ERASME DIDIER

Né à Rotterdam vers 1469, mort à Bâle en 1536, Erasme est la figure la plus marquante de l’humanisme. Fils – naturel – d’un prêtre, ordonné prêtre lui-même en 1488, il suit, en 1495, les cours de théologie et de littérature classique à l’Université de Paris.

Premier séjour en Angleterre en 1499 où il rencontre Thomas More qui aura sur lui une grande influence. Il voyage ensuite aux Pays-Bas, en France, en Angleterre.

Il publie le « Manuel du Chevalier Chrétien » en 1504, des « Adages » (800 proverbes) en 1508. De 1506 à 1508, il est en Italie, à Venise et à Rome. Il étudie le grec. Il quitte l’Italie pour l’Angleterre et, en route, écrit son « Eloge de la Folie » qu’il terminera chez Thomas More (mars 1508).

Il enseigne le grec et la théologie à Cambridge. En 1516, son « Nouveau Testament » traduit du grec, dédié à Léon X obtient un très grand succès.

Il s’installe à Bâle en 1521 et, en 1524, publie le « De Librio Arbitrio » où il réfute la thèse de la prédestination de Martin Luther qui lui répond en 1525 avec son « De Servo Arbitrio ».

Auteur prolixe, préférant toujours le texte, et rien que le texte, à l’allégorie chère au néo-platonisme florentin, son influence est immense sur tous les penseurs du XVIème siècle. Il meurt sans avoir réussi à maintenir l’unité de l’Eglise pour laquelle il luttait.

Erasme

(1469-1536 à Bâle, un des grands centres de l’imprimerie de la Renaissance !)

Didier Erasme est un des plus grand humaniste hollandais. Il est ordonné prêtre et va poursuivre ses études au collège Montaigu à Paris. Puis il se rend en Angleterre où il rencontra John Colet dont il suivit les cours de théologie. Là, il se lie d’amitié avec Thomas More. L’histoire de sa vie peut ensuite résumer en une suite de voyages et de productions écrites. Entre 1500 et 1506, il écrit les Adages et le Manuel du chevalier chrétien.

On le retrouve à enseigner le grec à Cambridge. C’est à cette époque qu’il rédige l’Eloge de la folie, dédié à Thomas More. Dès 1521, il s’établit à Bâle lors des conflits religieux entre catholiques et protestants. Cet humaniste dont la pensée est faite de mesure, de prudence et de tolérance, chercha à concilier l’étude des Anciens et les enseignements des Evangiles.

L’Eloge de la folie est un ouvrage satirique paru en 1511. Il est écrit en latin savant et témoigne d’une très grande érudition. Dans cet ouvrage, Erasme se moque de certaines catégories sociales, philosophes et théologiens en tête. Malgré tout, le but de cette œuvre n’est pas différent de celui de ses autres écrits : – enseigner la vérité évangélique. Voici une phrase tirée de son œuvre qui résume bien le travail des humanistes : « Nous avons voulu avertir et non mordre ; être utile et non offenser ; réformer les mœurs et non scandaliser ».

(résumé de Christophe Rime)


Lettre à Augustin de Gubbio, auteur d’une réédition de l’Ancien Testament

« Quand je vivais à Rome [en 1509], invité à plusieurs reprises pour un entretien et cela – si je ne me trompe – par l’entremise de Pietro Bembol *, vu que je répugnais alors à la fréquentation des grands, je finis quand même par me rendre à son palais plutôt par sentiment du devoir que parce que j’en avais envie [palais du cardinal Grimani]**.

Ni dans la cour d’honneur ni dans le vestibule ne paraissait l’ombre d’un homme: c’était l’après-midi (…). J’arrive à la dernière [salle] : là je trouve un seul individu, un médecin grec à ce que je crois, la tête tondue, gardien d’une porte ouverte. je lui demande ce que faisait le cardinal. Il me dit qu’il s’entretient à l’intérieur avec quelques nobles (…). Tandis que, sur le point de partir, je contemple un peu par la fenêtre la vue qu’offrait le lieu, le Grec revint vers moi en insistant pour savoir si je ne voulais pas qu’on transmette quelque message au cardinal***. « Il n’est pas nécessaire, dis-je, d’interrompre son entretien, je reviendrai bientôt ». Finalement, comme il insistait, je lui dis mon nom. Dès qu’il l’eut entendu, il se précipita (…) à l’intérieur et il en sortit bientôt et m’ordonne de ne pas m’en aller, et je suis aussitôt introduit. Quand je fus entré, [le cardinal Grimani] me reçoit non comme un cardinal – et quel cardinal ! – reçoit un petit homme de rien mais comme un collègue. On me donne un siège et nous avons causé pendant plus de deux heures et il ne da pas été permis pendant ce temps de me libérer (…). Il se mit à m’exhorter à ne pas quitter Rome, la (mère) nourricière des talents. Il m’invite à loger dans sa maison et à partager sa fortune (…). Il fait venir son neveu, archevêque déjà, un adolescent doué d’un naturel quasi divin. Comme je voulais me lever, il me le défendit en disant: « Il convient que l’élève reste debout devant son précepteur. » Finalement il me montra sa bibliothèque on ne peut plus polyglotte. Si j’avais eu la chance de connaître plus tôt cet homme, je n’aurais jamais abandonné la ville dont j’ai connu la faveur bien au delà de mon mérite. Mais j’avais déjà décidé de partir (…). Lorsque j’eus dit que j’avais été appelé par le roi d’Angleterre, il cessa d’insister. »

