Antiquité à nos jours », éditions Fayard, Paris, 1986, pages 389 à 391.