Enseigner l’histoire (très) contemporaine au lycée n’est pas une tâche aisée. Au manque de recul sur des événements d’hier ou d’avant-hier s’ajoute un public de jeunes gens qui atteignent l’âge auquel habituellement on se prépare à devenir  un citoyen adulte et pour lequel l’intérêt pour comprendre le monde et pour la politique  est souvent vif. L’enseignant ou l’enseignante doit donc s’efforcer de trouver un juste équilibre entre neutralité et gestion de la parole des élèves-citoyens lors de débats parfois vifs.

Ces « difficultés auxquelles pouvait donner lieu l’application du programme d’histoire contemporaine dans les lycées et collèges »  existait déjà sous la troisième République, avant 1914, comme l’atteste la « Circulaire relative à l’enseignement de l’histoire contemporaine dans les lycées et les collèges, du 23 février 1901. Elle est signée par le ministre de l’instruction publique et des beaux arts, Georges Leygues (1857-1933), membre du gouvernement de Waldeck-Rousseau. Il est l’auteur d’une refonte  des programmes scolaires en 1902 et d’autres réformes visant à adapter l’enseignement au monde moderne.

La circulaire concerne le programme  d’histoire des classes terminales arrêté le  2 août 1880 et qui a  fait ensuite l’objet de modifications mineures. La circulaire impose aux professeurs de ne pas aller au-delà de la limite chronologique de 1875, les ouvrages traitant de l’histoire intérieure de la France après 1875 devant ne « plus être laissés à la disposition des élèves ».

On peut déduire de cette circulaire plusieurs éléments. Le premier : les programmes d’histoire de terminale portent depuis longtemps sur des faits très contemporains et même quasiment actuels. Le deuxième : certains professeurs, peut être poussés par l’intérêt manifesté par  leurs élèves, adaptent le programme officiel et semblent avoir remplacé la date de 1875 par « jusqu’à nos jours ». Enfin, le fait d’interdire d’aborder en  classe « la France de la Troisième République » semble indiquer que la question républicaine à un moment où le pays sort à grand peine de l’affaire Dreyfus demeure un sujet de polémiques de nature à troubler l’ordre et la tranquillité des lycées publics.


CIRCULAIRE RELATIVE À L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE CONTEMPORAINE DANS LES LYCÉES ET LES COLLÈGES (23 février 1901)

Monsieur le recteur.

Mon attention a été récemment appelée sur certaines difficultés auxquelles pouvait donner lieu l’application du programme d’histoire contemporaine dans les lycées et collèges.

J’ai cru devoir consulter à ce sujet la Section permanente du Conseil supérieur de l’Instruction publique.

La Section permanente a été d’avis que, en ce qui concerne l’histoire intérieure de la France, le cours doit s’arrêter, conformément, d’ailleurs, aux dispositions du chapitre II du titre III dudit programme, au vote des lois constitutionnelles de 1875.

Par suite, dans ses leçons sur les sujets indiqués au titre IV – Développement ou transformations des principes de 1789 – le professeur s’abstiendra de faire intervenir les faits de politique intérieure postérieurs à la date de 1875.

Vous voudrez bien inviter MM. les Professeurs à conformer désormais leur enseignement à cette interprétation.

Vous donnerez, en même temps, des instructions pour qu’il ne soit mis entre les mains des élèves, comme livres scolaires ou comme livres de bibliothèque à leur usage, que des ouvrages conformes à ce programme. Les ouvrages qui contiendraient l’histoire des événements relatifs à la politique intérieure qui se sont produits en France depuis 1875 ne devront plus être laissés à la disposition des élèves. Recevez, Monsieur le Recteur, l’assurance de ma considération très distinguée.

Le Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, Georges LEYGUES.

Circulaire relative à l’enseignement de l’histoire contemporaine dans les lycées et les collèges, 23 février 1901