* Pietro Bembo est un fameux humaniste italien, promoteur de la langue italienne.

** Érasme évoque une entrevue avec le cardinal Grimani, un grand aristocrate romain.

*** Cardinal: un prélat appartenant au gouvernement de l’Église catholique.

Erasme, Fribourg-en-Brisgau, 1531.


Un travail d’humaniste

« C’est aux sources mêmes que l’on puise la pure doctrine ; aussi avons-nous revu le Nouveau Testament tout entier d’après l’original grec, qui seul fait foi, à l’aide de nombreux manuscrits des deux langues, choisis parmi les plus anciens et les plus corrects (…). Nous avons ajouté des notes pour justifier nos changements, expliquer les passages équivoques, ambigus ou obscurs, rendre moins facile dans l’avenir l’altération d’un texte rétabli au prix d’incroyables veilles. »

ÉRASME, Lettre à Léon X, préface à l’édition du Nouveau Testament, 1516.


Avis d’un humaniste sur les gens d’église : un extrait de l’Eloge de la Folie

 » Voici ceux qu’on appelle ordinairement religieux ou moines, quoique ces deux noms ne leur conviennent nullement, puisqu’il n’y a peut-être personne qui ait moins de religion que ces prétendus religieux…

La plupart de ces gens-là ont tant de confiance dans leurs cérémonies et leurs petites traditions humaines, qu’ils sont persuadés que ce n’est pas trop d’un paradis pour les récompenser d’une vie passée dans l’observation de toutes ces belles choses. Ils ne pensent pas que Jésus-Christ, méprisant toutes ces vaines pratiques, leur demandera s’ils ont observé le grand précepte de la charité*.

L’un montrera sa bedaine farcie de toutes sortes de poissons , l’autre videra mille boisseaux de psaumes, récités à tant de centaines par jour ; un autre comptera ses myriades de jeûnes, où l’unique repas du jour lui remplissait le ventre à crever ; un autre fera de ses pratiques un tas assez gros pour surcharger sept navires , un autre se glorifiera de n’avoir pas touché à l’argent pendant soixante ans, sinon avec les doigts gantés, un autre produira son capuchon, si crasseux et si sordide qu’un matelot ne le mettrait pas sur sa peau ; un autre rappellera qu’il a vécu plus de onze lustres au même lieu, attaché comme une éponge ; un autre prétendra qu’il s’est cassé la voix à force de chanter ; un autre qu’il s’est abruti par la solitude ou qu’il a perdu, dans le silence perpétuel, l’usage de la parole.

Mais le Christ arrêtera le flot sans fin de ces glorifications : « Quelle est, dira-t-il, cette nouvelle espèce de Juifs ? Je ne reconnais qu’une loi pour la mienne ; c’est la seule dont nul ne me parle. Jadis, et sans user du voile des paraboles, j’ai promis clairement l’héritage de mon père, non pour des capuchons, petites oraisons ou abstinences, mais pour les oeuvres de foi et de charité. »

Didier Erasme, Eloge de la folie

* Amour de Dieu et du prochain (vertu théologale, avec foi et espérance).


