Ce texte est une traduction du dernier discours de Salvador Allende, prononcé depuis le palais présidentiel de la Moneda, le 11 septembre 1973, vers 9 heures 15. Il a été émis sur Radio Magallanes, la dernière radio du pays qui n’était pas encore aux mains des militaires putschistes. La qualité du son est très mauvaise, mais les paroles parfaitement compréhensibles.

Le président Salvador Allende sait que « cela sera certainement la dernière occasion » qu’il s’adresse à son peuple et à ses partisans. Refusant de se rendre aux généraux félons, il sait sans doute déjà qu’il n’a plus que quelques heures à vivre et il prend en quelque sorte ici définitivement congé de son peuple et clôt ainsi  un destin politique exceptionnel  commencé dans les années 30. On comprend dès lors, que pour de nombreux Chiliens, ce dernier discours soit considéré comme  des plus émouvants.

L’analyse du discours peut être conduite selon plusieurs axes :

  • Comme une défense des principes démocratiques et de la politique de réforme sociale menée par son gouvernement pendant 3 ans.
  • Comme le discours d’un homme qui sait que son sacrifice le fait entrer dans l’Histoire, comme ce fut le cas, avant lui, pour le président Balmaceda.

Cela sera certainement la dernière  occasion que j’ai de vous parler. Les forces  aériennes ont bombardé les tours de Radio Portales et de Radio Corporación.

Il n’y a pas d’amertume dans mes paroles mais de la déception et  ellesseront  la punition morale pour ceux qui ont trahi le serment qu’ils ont prêté : soldats du Chili, Commandants en chef titulaires,  l’Amiral Merino qui s’est autodésigné , et le  général Mendoza, général rampant  qui hier encore  avait manifesté sa fidélité  et sa loyauté au gouvernement, et qui  lui aussi  s’est nommé directeur  Général des Carabiniers.

Face à ces faits, voici ce que je veux  dire aux travailleurs : je ne renoncerai pas! Engagé dans un dramatique moment historique, je paierai de  ma vie la loyauté au Peuple. Je vous dis que j’ai la certitude que la semence  que nous avons enfouie dans la conscience digne de milliers et de milliers de chiliens ne pourra pas être arrachée définitivement . Ils ont la force, ils pourront nous asservir,  mais on n’arrête  pas les avancées sociales, ni par  le crime, ni par la force. L’Histoire est à nous et  ce sont les peuples qui la font.

Travailleurs de ma patrie,  je vous suis reconnaissant pour la loyauté dont vous avez toujours fait preuve, pour la confiance que vous avez accordée à un homme qui ne  fut que  l’interprète de grandes aspirations à la  justice, qui s’engagea à respecter  la constitution et la loi, et qui le fit. En ce moment crucial, le dernier où je peux m’adresser à vous… je veux  que que vous reteniez cette leçon.

Le capital étranger, l’impérialisme, uni à la réaction, ont créé le climat pour que les forces armées rompent  leur tradition, celle que leur a enseigné  Schneider et qu’a  réaffirmé le commandant Araya, tous deux victimes du même secteur social qui aujourd’hui attend à la maison et qui s’apprête à réconquérir le pouvoir  avec l’aide  étrangère,  afin de continuer à protéger ses propriétés et ses privilèges.

Je m’adresse, avant tout, à la femme modeste de notre terre, à la paysanne qui a cru en nous ;  à l’ouvrière qui a travaillé dur et à la mère qui a su combien nous nous sommes engagés pour les enfants. Je m’adresse aux personnels fonctionnaires de la Patrie, aux personnels patriotes, à ceux qui depuis des jours ont continué à travailler  contre la sédition patronnée par les collèges professionnels,  collèges de classe  prêts à défendre les avantages qu’une société capitaliste offre à quelques-uns. Je m’adresse à la jeunesse, à ceux qui ont chanté et ont transmis leur gaieté et leur esprit de lutte. Je m’adresse à l’homme du Chili, à l’ouvrier, au paysan, à l’intellectuel, à tous ceux qui seront persécutés… Parce que dans notre pays, le fascisme est présent depuis un moment déjà, impliqué  dans les attentats terroristes, faisant sauter des ponts, coupant les voies ferrées, détruisant les oléoducs et les  gazoducs. Et face à cela, le silence de ceux qui avaient l’obligation d’intervenir : ils étaient complices. L’Histoire les jugera.

Ils vont sûrement faire taire radio Magallanes  et dans les ondes, le son de ma voix pausée ne vous parviendra plus. Peu importe, vous continuerez à l’entendre. Je serai toujours près de vous. Vous garderez au moins le souvenir d’un homme digne qui fut loyal à la loyauté des travailleurs.

Le Peuple doit se défendre et non pas se sacrifier. Le Peuple ne doit pas se laisser écraser ni mitrailler,   mais ne doit pas non plus se laisser humilier.

Travailleurs : j’ai confiance dans le Chili et dans son destin. D’autres hommes surmonteront  ce moment sombre et amer où la trahison prétend s’imposer. Sachez que, plus tôt qu’on ne croit, les grandes voies par où l’homme libre passera pour construire une société meilleure seront à nouveau dégagées.

Vive le Chili! Vive le Peuple!  Vive les travailleurs !

Ce sont là mes dernières paroles et  j’ai la certitude que mon sacrifice ne sera pas vain. J’ai la certitude   qu’au moins, on en tirera une leçon   morale qui servira à châtier la félonie,  la lâcheté et la trahison. »

Dernier discours d’Allende , 11 septembre 1973