La guerre civile espagnole a eu un certain  impact sur le champ d’études médicales relativement nouveau de la psychiatrie. Les psychiatres, comme les autres Espagnols, furent sommés de choisir leur camp. Il y eut donc parmi eux  des vaincus et  il y eut aussi  des vainqueurs, qui couverts d’honneurs par le pouvoir franquiste, purent ainsi imposer leurs théories.

Parmi les psychiatres au service du franquisme, Antonio Vallejo-Nágera (1889-1960) fut incontestablement le plus célèbre, le plus influent et le plus prolifique.  Les extraits proposés ici sont issus de plusieurs de ses  ouvrages publiés à la fin de la guerre civile.

L’entreprise  d’Antonio Vallejo-Nágera est de démontrer que la propension à soutenir la République en général et le marxisme en particulier seraient une forme de  pathologie liée à une déficience mentale, et peut-être même à l’existence d’un « gène rouge »! Les femmes, par l’ infériorité biologique propre à leur genre, seraient  particulièrement sujettes à devenir des révolutionnaires si la société ne veillait à brider leur « instinct de cruauté ».

Pour démontrer le caractère scientifique de ses conclusions, Vallejo-Nágera dirigea entre décembre 1938 et octobre 1939 une étude  « scientifique » sur des centaines  de prisonniers de guerre, dont des membres des Brigades Internationales, ainsi qu’ un contingent d’une cinquantaine de femmes issues de la prison de Malaga. C’est sans doute cette étude qui valut à Vallejo-Nágera de passer à la postérité comme le « Mengele espagnol ».

Ses affirmations pseudo-scientifiques pourraient faire sourire, puisqu’elles ne sont en réalité  que la reprise des  clichés sur les pauvres, la gauche et les femmes les plus réactionnaires qui soient. Ce sont pourtant ces clichés enrobés d’un jargon médical qui ont servi de cadre idéologique  à la terrible répression qui s’est abattue sur les hommes, les femmes (et leurs enfants!) vaincus par Franco, et dont Vallejo-Nagera offre une vision prémonitoire dans l’extrait n°3.


Extrait n°1  marxisme et déficience mentale

[…] Nous avions déjà exposé l’idée des relations intimes entre le marxisme et l’infériorité mentale dans d’autres ouvrages […] La vérification de nos hypothèses a une portée politico-sociale énorme, car si ceux sont  les psychopathes antisociaux qui militent de préférence  dans le marxisme, comme c’est notre idée, la ségrégation de ces sujets dès l’enfance pourrait libérer la société d’un fléau si redoutable. […]

L’imbécile social englobe  cette multitude d’êtres incultes, maladroits, influençables, dépourvus de spontanéité et d’initiative, qui contribuent à faire partie de la masse grégaire des anonymes. […]

Le simplisme de l’idéologie marxiste et l’égalité sociale qu’elle défend favorisent son assimilation par les inférieurs mentaux et les  déficients culturels, incapables d’idéaux spirituels, et qui cherchent dans les biens matériels qu’offrent le communisme et la démocratie la satisfaction de leurs appétits bestiaux.[…]

VALLEJO NÁGERA, A., Folie et guerre : psychopathologie de la guerre d’Espagne. Valladolid, 1939

 

Extrait n°2  Infériorité féminine  et révolution

Rappelez-vous, pour comprendre la participation très active du sexe féminin à la révolution marxiste, la faiblesse caractéristique de son équilibre mental, sa moindre résistance aux influences environnementales, l’insécurité du contrôle sur sa personnalité (…) Quand les freins qui retiennent socialement les femmes disparaissent ( …) alors l’instinct de cruauté se réveille dans le sexe féminin et dépasse toutes les possibilités imaginables, précisément parce qu’elles manquent  d’inhibitions intelligentes et logiques, caractéristiques de la cruauté féminine qui ne se satisfait pas de l’exécution du crime, mais augmente lors de sa commission (…) De plus, lors des émeutes politiques, elles ont la possibilité de satisfaire leurs désirs sexuels latents.

Vallejo-Nágera et Martínez, Recherche psychologique sur les femmes marxistes délinquantes,1939

 

Extrait n° 3 un texte prémonitoire sur la répression des vaincus?

Nos espoirs de justice ne seront pas déçus et les crimes perpétrés ne resteront pas impunis, qu’ils soient  moraux ou matériels. Incitateurs  et meurtriers subiront les peines méritées, la mort étant la plus supportable. Certains subiront une émigration perpétuelle, loin de la Mère Patrie qu’ils n’ont pas su aimer, qu’ils ont voulu vendre, et qu’ils ne pourront oublier, car même  les enfants bannis regrettent  la chaleur maternelle. D’autres perdront leur liberté, ils gémiront pendant des années dans les prisons, purgeant leurs crimes, aux travaux forcés, pour gagner leur pain, et ils légueront à leurs enfants un nom infâme : ceux qui trahissent la Patrie ne peuvent léguer des noms de famille honorables à leur progéniture. D’autres subiront le mépris social, même si la justice sociale ne leur pardonnera pas, et ils expérimenteront  l’horreur des gens  qui verront  leurs  mains tachées de sang.

 VALLEJO NÁGERA, A., Divagations sans importance, Valladolid, 1938.

Traductions : Gilles Legroux