Extraits de l’Encomium Moriae (Eloge de la Folie), publié à Paris, Strasbourg, Anvers en 1511, et à Bâle en 1513. Le texte sera traduit du latin dès le XVIe siècle dans les différentes grandes langues européennes. [ traduction de Claude Blum, 1995, éd. Slatkine]

« ch. VII
(…) Plutus (dieu de la richesse) (…) est le seul père des hommes et des dieux . Un signe de lui seul, aujourd’hui comme hier, bouleverse le sacré et le profane, met tout sens dessus dessous. Sa volonté règle guerres, paix, empires, conseils, tribunaux, comices, mariages, traités, alliances, lois, arts, jeux, travail… mais le souffle me manque, bref : toutes les affaires publiques et privées des mortels. (…) Tel est celui que je peux me glorifier d’avoir pour père. (…)

ch. XL
Par contre, voici un genre d’hommes qui, sans aucun doute, est tout à fait de notre farine, ce sont ceux qui aiment bien entendre ou raconter eux-mêmes des miracles ou des prodiges inventés. Ils n’ont jamais assez de telles fables, quand on rapporte des histoires monstrueuses de spectres, de lémures, de larves, d’enfers, et mille autres merveilles de ce genre : plus elles s’éloignent de la vérité, plus sont agréables les démangeaisons dont elles chatouillent les oreilles. D’ailleurs cela sert à merveille non seulement à soulager l’ennui des heures, mais aussi à procurer quelque profit, surtout pour les prêtres et les prédicateurs.
Or, ceux-ci ont pour proches les gens qui nourrissent la folle conviction, cependant bien agréable, que s’ils aperçoivent un Polyphème, saint Christophe en bois ou peint, ils ne mourront pas de la journée ; si on salue avec les paroles prescrites une statue de sainte Barbe, on reviendra sain et sauf du combat ; ou si on rend visite à saint Erasme, certains jours, avec certains petits cierges, certaines petites prières, on deviendra bientôt riche. De même qu’il y a un saint Hippolyte ils ont trouvé en saint Georges un nouvel Hercule. C’est tout juste s’ils n’adorent pas son cheval très pieusement paré de phalères et de bulles ; souvent, ils lui offrent un nouveau petit présent pour gagner ses faveurs et jurer par son casque d’airain est pour eux un serment de roi. Que dire de ceux qui se bercent agréablement de pardons imaginaires accordés à leurs crimes, qui mesurent comme avec des clepsydres les durées du Purgatoire, calculant sans la moindre erreur siècles, années, mois, heures, comme d’après une table mathématique. Et de ceux qui s’appuient sur certaines petites formules ou prières magiques qu’un pieux imposteur a inventées pour son plaisir ou son profit, et s’en promettent tout : richesses, honneurs, plaisirs, abondance, santé toujours florissante, très longue vie, verte vieillesse, et pour finir une place au paradis, auprès du Christ, mais le plus tard possible, quand les voluptés de cette vie les abandonneront, malgré leurs efforts opiniâtres pour les retenir, et céderont la place aux délices célestes. Ici, disons un commerçant ou un soldat, ou un juge, s’imagine, avec une petite pièce de monnaie prélevée sur tant de rapines avoir purifié d’un seul coup ce marais de Lerne qu’est sa vie, (…). Et maintenant, est-ce que ce n’est pas à peu près la même chose quand chaque pays revendique pour lui-même un saint particulier, lui confère des attributions particulières, lui rend un culte avec des rites particuliers : celui-ci guérit la rage de dents, celui-là assiste les femmes en couches, celui-ci apparaît en sauveur au milieu du naufrage, celui-là protège le troupeau, et ainsi de suite, car il serait trop long de faire un recensement complet. Il y en a qui à eux seuls valent pour plusieurs choses, surtout la Vierge mère de Dieu, à qui le commun des hommes attribue plus de pouvoirs qu’à son Fils.
(…)

ch. XLIX
Mais je serais moi-même tout à fait folle et parfaitement digne de tous les éclats de rire de Démocrite si je continuais à énumérer les formes des folies et des insanités populaires. J’arrive à ceux qui se donnent parmi les mortels l’apparence de la sagesse et convoitent, comme on dit, le rameau d’or.
Parmi eux tiennent le premier rang, les grammairiens, race d’hommes certainement la plus calamiteuse, la plus affligée, la plus haïe des dieux si moi je n’adoucissais les désagréments de leur misérable profession par un doux genre de folie. Ils ne sont pas en butte à cinq malédictions seulement, c’est-à-dire à cinq présages funestes, comme l’indique une épigramme grecque, mais à des centaines : toujours affamés et sordides dans leurs écoles — que dis-je des écoles ? ce sont plutôt des séjours d’angoisse , ou plutôt des galères, de chambres de tortures, — au milieu des hordes d’enfants ils vieillissent dans les labeurs, sont assourdis de cris, s’asphyxient encore de puanteurs et d’infection ; mais grâce à ma faveur, ils se croient les premiers des mortels. Ils sont tellement contents d’eux-mêmes quand ils terrorisent une classe épouvantée par leur visage et leur voix menaçante, quand ils déchirent les malheureux à coups de férules, de verges et de fouets, quand ils déchaînent à leur guise toutes leurs colères, à l’exemple de l’âne de Cumes ; alors leur saleté leur semble pure élégance, leur puanteur embaume la marjolaine, ils prennent leur misérable esclavage pour une royauté (…).

[suivent les poètes, les rhéteurs, les jurisconsultes, les dialecticiens, les sophistes, les philosophes, les théologiens]

ch. LIV
Aussitôt après ceux-là, les plus heureux sont ceux qui s’appellent couramment eux-mêmes religieux et moines , deux surnoms tout à fait trompeurs, car la plupart d’entre eux sont fort éloignés de la religion et on les rencontre plus que personne en tous lieux. Je ne vois pas qui pourrait être plus malheureux si je ne venais à leur secours de maintes façons. Car il est de fait que tout le monde exècre ce genre d’hommes au point que les rencontrer même par hasard passe pour un mauvais présage, ce qui ne les empêche pas d’avoir d’eux-mêmes une opinion magnifique. D’abord ils trouvent que le comble de la piété c’est de ne rien savoir des belles-lettres, pas même lire. Ensuite, quand à l’église ils braillent de leur voix d’âne leurs psaumes, dûment numérotés, mais nullement compris, alors ils croient vraiment charmer l’oreille des saints d’une infinie volupté. Il y en a quelques-uns parmi eux qui vendent au meilleur prix leur crasse et leur mendicité, et qui beuglent aux portes à tue-tête pour qu’on leur donne du pain, et il n’y a pas d’auberge, de voiture, de bateau qu’ils n’importunent au grand détriment, c’est sûr, des autres mendiants. Et c’est de cette manière que ces personnages particulièrement délicieux, avec leur saleté, leur ignorance, leur grossièreté, leur impudence, font revivre pour nous, disent-ils, les apôtres.
Quoi de plus plaisant que de les voir faire selon un règlement, d’après des sortes de calculs mathématiques qu’il serait impie d’enfreindre : tant de noeuds à la sandale, telle couleur à la ceinture, telle teinture pour chaque pièce du vêtement avec ses diverses nuances, telle matière et tant de largeur pour la ceinture, de tel aspect et de telle capacité en boisseaux pour le capuchon, tant de doigts de largeur pour la tonsure, tant d’heures de sommeil. (…) Enfin tous mettent un zèle admirable à se singulariser par leur mode de vie. Leur plus grand désir est de ne pas se ressembler entre eux. Ils tirent aussi une bonne part de leur bonheur de leurs surnoms : ils sont contents d’être appelés cordeliers et certains parmi eux colétans, d’autres mineurs, d’autres minimes, d’autres bullistes. Et voici les bénédictins. et voilà les bernardins ; ici les brigittins, là les augustiniens, ici les guillemites, là les jacobites, comme si c’était trop peu d’être appelés chrétiens. (…)

[suivent les princes, les grands]

ch. LVII
Mais en vérité depuis longtemps les souverains pontifes, les cardinaux, les évêques rivalisent délibérément avec les habitudes des princes et en sont presque à les dépasser. Pourtant si l’un d’eux réfléchissait à ce que rappelle l’habit de lin, blanc comme neige, c’est-à-dire une vie absolument sans tâche , à ce que veut dire la mitre à deux cornes dont les pointes sont réunies par un même noeud, à savoir une connaissance parfaite à la fois du Nouveau et de l’Ancien Testament, et les mains couvertes par des gants : l’administration des sacrements pure et non souillée du contact des choses humaines ; et la crosse : le soin très vigilant du troupeau qui lui est confié ; et la croix portée devant lu : la victoire sur toutes les passions humaines ; si l’un d’eux, dis-je, réfléchissait à cela et à bien d’autres choses du même ordre, ne mènerait-il pas une vie de tristesse et de souci ? Mais maintenant ils s’en tirent joliment puisque c’est eux-mêmes qu’ils mènent au pâturage. Quant au soin, ou bien ils le confient au Christ lui-même ou bien le rejettent sur ceux qu’on appelle frères ou sur les vicaires. Et ils ne se souviennent même plus de leur nom, de ce que signifie le mot d’ évêque , c’est-à-dire travail, vigilance, sollicitude. Mais pour attraper l’argent du troupeau, ils font parfaitement les évêques : ils surveillent.

[suivent les cardinaux]

ch. LIX
Quant aux souverains pontifes qui sont les vicaires du Christ, s’ils s’efforçaient d’imiter sa vie, c’est-à-dire sa pauvreté, ses travaux, sa doctrine, sa croix, son mépris de la vie, s’ils prenaient la peine de réfléchir seulement à leur nom de pape , autrement dit de père ou à leur surnom de très saint , qu’y aurait-il sur terre de plus malheureux ? Et qui achèterait cette place aux dépens de toutes ses ressources et, après l’avoir acquise, la défendrait par l’épée, par le poison, par toutes sortes de violences ? Que d’avantages leur enlèverait la sagesse si elle s’emparait d’eux une seule fois ! Que dis-je la sagesse, mais un seul grain de ce sel dont a parlé le Christ ! Tant de richesses, tant d’honneurs, tant d’autorité, tant de victoires, tous ces offices, toutes ces dispenses, tous ces impôts, toutes ces indulgences, tant de chevaux, de mules, de gardes, tant de plaisirs. Vous voyez quels trafics, quelle moisson, quel océan de biens j’ai embrassé en quelques mots! A leur place il mettrait les veilles, les jeûnes, les larmes, les prières, les sermons, les études, les soupirs, mille peines misérables de ce genre. (…)
Ainsi c’est bien grâce à moi qu’il n’y a pas de catégories d’hommes, ou presque, qui vive plus mollement et avec moins de souci, car ils estiment avoir largement satisfait le Christ s’ils jouent leur rôle d’évêques avec leurs ornements pour mystère et presque de théâtre, avec des cérémonies, des titres de Béatitude, de Révérence, de Sainteté, des bénédictions et des malédictions. »

 

ch. LX
Quant à moi je ne sais pas encore si certains évêques allemands ont donné l’exemple en la matière ou s’ils l’ont trouvé là, eux qui bien plus franchement renoncent à leur habit, aux bénédictions et autres cérémonies de ce genre, pour vivre carrément en satrapes et penser qu’il est lâche et peu digne d’un évêque de rendre à Dieu son âme vaillante ailleurs que sur un champ de bataille.
Le commun des prêtres estimerait impie de ne pas égaler la sainteté de leurs prélats, et il fait beau les voir combattre en vrais soldats avec des épées, des javelots, des pierres, toutes sortes d’armes, pour le bon droit de leurs dîmes ; quels bons yeux pour tirer de vieux manuscrits de quoi terrifier le menu peuple et le convaincre qu’ils ont droit à plus qu’à la dîme. Mais, en attendant il ne leur vient pas à l’esprit qu’on peut lire partout beaucoup de choses sur les devoirs qu’eux-mêmes doivent rendre au peuple en échange. (…)
Mais il est vrai que les prêtres ont ceci de commun avec les laïcs c’est qu’ils veillent tous à leur moisson de profits et que là personne n’ignore les lois. Quant au reste, s’il y a quelque fardeau ils le rejettent prudemment sur les épaules des autres et se le renvoient de la main à la main comme une balle. Puisque les princes laïcs eux aussi se déchargent de la responsabilité d’administrer le royaume sur des commis, le commis de même la transmet à un commis, laissant tout le soin de la piété au peuple, par modestie. Le peuple le rejette sur ceux qu’il nomme des gens d’Eglise, comme si lui-même n’avait absolument aucun rapport avec l’Eglise, comme si les voeux du baptême avaient été absolument sans effet. A leur tour, les prêtres qui se disent séculiers, comme s’ils avaient été voués au siècle et non au Christ, repassent la charge aux réguliers, les réguliers aux moines, les moines relâchés à ceux de stricte obédience, tous ensemble aux mendiants, les mendiants aux chartreux, les seuls chez qui la piété se cache, enterrée, et se cache si bien qu’on peut à peine l’apercevoir parfois. De même les pontifes si empressés pour moissonner l’argent, repassent les charges trop apostoliques aux évêques, les évêques aux curés, les curés aux vicaires, les vicaires aux frères mendiants. Ceux-ci à leur tour les repassent à ceux qui tondent la laine des brebis.
Mais il n’est pas de mon sujet de passer au crible la vie des pontifes et des prêtres, car je ne veux pas avoir l’air de composer une satire au lieu de prononcer un éloge, ni qu’on croit que je critique les bons princes tandis que je loue les mauvais. Si j’ai abordé ces quelques points c’est pour montrer clairement qu’aucun mortel ne peut vivre heureux s’il n’est pas un initié de mon culte et assuré de ma faveur. (…) »

[L’auteur continue en citant de nombreux passages de la Bible démontrant que la folie l’emporte sur la sagesse et rend l’homme heureux.]

Y  d’autres textes d’Erasme  sur les bonnes manières au XVIe s. et celui sur les causes de la Réforme .